L’Asie force Google et Apple à assouplir les règles de leur magasin d’applications

Avec une loi « anti-Google », la Corée du Sud s’attaque également au monopole d’Apple Pay au sein de l’App Store, mais la mesure reste nationale. Le Japon a obtenu des concessions pour les éditeurs de contenus qu’Apple va appliquer partout dans le monde.

Parce que les premiers marchés d’Apple sont les États-Unis, l’Europe et la Chine, les initiatives des autorités y sont scrutées comme autant de menaces sur les revenus du groupe. Elles ciblent en grande partie les services, un univers contrôlé par Apple grâce à l’intégration des activités de hardware et de soft­ware, cette intégration étant au centre de la stratégie du groupe depuis ses débuts (voir La rem, n°25, p.62). Or, les services édités et commercialisés par Apple (Apple TV+, Apple Music, iCloud…) représentent en 2021 quelque 20 % du chiffre d’affaires total du groupe, mais leur contribution aux bénéfices est plus importante puisque la marge y est en moyenne de 70 %, contre 36 % pour les activités de vente de terminaux. Leur contribution au chiffre d’affaires du groupe est par ailleurs en croissance depuis une décennie, les services étant devenus la pierre angulaire de la diversification des revenus du groupe (voir La rem n°50-51, p.61). Au sein de ces différentes activités, l’App Store s’impose comme l’« actif-cœur » de la plate­forme construite par Apple. Il sert d’intermédiaire entre la communauté d’utilisateurs du groupe et les dévelop­peurs d’applications : la première attire les seconds qui enrichissent l’offre du magasin d’applications, ce qui provoque un effet vertueux. Dès lors, Apple profite de ces interactions de manière indirecte en facturant le recours à son service de paiement en ligne, l’Apple Pay. Parce que son interface est essentielle pour les développeurs et les utilisateurs de matériel Apple, le recours à l’Apple Pay est obligatoire, les alternatives interdites, et des commissions s’appliquent de manière systématique sur toutes les transactions effectuées au sein de l’App Store. Ce sont ces commissions, et l’inter­diction de proposer un moyen alternatif de paiement, qui ont motivé la plainte d’Epic Games contre Apple (voir La rem n°57-58, p.69). Elles justifient encore, en partie, la procédure engagée en Allemagne, le 21 juin 2021, par le Bundeskartellamt (Office fédéral de lutte contre les cartels), qui enquête sur « d’éventuelles pratiques anticoncurrentielles ».

La commission d’Apple est également dénoncée en France par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui a conclu à l’existence de pratiques « contraires aux règles commerciales » dans les magasins d’applications d’Apple et de Google. S’appuyant sur cette expertise, France Digitale, une association qui fédère des acteurs français du numérique, a porté plainte, ce qui a conduit le tribunal de commerce de Paris à ouvrir une procédure contre Apple en juin 2021. Mais ce sont finalement les autorités sud-coréennes et japonaises qui, avant les autres, ont forcé Apple à des concessions majeures.

Le 31 août 2021, à l’unanimité, les députés sud-coréens ont voté le Telecommunications Business Act. Ce dernier oblige les propriétaires de systèmes d’exploitation de smartphones à autoriser le recours à d’autres systèmes de paiement au sein des applications. Dès lors, contrôler un magasin d’applications ne peut plus se traduire par l’imposition de son propre service de facturation – le moyen par lequel Google, avec le Play Store, et Apple, avec l’App Store, étaient en mesure de prélever systématiquement une commission sur toutes les dépenses de leurs utilisateurs.

La loi est qualifiée en Corée du Sud de loi « anti-Google ». En effet, elle est une réponse au déploiement par Google de sa politique de commissions sur l’ensemble des achats depuis les applications (achats dits « in-app »). En Corée du Sud, les commissions ne s’appli­quaient jusqu’alors qu’aux seuls jeux en ligne, le pays bénéficiant ainsi d’un régime d’exception. Mais c’est pour Apple que les conséquences sont les plus importantes. En effet, Google autorise le téléchar­gement d’applications depuis des sites web sur la version d’Android qu’il distribue, ce qui permet, certes difficilement, de se passer du Play Store et de ses commis­sions. Chez Apple, en revanche, toute application installée sur iPhone doit être téléchargée depuis l’App Store : il est donc impossible d’éviter le passage par l’Apple Pay. Si la décision est la première du genre, elle ne s’applique en revanche qu’à la seule Corée du Sud et n’a pas vocation à être généralisée. Mais d’autres pays pourront s’en inspirer, ce type de disposition pouvant se retrouver, par exemple, dans le texte final européen du Digital Markets Act (DMA).

