Le journalisme de solutions

Le « journalisme de solutions » ou « journalisme d’impact » est présenté comme une alternative au traitement traditionnel de l’information, souvent axé principalement sur les problèmes, soit une conception du travail journalistique à même de susciter l’engagement des citoyens. Autrement dit, ne plus seulement monopoliser l’attention des lecteurs avec ce qui ne marche pas, mais éveiller sa curiosité et son engagement à travers des projets constructifs. Les mauvaises nouvelles font vendre, proposer des solutions renvoie chacun à ses responsabilités. Le journalisme de solutions revient à changer de point de vue.

Une réflexion s’engage pour promouvoir une approche différente dans le traitement journalistique des problèmes de la société, en déterminant une ligne éditoriale axée sur les solutions alternatives plutôt que de suivre le courant dominant en ne faisant qu’exploiter les données du problème.

Fin septembre 2014, une quarantaine de journaux du monde entier ont participé à la journée consacrée au « journalisme de solutions », ou Impact Journalism Day, en publiant un supplément consacré aux initiatives porteuses d’innovation et de changement pour un monde meilleur. Co-fondateur de l’association Reporters d’Espoir, Christian de Boisredon a créé en 2012 la plateforme Sparknews, consacrée aux reportages « constructifs » ou « d’impact » sur des initiatives citoyennes ou entrepreneuriales visant à résoudre des problèmes sociaux ou environnementaux habituellement considérés comme insolubles. Il avait proposé ce concept à Libération en 2005 et le quotidien réalisa sa meilleure vente cette année-là avec la publication d’un Libé des solutions. Pour sa deuxième année, l’Impact Journalism Day a rassemblé deux fois plus de titres de presse que la première fois, touchant près de 100 millions de personnes, ainsi que plus de 10 millions d’internautes par l’intermédiaire des réseaux sociaux. Avec un chiffre d’affaires de 600 000 euros, dont les deux tiers en parrainage, Sparknews ambitionne de convaincre une cinquantaine de journaux pour son édition 2015. Les chaînes de télévision seront également conviées à participer à l’événement. Canal+ et la BBC se sont déjà engagées à produire et à s’échanger un documentaire de six minutes sur « une proposition de solution ». Sparknews prévoit en outre d’éditer deux ou trois suppléments thématiques annuels, notamment un pour l’exposition universelle « Nourrir la planète, énergie pour la Vie » qui se déroulera à Milan l’année prochaine.

Le supplément de huit pages Impact Journalism Day, publié dans l’édition du Monde datée du 23 septembre 2014, présente des projets étonnants pour « Agir », « Inventer », « Mieux vivre » : utiliser le courant naturel pour débarrasser la mer des déchets en plastique ; chauffer gratuitement les logements avec la chaleur dégagée par les ordinateurs ; laisser un livre « en attente » pour un anonyme dans une librairie ; rendre l’eau potable grâce à un filtre qui ne coûte que quelques centimes ; encourager la dénonciation des pratiques de corruption en Inde, etc. Chacune de ces préconisations, nées d’histoires bien réelles est porteuse de connaissances, mais aussi d’optimisme pour ses lecteurs. Car l’objectif de l’Impact Journalism Day est bel et bien de mobiliser ceux auxquels revient la responsabilité de la diffusion de nouvelles le plus souvent anxiogènes et rarement motivantes. Le 24 septembre 2014, vingt rédacteurs en chef des journaux participant à l’événement se sont réunis au siège de l’Agence France-Presse (AFP), à Paris, pour réfléchir ensemble à la portée de l’événement. Le représentant du quotidien Luxemburger Wort y voit « la chance de publier des reportages qui ne l’auraient jamais été sinon », quand l’opportunité « de repenser plusieurs aspects de notre profession » est mise en avant par le rédacteur en chef du quotidien argentin La Nación. Au-delà des retombées publicitaires de l’événement, chacun se demande si le « journalisme de solutions » ramènera des lecteurs, notamment les plus jeunes. « Les jeunes, qui veulent du concret, des solutions, n’achètent plus la presse », constate le rédacteur en chef du quotidien japonais Asahi Shimbun.

