Musique : les catalogues, nouveau graal des majors et des fonds

L’édition musicale connaît une nouvelle jeunesse avec le streaming et la circulation nouvelle des musiques dans des contextes très variés. Elle génère en outre des revenus réguliers, autant d’avantages qui favorisent une inflation des prix des catalogues.

Sur TikTok, de vieux titres sont repris par des adolescents parce qu’ils les ont entendus dans une publicité. Cette popularité soudaine fait gonfler brutalement les écoutes sur YouTube ou Spotify. Sur toutes ces diffusions, des droits sont payés. Les droits des auteurs-compositeurs, gérés par des éditeurs, sont facturés dans la publicité et à TikTok avec lequel des accords de licence ont été passés. Ils sont également inclus dans la rémunération prévue sur YouTube et Spotify, mais cette rémunération inclut désormais aussi les droits liés à l’interprétation – il s’agit ici de la musique dite enregistrée et des droits des interprètes (ceux qui chantent ne composent pas nécessairement et vice versa). Autant dire que pour un titre ancien, déjà amorti depuis longtemps, ce type d’engouement est une source de revenus qui s’apparente à une marge presque pure. Sur un catalogue très riche de droits, son propriétaire a l’assurance de bénéficier de ces succès subits en ligne et des rémunérations conséquentes associées : avec des auteurs stars, des vieux titres mythiques en pagaille, même anciens, il y aura bien, à un moment donné, un retour d’engouement planétaire. En définitive, ces catalogues sont une source de revenus récurrente et conséquente et viennent compléter les droits perçus par les labels, ceux issus de la musique enregistrée. Ici, ce sont surtout les nouveautés qui génèrent le plus de revenus mais le risque est plus élevé, le label n’ayant aucune garantie que l’artiste qu’il produit rencontrera très vite son public.

Cet intérêt nouveau pour l’édition, mais aussi pour l’exploitation de la musique enregistrée quand elle concerne des titres déjà anciens, se traduit par une inflation sans précédent du coût des droits des catalogues. Les majors sont à la manœuvre, tout comme des fonds et des sociétés spécialisées dans la valorisation de ces droits. Les catalogues des stars des années 1960 jusqu’aux années 2000 sont prisés, ainsi que des catalogues plus récents, en cours de constitution, pour les artistes les plus en vue du moment. En décembre 2020, Universal Music Group a racheté quelque 600 chansons de Bob Dylan pour 300 millions de dollars. Le mois suivant, Hipgnosis Songs Fund s’emparait de 50 % des droits du catalogue de Neil Young, 75 ans, qui comptabilisait alors 1 180 titres comme auteur-compositeur. La transaction a été évaluée par la presse à 150 millions de dollars. Un an plus tard, en décembre 2021, Sony Music a dépensé un demi-milliard de dollars pour racheter le catalogue de Bruce Springsteen. En janvier 2022, c’est la veuve de David Bowie qui a vendu son catalogue à Warner Music pour 250 millions de dollars. Cette frénésie d’acquisitions rappelle le milieu des années 2010 quand les majors avaient misé sur l’édition face au piratage de la musique enregistrée. En 2016, Sony s’était emparé de 50 % du catalogue des Beatles, alors détenu par Michael Jackson, pour 750 millions de dollars et, en 2018, avait investi dans l’édition avec le rachat d’EMI Publishing pour 2,3 milliards de dollars. D’autres transactions soulignent la très forte valorisation des catalogues, car certains artistes, loin de leur fin de carrière, acceptent également de céder leurs droits. En 2020, Shakira a cédé 145 titres à Hipgnosis quand David Guetta, en juin 2021, a cédé tout son catalogue à Warner Music, ainsi que les titres qu’il produira à l’avenir, pour 100 millions d’euros.

Omniprésente dans les récentes transactions, la société Hipgnosis est dirigée par Merck Mercuriadis, lequel fut le manager de stars planétaires comme Beyoncé, les Guns N’Roses ou encore Elton John. La société s’apparente à un fonds d’investissement qui investit dans les catalogues, souvent des stars de la fin du xxe siècle, afin de les valoriser. Introduite en Bourse au Royaume-Uni en 2018, elle a dépensé plus de 2 milliards de dollars pour se constituer un catalogue géant et elle a annoncé, en octobre 2021, s’être associée avec le fonds de private equity (capital-­investissement) Blackstone pour disposer de 1 milliard de dollars supplémentaires à investir. Si le fondateur d’Hipgnosis peut faire valoir une proximité historique avec les artistes, ce n’est pas le cas de tous les fonds qui s’intéressent aux catalogues d’abord pour les revenus qu’ils peuvent générer. Ainsi le fonds Carlyle s’est associé en 2019 avec Ithaca Holdings, en conflit avec Taylor Swift, pour racheter Big Machine Record, le label qui a produit Taylor Swift à ses débuts. En 2020, les six masters des premiers albums de Taylor Swift ont été cédés à un autre fonds, Shamrok Capital, alors que Taylor Swift souhaitait les récupérer. Désormais chez Universal Music, elle a commencé à réenregistrer ses premiers albums, faute de pouvoir racheter ses masters à des prix raisonnables. Investir dans la création peut parfois s’avérer dangereux, si ce n’est contre-performant, quand cela suscite l’ire des créateurs.

Sources :

  • « Bob Dylan, symbole d’un secteur de l’édition musicale en ébullition », Nicolas Madelaine, Les Échos, 18 novembre 2020.
  • « Le catalogue de Taylor Swift change encore de mains », Nicolas Madelaine, Les Échos, 8 décembre 2020.
  • « Warner rachète le catalogue de David Guetta », Raphaël Balenieri, Les Échos, 21 juin  2021.
  • « Le private equity s’intéresse aux catalogues de musique », Pauline Verge, Nicolas Madelaine, Les Échos, 14 octobre 2021.
  • « Bruce Springsteen, la rock star qui valait un demi-milliard de dollars pour Sony Music », Caroline Sallé, Le Figaro, 17 décembre 2021.
  • « Springsteen cède sa musique à Sony pour près de 500 millions de dollars », Yann Rousseau, Les Échos, 18 décembre 2021.
  • « The Calculators Behind the Music-Catalog Megadeals », Anne Steele, 19 janvier 2022, wsj.com. 

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