France : secret des sources des journalistes

Par la loi du 4 janvier 2010 ont été introduites, en droit français, des dispositions nouvelles qui, par rapport à la situation antérieure, visent à renforcer la « protection du secret des sources des journalistes ».

Il s’agissait, pour le législateur, tout à la fois de répondre à la revendication de certaines organisations professionnelles de journalistes et de mettre le droit national en conformité avec le droit européen, avec notamment la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, habituellement favorable au secret des sources des journalistes.

Certes, dans un arrêt du 31 mars 2009, Sanoma Uitgevers B.V. c. les Pays-Bas, la Cour a validé une mesure de réquisition, par la police, de documents détenus par un journal, en considérant « que les informations contenues dans le CD-ROM que la société a été contrainte de remettre aux autorités étaient pertinentes et susceptibles de permettre l’identification des auteurs d’autres infractions sur lesquelles enquêtait la police et que les autorités n’ont utilisé ces informations qu’à ces fins ». Outre le fait que la décision, plutôt inhabituelle, est frappée d’appel, il convient de relever que, quelques jours avant l’adoption de cette loi, la CEDH rendait, le 15 décembre 2009, un arrêt Financial Times c. Royaume-Uni par lequel, comme elle l’avait déjà précédemment fait ( 27 mars 1996, Goodwin c. Royaume-Uni ; 25 février 2003, Roemen et Schmit c. Luxembourg ; 15 juillet 2003, Ernst c. Belgique ; 27 novembre 2007, Tillack c. Belgique), elle condamnait le Royaume-Uni pour avoir porté atteinte à ce droit, dont elle fait la « pierre angulaire de la liberté de la presse », en sanctionnant différents journaux qui, faisant valoir le droit au secret de leurs sources, avaient refusé de témoigner en justice.

La loi du 4 janvier 2010 énonce le principe, introduit dans la loi du 29 juillet 1881, selon lequel « le secret des sources des journalistes est protégé dans l’exercice de leur mission d’information du public ». Dans le cadre de procédures judiciaires, il ne peut y être porté atteinte « que si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi ».

La protection du secret des sources est mise en œuvre en posant, dans le Code de procédure pénale, que, en toutes circonstances et non plus seulement devant un juge d’instruction, « tout journaliste entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l’exercice de son activité est libre de ne pas en révéler l’origine ».

C’est essentiellement en réglementant les perquisitions que la protection du secret des sources des journalistes est renforcée. Aux dispositions antérieures, qui prévoyaient déjà la présence d’un magistrat chargé de veiller à ce que les investigations conduites « ne constituent pas un obstacle et n’entraînent pas un regard injustifié à la diffusion de l’information », est ajoutée notamment la possibilité, pour la personne qui en fait l’objet, de « s’opposer à la saisie d’un document ». Dans ce cas, un autre juge, celui dit « des libertés et de la détention » (JLD), doit être saisi de la contestation. C’est à lui qu’il appartient de décider, après avoir entendu les arguments des diverses parties : soit restituer le document à son propriétaire, soit en ordonner le versement au dossier de la procédure en cours. Il est alors posé que « cette décision n’exclut pas la possibilité ultérieure, pour les parties, de demander la nullité de la saisie ».

Le même texte prévoit encore que « le magistrat et la personne » qui assistent à la perquisition « ont seuls le droit de prendre connaissance des documents ou des objets découverts […] préalablement à leur éventuelle saisie ». On peut alors penser que le secret de la source est déjà, de ce fait, violé. Mais comment le magistrat pourrait-il, sans en « prendre connaissance », faire le tri des documents à saisir ou non, en fonction de leur pertinence par rapport à la procédure en cours ?

Présenté comme une garantie de la liberté d’informer, un tel droit au secret des sources ne risque-t-il pas aussi de constituer un moyen, pour certains, assurés du respect de leur anonymat, de « manipuler » les médias et d’y faire courir les rumeurs les plus fantaisistes, ou, pour certains journalistes, de cacher l’absence de source et donc d’information véritable ? L’identification de la source et la « traçabilité » de l’information ne constituent-elles pas, pour le public, des éléments essentiels ? Pourquoi, à l’égard des journalistes, aucun secret ne vaudrait, sauf le leur ?

Le débat est assurément loin d’être clos. La marge de détermination des autorités françaises (législateur et juges) est, en la matière, limitée face à l’encadrement européen plutôt favorable, le plus souvent, à la protection du secret des sources des journalistes.

Professeur à l’Université Paris 2

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