EMI menacée par sa dette

Derrière Universal Music Group et Sony Music Entertainment en termes de part de marché dans le monde, mais devant Warner Music Group, la major britannique EMI pourrait changer de mains et passer sous le contrôle de ses créanciers si elle ne parvient pas à faire face aux échéances de sa dette.

Rachetée en LBO (Leverage buy out) pour 3,2 milliards de livres, dette incluse, par le fonds Terra Firm, en mai 2007 (voir le n°4 de La revue européenne des médias, automne 2007), juste avant la crise financière, EMI ploie désormais sous le coût de sa dette. Avec un passif de 2,6 milliards de livres à l’égard de Citigroup, EMI doit trouver au moins 120 millions de livres avant le 14 juin 2010 afin de faire face au coût de l’assurance de sa dette, faute de quoi Citigroup pourrait en prendre le contrôle pour la revendre ensuite.

Face à cette éventualité, Guy Hands, le patron de Terra Firma, s’est engagé à sauver EMI. Après avoir échoué à céder pour cinq ans ses droits de distribution aux Etats-Unis, une opération à 200 millions de livres, Guy Hands cherche à lever à nouveau des fonds pour relancer la major. Mais l’entreprise est périlleuse : alors que la valeur d’EMI a déjà été dépréciée de 90 % dans les comptes de Terra Firma, Guy Hands espère pouvoir convaincre les actionnaires de Terra Firma d’injecter de nouveau 360 millions de livres dans EMI, qui devra faire face à un nouveau plan de restructuration. EMI sort en effet d’un plan drastique d’économies, qui a conduit à une réduction de 20 % de ses effectifs et lui a permis de réaliser un bénéfice opérationnel en 2009. Confrontée à la chute du marché du disque (voir infra), la major a toutefois affiché une perte de 1,5 milliard de livres en 2009, perte liée essentiellement à ses échéances de crédit et à des dépréciations d’actifs, notamment la dévaluation de son catalogue.

Les relations entre Citigroup et Terra Firma ne laissent pas espérer de délais supplémentaires en faveur d’EMI. Terra Firma a intenté une action en justice contre Citigroup à qui il reproche de lui avoir menti, lors des enchères, sur l’existence d’un concurrent, afin de l’inciter à renchérir. Citigroup, de son côté, a menacé d’opposer son veto quand Guy Hands a envisagé de céder pour cinq ans ses droits de distribution aux Etats-Unis. Car l’enjeu pour Citigroup est de prendre le contrôle d’EMI pour la revendre, en bloc ou en dépeçant la major, le Financial Times estimant par exemple que les seuls actifs américains d’EMI suffisent à garantir son passif. Et les repreneurs potentiels sont déjà connus : Warner Music serait intéressée après avoir échoué à fusionner avec EMI en 2000, l’opération ayant été bloquée par les autorités de concurrence. Le groupe Bertelsmann, qui s’est retiré de la musique enregistrée en 2006, serait par ailleurs prêt à racheter la division édition d’EMI avec son allié le fonds KKR, la gestion des droits étant le seul secteur très rentable actuellement dans l’industrie musicale.

Enfin, aux déboires financiers d’EMI s’ajoutent des difficultés récurrentes avec les artistes et le management. En effet, depuis sa reprise par Terra Firma et la politique de réduction des coûts mise en place, certains artistes phares du catalogue ont quitté la major, comme Radiohead et les Rolling Stones. D’autres menacent de le faire : le groupe Pink Floyd, dont le contrat avec EMI remonte à 1967, a ainsi gagné un procès contre la major, le 11 mars 2010, concernant l’exploitation en ligne de ses titres. Pink Floyd reprochait à EMI de commercialiser ses titres à l’unité sur Internet, alors que son contrat stipule que seuls des albums peuvent être vendus afin de préserver leur « intégrité artistique », clause qui a entraîné une opposition sur les modalités de calcul des droits d’auteur payés pour les ventes en ligne. En avril 2010, Paul McCartney, l’ancien Beatles, quittait à son tour EMI, suivi début mai par le groupe Queen. Enfin, après à peine dix-huit mois passés à la tête d’EMI Music, la division de musique enregistrée de la major, Elio Leoni-Sceti a dû quitter son poste en mars 2010 et a été remplacé par Charles Allen, l’homme qui a orchestré la fusion de Granada et de Carlton au Royaume-Uni pour donner naissance à ITV.

Sources :

  • « Le grand label musical EMI serait proche de tomber sous la coupe de Citigroup », Nicolas Madelaine, Les Echos, 8 février 2010.
  • « Un patron de la dernière chance aux commandes d’EMI », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 11 mars 2010.
  • « Musique en ligne : le groupe Pink Floyd obtient gain de cause contre EMI », Les Echos, 12 mars 2010.
  • « EMI est au bord du gouffre »Eric Albert, La Tribune, 16 mars 2010.
  • « EMI prêt à louer son catalogue pour échapper à Citigroup », N.M., Les Echos, 23 mars 2010.
  • « Hands raises EMI stakes by playing for time », Andrew EdgecliffeJohnson, Financial Times, April 20, 2010.
  • « Après 40 ans de collaboration, Paul McCartney quitte la major EMI » Le Monde, 29 avril 2010.
  • « Hands close to EMI injection », Martin Arnold, Esther Bintliff, Financial Times, May 12, 2010.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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