EMI : le rachat par UMG et Sony Music autorisé par la Commission européenne

En autorisant Universal Music Group et Sony Music à racheter les activités de musique enregistrée et d’édition d’EMI, la Commission européenne entérine le partage du marché de la musique européenne par trois majors, Warner Music devant en toute logique récupérer une partie des actifs d’EMI qu’Universal s’est engagé à céder.

Ne pouvant faire face aux échéances du remboursement de sa dette après le rachat en LBO (Leverage Buy Out) de la major britannique EMI, le fonds Terra Firma avait dû abandonner à son créancier, la banque Citigroup, le 1er février 2011, 65 % du capital d’EMI (voir REM n°18-19, p.50). Après avoir épuré une partie de la dette d’EMI, passant ainsi de 3,4 milliards à 1,2 milliard de livres, Citigroup a cherché à récupérer une partie des sommes que Terra Firma lui aurait normalement dues. Le 11 novembre 2011, Universal Music Group (UMG), première major mondiale de la musique et filiale du groupe Vivendi, annonçait donc un accord avec Citigroup pour le rachat de l’activité de musique enregistrée d’EMI, moyennant 1,4 milliard d’euros, Universal s’engageant en outre à rémunérer Citigroup à hauteur de 1,2 milliard d’euros, quelle que soit la décision des autorités de la concurrence sur l’autorisation de rachat (voir REM n°21, p.34). Les activités d’édition musicale d’EMI ont été, de leur côté, cédées à Sony Music, deuxième major de la musique après UMG. Aussitôt, Warner Music, candidat malheureux au rachat d’EMI, ainsi que les labels indépendants, réunis au sein de l’association européenne Impala, dénonçaient les deux opérations, celles-ci conduisant à chaque fois à l’émergence d’un leader sur les marchés européens disposant d’un fort pouvoir de marché, avec plus de 40 % du marché européen de la musique enregistrée pour UMG, et de l’édition musicale pour Sony Music. Dès février 2012, Vivendi notifiait à la Commission européenne le rachat d’EMI par UMG et confirmait céder jusqu’à 500 millions d’euros d’actifs dans la musique pour financer l’opération, mais également pour rassurer la Commission en cédant certains labels sur les marchés où UMG se renforce avec EMI. En effet, UMG détenait avant l’opération de rachat 26,5 % du marché de la musique enregistrée dans le monde, suivie par Sony Music (23 %), Warner Music (12,3 %), une part de marché montant à 36,2 % avec le rachat d’EMI, ce qui permettra à UMG de distancer définitivement Sony Music. Mais, dans certains pays européens, cette part de marché dépassera 50 %, UMG estimant à sept le nombre de pays concernés, en particulier la France et le Royaume-Uni. Aux Etats-Unis, la fusion UMG-EMI devrait permettre au nouvel ensemble de contrôler plus de 40 % du marché.

Les enjeux de l’opération ont donc conduit la Commission européenne, le 23 mars 2012, à lancer un examen approfondi de l’opération, alors même que la fusion Sony Music-EMI dans l’édition musicale était autorisée dès le 19 avril 2012. En effet, même si la fusion Sony Music-EMI fait émerger un acteur majeur de l’édition musicale en Europe, ses conséquences sont positives pour la Commission européenne qui a jugé que « le consortium monté par le groupe japonais permet une différenciation nette avec l’activité de musique enregistrée », un élément que la Commission n’avait pas identifié lorsqu’elle avait refusé à UMG, en 2006, le rachat des activités d’édition musicale de BMG. Les contre- parties demandées à Sony Music sont donc limitées. Le nouvel ensemble disposant d’une part de marché trop importante sur le registre anglo-saxon, donc essentiellement au Royaume-Uni et en Irlande, quatre catalogues de chansons anglaises et américaines seront cédés. Cette cession revient à écarter de l’ancien périmètre d’EMI dans l’édition musicale de seulement 25 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2011, ce qui représente moins de 2 % de l’ensemble des activités d’édition d’EMI.