En Corée du Sud, Google devra également revoir les contrats qu’il a signés avec les fabricants de smartphones pour qu’ils ne pénalisent pas les forks, ces versions d’Android alternatives à celle proposée par Google (voir La rem, n°48, p.5). En effet, l’Autorité de la concurrence sud-coréenne a condamné Google, le 14 septembre 2021, pour abus de position dominante quand il a conditionné l’accès à ses applications phares à l’installation de la version Android qu’il propose, un moyen pour lui de maintenir son système de commissions. Ces accords passés avec les constructeurs, dits accords d’anti-fragmentation (AFA), auraient empêché l’émergence d’alternatives, dont celle de Samsung, premier vendeur de téléphones dans le monde, qui avait développé un OS baptisé Tizen. Ils devront donc être revus, et Google devra également payer une amende de 177 millions de dollars.

Parfois, les règles imaginées localement peuvent avoir une portée mondiale et concerner tous les utilisateurs d’un magasin d’applications. Ainsi, le 1er septembre 2021, Apple annonçait s’être mis d’accord avec l’autorité japonaise de concurrence pour clore une procé­dure lancée en 2016. Apple va autoriser les éditeurs d’« appli­cations lectrices » (ou readers app), à proposer, au sein de leurs applications, un lien vers leur site web où il sera possible de s’abonner direc­tement auprès de l’éditeur, sans passer par un système intégré de paiement géré par Apple Pay. Ces applications lectrices concernent les offres de contenus culturels et celles de la presse, de la vidéo (à l’instar de Netflix) ou de la musique (à l’instar de Spotify). Elles ne concernent pas le marché du jeu vidéo, les contenus n’étant pas, dans ce domaine, considérés comme statiques. Apple a par ailleurs confirmé que cet enga­gement aura des répercussions à l’échelle mondiale puisque la mesure s’appliquera unifor­mément à tous les utilisateurs de l’App Store dès 2022. Apple renonce ainsi, pour ce type de contenus, au mono­pole de facturation qu’il avait établi grâce au Play Store. À cette occasion, il répond en partie aux récriminations de Spotify qui avaient conduit la Commission européenne à lancer une enquête sur l’App Store, le 30 avril 2021, pour abus de position dominante. Apple répond également en partie aux critiques, nombreuses, des grands éditeurs comme Netflix, ou encore de la presse en ligne, qui dénoncent principalement la dimension récurrente de la commission dans le cadre des abonnements, même si cette commission est abaissée à 15 % après un an.

Valable pour le monde entier, la concession d’Apple est toutefois limitée. Elle ne concerne que quelques types de contenus hautement symboliques, susceptibles à ce titre de mieux mobiliser les différentes autorités de contrôle : les contenus d’information et une partie des contenus culturels. Et le recours à l’Apple Pay est encore obligatoire pour tous les achats effectués depuis les applications. Ainsi, quand l’application de l’éditeur, téléchargée depuis l’App Store, intègre des achats in-app, il reste interdit de renvoyer vers un site tiers. Les éditeurs devront donc, soit se passer de la simplicité d’utilisation de l’Apple Pay, et des habitudes installées qui vont avec, soit payer la commission d’Apple en échange de l’efficacité commerciale de la plateforme.

Sources :

  • « Apple à son tour dans le viseur du gendarme de la concurrence allemande », Ninon Renaud, Les Échos, 22 juin 2021.
  • « La France poursuit Apple pour ses pratiques dans l’App Store », Raphaël Balenieri, Sébastien Dumoulin, Les Échos, 24 juin 2021.
  • « Google et Apple visés par une loi en Corée du Sud, qui met fin au monopole de paiement des applications », lemonde.fr, avec AFP, 31 août 2021.
  • « La Corée du Sud force Apple et Google à ouvrir leurs magasins d’applications », Raphaël Balenieri, Sébastien Dumoulin, Les Échos, 1er septembre 2021.
  • « Sous la pression, Apple assouplit son contrôle sur l’App Store », Raphaël Balenieri, Sébastien Dumoulin, Les Échos, 3 septembre 2021.
  • « Apple fait une concession aux médias », Elsa Bembaron, Le Figaro, 3 septembre 2021.
  • « La Corée du Sud veut faire sauter le verrou d’Android sur les smartphones », Yann Rousseau, Les Échos, 15 septembre 2021.

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