Naissance de la holding « Audiovisuel extérieur de la France »

Créée le 15 avril 2008 sous la forme d’une société anonyme, une nouvelle structure regroupe les entreprises audiovisuelles TV5Monde, RFI et France 24, toutes trois dédiées à la diffusion de programmes audiovisuels à destination de l’étranger. Un statut ad hoc a été trouvé, non sans difficultés, pour la chaîne francophone TV5Monde née d’un traité liant la Belgique, la Suisse, le Canada, la province du Québec et la France.

Début janvier 2008, le chef de l’Etat annonce sa volonté de créer une nouvelle chaîne publique, appelée FranceMonde, regroupant dans une holding TV5Monde, France 24 et RFI, qui ne diffuserait qu’en langue française avec des sous-titres en langue étrangère. La nouvelle inquiète et étonne les professionnels et les experts, ainsi que les salariés des entreprises concernées. Toutes les autres chaînes internationales diffusent en plusieurs langues. Le « modèle » BBC World Service en parle 33.

Elle devait s’appeler FranceMonde, mais le nom étant déjà pris, le 15 avril 2008, jour de sa naissance, la holding est rebaptisée, faute de mieux, « Audiovisuel extérieur de la France ». Il aura fallu de nombreuses semaines pour parvenir à mettre sur les rails ce nouveau dispositif qui regroupe les participations de l’Etat français dans la chaîne francophone TV5Monde, la chaîne d’information France 24 et Radio France internationale (RFI). Ces trois entreprises jusque-là indépendantes sont désormais rassemblées en une holding sous la présidence unique d’Alain de Pouzilhac, ancien PDG du groupe publicitaire Havas et président de France 24, choisi par le gouvernement en février 2008 pour piloter la nouvelle organisation, avec la journaliste Christine Ockrent nommée directrice générale.

L’objectif est de recomposer et de moderniser l’offre audiovisuelle française extérieure pour plus de cohérence, tout en assurant par la voix du nouveau président que les trois sociétés garderont leur identité propre. Un rapport sur la réforme de l’audiovisuel extérieur français, rédigé par deux conseillers de l’Elysée, Georges-Marc Benamou et Jean-David Levitte, remis en décembre 2007 au seul Président de la République, propose la création d’une holding financière chapeautant les trois entités et d’un GIE (groupement d’intérêt économique) pour « mutualiser » leurs services administratifs, logistiques et commerciaux, ainsi que la création d’une société de production de l’information intégrée à la holding et résultant de la fusion des rédactions de RFI, France 24 et TV5Monde. En outre, les statuts des salariés des différentes entités devront être harmonisés. Le rapport prévoit 180 suppressions d’emplois, 26 millions d’économies et 30 millions de revenus supplémentaires en 2012. Ses auteurs considèrent Internet comme une priorité : le portail FranceMonde.fr devra être transformé, en 2012, pour devenir « une plate-forme numérique planétaire », avec un site Web commun aux trois chaînes, des services non linéaires de catch-up TV (télévision de rattrapage), de vidéo à la demande et des chaînes thématiques…

Les trois entreprises audiovisuelles visées par la réforme ne sont pas de même nature. La radio RFI et la chaîne de télévision France 24 sont des organes français d’information financés par des capitaux français. RFI est une radio publique indépendante du groupe public Radio France depuis 1986, financée par une subvention du ministère des affaires étrangères et par la redevance, et diffusée en 24 langues. Lancée en décembre 2006, France 24 est une chaîne internationale d’information en français, en anglais et en arabe, contrôlée à égalité par le groupe public France Télévisions et la chaîne privée TF1 (voir le n° 1 de La revue européenne des médias, février 2007). TV5Monde est, par son statut, un cas particulier au sein de l’offre audiovisuelle française à l’étranger. Lancée en 1984, deux ans avant CNN International, TV5Monde est le second réseau international de télévision après l’américain MTV, avec une audience potentielle de 180 millions de foyers. Chaîne publique franco- phone à programmation généraliste, TV5Monde a été créée à la suite d’un accord de partenariat entre la France et plusieurs pays francophones, la Bel- gique, la Suisse, le Canada et la province du Québec, tous décisionnaires.

A l’annonce du projet français de remaniement, les différents partenaires étrangers de TV5Monde, qui détiennent ensemble 33 % de l’actionnariat, se sont émus du manque de concertation concernant l’intégration de leur chaîne au sein d’une holding. Tenus à l’écart du processus de décision et s’estimant traités en partenaires minoritaires, les pays associés de TV5Monde craignent pour l’autonomie éditoriale de la chaîne, son identité plurielle, sa gestion et son financement pluripartites. Signée en septembre 2005, une charte établit en effet les règles de fonctionnement et définit le rôle des différents partenaires de TV5Monde. Financée à 80 % par la France, TV5Monde est reçue dans 202 pays et compte plus de 25 millions de téléspectateurs. Sa programmation se compose des programmes émanant de l’ensemble des partenaires. Véritable fenêtre de diffusion de films et de documentaires francophones, « TV5Monde n’a pas sa place dans le schéma de holding que la France veut imposer » selon le secrétaire général de la francophonie, Abdou Diouf. Le P-DG de TV5, François Bonnemain, explique à son tour que « nos partenaires nous disent clairement, […], qu’ils ne sont pas là pour accompagner un projet – stricto sensu – franco-français. Ni pour financer France 24 et RFI » et que le seul regroupement géographique des trois entreprises sur un même site coûterait au minimum quelque 100 millions d’euros.