En revanche, la fusion UMG-EMI a soulevé de plus grandes inquiétudes de la part de la Commission européenne. Outre un débat initié par les opposants au projet sur la diversité musicale en Europe, où UMG est déjà leader mondial, mais devrait, après la fusion, se faire dépasser par l’ensemble Sony Music-EMI, l’essentiel des interrogations a porté sur la part de marché du nouvel ensemble dans certains pays européens, conduisant la Commission européenne à envoyer une communication de griefs au groupe Vivendi dès juillet 2012. Considérant qu’au-delà de 40 % de parts de marché, un groupe se retrouve en position dominante, la Commission européenne a identifié 26 pays sur 29 où la fusion dépasserait ce seuil, à la fois sur le marché physique et le marché numérique. Avec 21 pays où le nouvel ensemble serait en position dominante sur le marché physique, des concessions se sont donc imposées. Enfin, sur le marché numérique, la Commission européenne n’a pas souhaité tenir compte du pouvoir de marché des nouveaux intermédiaires de la musique, comme iTunes, mais elle a au contraire insisté sur le pouvoir qu’aura le nouvel ensemble à imposer aux distributeurs en ligne des conditions commerciales à son avantage.

Pour obtenir l’aval des autorités européennes de concurrence, UMG aura donc dû proposer de nouvelles cessions d’actifs, bien au-delà des 500 millions d’euros initialement prévus. Ainsi, UMG va céder 60 % du chiffre d’affaires d’EMI en Europe, réalisé notamment grâce à des labels emblématiques, désormais en vente. Sont concernés EMI Recording Limited et son label Parlophone qui compte Coldpaly, Blur, Pink Floyd, Lilly Allen ou encore Kylie Minogue dans son catalogue. Seuls les Beatles échappent à la vente de Parlophone, UMG en conservant les droits. EMI France, qui gère le catalogue de David Guetta, sera également cédé, ainsi que des labels de musique classique d’EMI en Europe et d’autres labels moins importants mais disposant chacun de chanteurs stars, donc rentables.

Ces concessions européennes d’UMG ont été nécessaires pour obtenir l’autorisation de la Commission européenne, confirmée le 21 septembre 2012. En effet, selon la Commission, si UMG avait conservé la totalité des actifs européens d’EMI, « l’opération envisagée aurait permis à Universal d’acquérir une envergure telle qu’elle aurait vraisemblablement été en mesure d’imposer des prix plus élevés et des conditions plus onéreuses d’octroi de licences aux fournisseurs de musique numérique ». Autant dire que c’est la musique numérique, grâce à laquelle s’est développé le piratage, phénomène à l’origine de la nécessaire consolidation du marché, qui conditionne désormais les autorisations de fusions. La Commission européenne a d’ailleurs précisé, dans son communiqué, que les acquéreurs des actifs européens d’EMI devraient être d’autres acteurs de la musique afin que soit renforcée la concurrence face à Universal. Warner Music, candidat malheureux au rachat d’EMI, est donc sur les rangs car il doit désormais se renforcer, UMG et Sony Music contrôlant ensemble 75 % du marché mondial de la musique. En effet, si UMG cède une grande partie des actifs d’EMI en Europe, il conserve toutefois les deux tiers du chiffre d’affaires d’EMI dans le monde après l’autorisation de la Federal Trade Commission (FTC) américaine au rachat d’EMI également le 21 septembre 2012.

Sources :

  • « Vivendi soumet son rachat d’EMI à Bruxelles », Delphine Cuny, latribune.fr, 20 février 2012.
  • « Fusion Universal-EMI : Warner contre-attaque », Isabelle Chaperon, Le Figaro, 10 avril 2012.
  • « EMI Publishing : Bruxelles donne son feu vert à Sony », Renaud Honoré, Les Echos, 20 avril 2012.
  • « Fusion Universal-EMI : les problèmes soulevés par Bruxelles », G.P., Les Echos, 24 mai 2012
  • « Rachat d’EMI : Bruxelles réclame des comptes à Universal Music », Marie-Catherine Beuth, Le Figaro, 9 juin 2012.
  • « Les nuages s’accumulent sur le projet de rachat d’EMI par Universal Music », Renaud Honoré et Grégoire Poussielgue, Les Echos, 4 juillet 2012.
  • « Universal Music prêt à lâcher David Guetta pour avoir EMI », Marie- Catherine Beuth, Le Figaro, 1er août 2012.
  • « Universal proche d’obtenir un accord de Bruxelles pour le rachat d’EMI », Renaud Honoré, Les Echos, 4 septembre 2012.
  • « Universal Music obligé de céder le joyau d’EMI », Delphine Cuny, latribune.fr, 21 septembre 2012.
  • « Universal : de lourdes concessions pour acheter EMI », Enguérand Renault, Le Figaro, 22 septembre 2012.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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