En juin 2014, une étude publiée par l’Engaging News Project au sein de l’université du Texas et par l’organisation caritative Solutions Journalism Network défend l’idée que le « journalisme de solutions » profite à la fois aux lecteurs et aux entreprises de presse, voire potentiellement à la société en général. Plus de 750 personnes ont été interrogées sur leurs réactions à la lecture de deux versions distinctes d’un même article : l’une exposant seulement un problème et l’autre comprenant des solutions possibles pour tenter de l’atténuer. Résultats : dans leur grande majorité, les lecteurs des articles de journalisme de solutions se sentent mieux informés et plus intéressés que les autres ; ils sont plus enclins à partager ces informations avec leurs proches, notamment sur les réseaux sociaux ; ils déclarent vouloir rechercher d’autres articles de même nature ; ils se disent plus optimistes et plus susceptibles de s’impliquer.

Les initiatives se multiplient pour promouvoir un « journalisme de solutions ». Journaliste et enseignante, Cathrine Gyldensted est cofondatrice du Centre for Constructive Journalism au sein de la Denmark’s School for Media and Journalism. Elle a la conviction que le journalisme a un besoin urgent d’innovation, davantage dans les contenus que par les supports. Selon elle, les journalistes devraient mieux connaître la façon dont leurs publics partagent l’information et comment ils souhaitent agir, afin d’offrir des éléments qui leur seront utiles.

Coauteur de Fixes, rubrique (op-ed section) du New York Times consacrée à la résolution des problèmes sociaux, et cofondateur de Solutions Journalism Network, David Bornstein explique, quant à lui, que les médias devraient prêter attention aux réponses qu’apportent les individus eux-mêmes face aux problèmes qu’ils rencontrent. Selon lui, les journalistes passent le plus clair de leur temps à diagnostiquer et survoler les problèmes. Leur fonction de « chiens de garde » est cruciale, néanmoins ils devraient également rechercher des solutions, voir ce qui marche ou pas, et en tirer les leçons. David Bornstein a une approche un peu différente de celle de Christian de Boisredon et il s’insurge contre l’idée que le « journalisme de solutions », ou le « journalisme constructif », est un « journalisme de bonnes nouvelles, auxquelles tout le monde est vraiment allergique ». C’est avant tout un travail rigoureux qui amène les individus à réfléchir.

« Si les médias ont le devoir de nous alerter, “porter la plume dans la plaie” – selon l’expression du grand journaliste Albert Londres (1884-1932) – ne suffit plus. Les journalistes ont la volonté de relayer plus souvent les réponses apportées aux problèmes. Ainsi, ils médiatisent toutes les initiatives, inspirent et génèrent plus d’“impact”» annonce l’éditorial du supplément Impact Journalism Day publié en septembre 2014. A condition que le « journalisme de solutions » soit particulièrement scrupuleux quant à cet « impact » en veillant à ne pas confondre l’information et la communication, tant pour la sélection des initiatives qu’il souhaite faire connaître que dans le choix de ses partenariats.

Sources :

  • Sparknews, sparknews.com
  • « Readers like stories about problems more when they also include possible solutions », Caroline O’Donovan, Nieman Journalism Lab, niemanlab.org, June 2, 2014.
  • The Power of Solutions Journalism, Alexander L. Curry and Keith H. Hammonds, Engaging News Project and Solutions Journalism Network, University of Texas, engagingnewsproject.org, June 2014.
  • « Why constructive journalism can help engage the audience », Catalina Albeanu, journalism.co.uk, 18 august 2014.
  • « A l’heure du «journalisme de solution» », Léa Ducré, la-croix.com, 9 septembre 2014.
  • « Acteurs du changement », supplément Impact Journalism Day, Le Monde, 23 septembre 2014.
  • « Spark News prêt à décliner son «Impact Journalism Day» sous la forme de cahiers thématiques », La Correspondance de la Presse, 23 septembre 2014.
  • « Le journalisme de solutions, une solution pour le journalisme ? », Robin Andraca, arretsurimages.net, 25 septembre 2014.
Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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