Fin février 2008, réunis à Ottawa, les représentants suisses, belges, canadiens, québécois et français des Etats actionnaires de TV5Monde déclarent que rien n’est acquis concernant l’intégration de leur chaîne dans la holding FranceMonde et envisagent de riposter par l’ouverture du capital de TV5Monde à d’autres partenaires, notamment d’Europe de l’Est, à tradition francophone. Ils s’opposent à la proposition du rapport (dont ils n’avaient pas connaissance au moment de sa parution) faisant de TV5 une filiale de FranceMonde, et la nomination de son président et de son directeur général par les responsables français les inquiètent quant au transfert de tutelle du ministère des affaires étrangères, garant des accords multilatéraux, au gouvernement. La Belgique et la Télévision suisse romande (TSR) envisagent même de quitter la chaîne.

Un compromis est finalement trouvé. Un nouveau montage capitalistique permettra aux partenaires francophones de posséder, avec France Télévisions, Arte et l’INA, la majorité du capital de TV5Monde, tandis que l’Etat français détiendra directement les 49 % restant. La nouvelle holding contrôle donc RFI, France 24 et gère la participation française au sein de TV5Monde. Afin de préserver l’autonomie de leur chaîne, les francophones réclamaient également la nomination d’un directeur général indépendant de la holding créée par le gouvernement français, et doté de pouvoirs élargis, qui ne soit pas inféodé au président choisi par la France. Il aura fallu d’âpres négociations pour trouver, le 29 avril 2008, un accord entre les différents partenaires sur la nomination d’un directeur général (qui devait être initialement non français) en la personne de l’actuelle directrice de la coopération au ministère français des affaires étrangères, Marie-Christine Saragosse, reconnue et appréciée pour avoir déjà passé de nombreuses années à la tête de TV5Monde. Le président de la holding Alain de Pouzilhac devient comme convenu président du conseil d’administration composé de douze membres, six personnalités qualifiées et six représentants de l’Etat. En outre, les actionnaires francophones ont obtenu la possibilité de présider deux des quatre comités stratégiques de TV5Monde, et vont accroître leur part (15 %) dans son financement, afin de diffuser un plus grand nombre de leurs productions à l’antenne. Le projet de fusion de la rédaction avec celles de RFI et de France 24 est abandonné, tandis que sera effectuée la « mutualisation des services » de commercialisation, de distribution, d’information, de recherche et développement et Internet.

Le chantier de l’audiovisuel extérieur n’est pas achevé pour autant : nombreux sujets font encore l’objet de débats. A terme, la holding devrait contrôler 100 % de RFI et de France 24. Les discussions à venir porteront donc sur la recomposition de l’actionnariat de France 24 détenu à parité par TF1 et France Télévisions. Après s’être opposé sans succès à la diffusion nationale de France 24 afin de protéger sa propre chaîne d’information LCI, TF1 pourrait revendre sa participation, évaluée à 12 millions d’euros, ou prendre 10 % du capital de la holding « Audiovisuel extérieur de la France ». La position de RFI, en manque de fonds propres, demeure très fragile au regard de son indispensable recapitalisation. Il faut encore définir la stratégie numérique, notamment vers les supports mobiles ; évoquer la question du multilinguisme, RFI parlant en 24 langues et France 24 en 3 ; trouver enfin les synergies et faire travailler ensemble RFI, France 24 et TV5Monde. Fin juin 2008, les dirigeants de la nouvelle structure « Audiovisuel extérieur de la France » présenteront au gouvernement leur plan d’action 2009-2012 : il devrait concerner 2 000 collaborateurs, 900 correspondants et porter sur un budget de fonctionnement de 300 millions d’euros.

Sources :

  • « La chaîne France 24 dans l’incertitude après les déclarations de Nicolas Sarkozy », Daniel Psenny, Le Monde, 15 janvier 2008.
  • « TV5Monde « Je défends ma boutique » », Interview du P-DG François Bonnemain, Propos recueillis par Renaud Revel, L’Express, 22 février 2008.
  • « TV5 Monde : la riposte s’organise », Claude Baudry, L’Humanité, 26 février 2008.
  • « Audiovisuel extérieur : le rapport initial table sur 180 suppressions de postes », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 27 février 2008.
  • « Les partenaires francophones de TV5 Monde ne cachent plus leur agacement », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 4 mars 2008.
  • « France Monde : semaine décisive pour les nouveaux dirigeants », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 17 mars 2008.
  • « L’Etat donne des gages sur France Monde », Paule Gonzales, Le Figaro , 21 mars 2008.
  • « France Monde bientôt mis sur orbite », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 21 mars 2008.
  • « TV5 : les francophones bloquent Ockrent », Emmanuel Berretta, Le Point, 27 mars 2008
  • « La Suisse menace de se retirer de TV5Monde », AFP, in tv5.org, 10 avril 2008.
  • « Réunion sous haute tension mercredi à Paris pour l’avenir de TV5Monde », AFP, in tv5.org, 15 avril 2008.
  • « TV5Monde : accord dans la douleur entre la France et ses partenaires », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 15 avril 2008.
  • « Le P-DG de TV5Monde François Bonnemain devrait démissionner », AFP, in tv5.org, 16 avril 2008
  • « France Monde est né officiellement mais la crise perdure à TV5 », Les Echos, 16 avril 2008.
  • « La course d’obstacles de France Monde », Paule Gonzales, Le Figaro, 18 avril 2008.
  • « L’indépendance de TV5Monde sera respectée », Philippe Larroque, Le Figaro, 24 avril 2008.
  • « TV5Monde : accord entre la France et ses partenaires francophones », Les Echos, 29 avril 2008.
  • « Le calme revient à TV5Monde », J.H., Les Echos, 30 avril 2008.
  • « L’identité de TV5Monde préservée », Fernand Nouvet, L’Humanité, 5 mai 2008.
Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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