Confrontées à la crise du marché du disque, les majors comptent sur le numérique

A l’occasion du 41e Marché international du disque et de l’édition musicale (Midem), qui s’est tenu à Cannes en janvier 2007, l’ensemble des acteurs du secteur s’est accordé sur l’aggravation de la crise qui touche le marché du disque, laquelle porte d’abord sur l’effondrement des ventes de CD, ensuite sur la difficile banalisation du téléchargement légal de musique en ligne.

Le 22 janvier 2007, le Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP), qui compte dans ses rangs les quatre majors du disque (Universal Music, EMI, Sony – BMG Music et Warner), dressait un bilan sombre du marché français du disque pour l’année 2006. Pour la quatrième année consécutive, le marché du disque est en baisse, de 10,7 % en valeur (862,7 millions d’euros en 2006) et de 26,6 % en volume par rapport à 2005. Alors que le marché des supports physiques (CD, DVD musicaux) a perdu 40 % de sa valeur en quatre ans, les relais de croissance que sont le téléchargement de musique depuis les téléphones portables et sur les plates-formes de distribution en ligne tardent à se mettre en place. En effet, les supports physiques constituent encore en France 98 % des ventes au détail, même si le nombre d’albums vendus (73,3 millions d’exemplaires) est en baisse de 20,9 % par rapport à 2005, comme d’ailleurs les singles (17,5 millions d’exemplaires), en baisse de 27,9 %.

La musique numérisée est certes en forte progression, mais celle-ci ne saurait compenser les pertes enregistrées sur le marché physique, lesquelles s’élèvent à 172 millions d’euros en 2006. Ainsi, en France, le chiffre d’affaires des titres et extraits télé- chargés, depuis les plates-formes de distribution ou les téléphones portables, s’élève en 2006 à 43,5 millions d’euros, un chiffre en hausse de 42 % par rap- port à 2005. Particularité du marché français, les ventes depuis les téléphones portables tirent la croissance du téléchargement légal de musique. Sur les 43,5 millions d’euros de chiffre d’affaires, la téléphonie réalise à elle seule 20,5 millions d’euros, tandis que les plates-formes de distribution génèrent 23 millions d’euros, soit 2 % du total des ventes au détail. Mais la France est un cas à part dans la mesure où le téléchargement légal, comme le passage du support physique à l’immatériel, sont peu avancés. La vente de musique sur Internet ne représente en effet que 5 % du marché de la musique en France. D’ailleurs, les majors du disque ne s’y trompent pas qui demandent au gouvernement français un taux réduit de TVA pour les CD, à 5,5% au lieu de 19,6%, conscientes que ce support restera, au moins dans les cinq prochaines années, le premier des supports pour la distribution de la musique.

A l’étranger, avec des degrés de maturité différents selon les marchés, la migration vers le numérique semble irréversible. Ainsi, aux États-Unis, malgré le ralentissement du téléchargement en ligne, dont la part de marché se situe aux alentours de 20 %, force est de constater une migration progressive des téléchargements illégaux vers les plates-formes légales. En effet, la multiplication des poursuites judiciaires semble, selon une étude NPD de juin 2006, favoriser le développement du téléchargement légal et inciter les internautes américains à délaisser les sites de peer to peer. Mais les chiffres de l’année

2006 sont toutefois négatifs dans leur ensemble : sur les deux premiers mois de 2007 (1er    janvier – 18 mars), et selon les chiffres fournis par Nielsen SoundScan, les ventes de CD ont reculé de 20 % par rapport à la même période l’année précédente, passant de 112 millions d’exemplaires à 89 millions ; les ventes d’albums en ligne ont également baissé, passant de 119 à 99 millions d’albums téléchargés ; enfin les ventes de singles en ligne sont, quant à elles, en nette augmentation (+ 19 %), passant de 242 millions à 288 millions sur la même période entre 2006 et 2007.

En Corée du Sud, le basculement définitif vers le numérique est annoncé car les ventes en ligne ont dé- passé les ventes physiques. Selon l’International Federation of Phonographic Industry (IFPI), elles représentent 57 % du total des ventes. La Corée du Sud entre dans la catégorie particulière des pays où la vente de musique numérique est tirée par la téléphonie mobile, notamment par les mobiles de troisième génération dont les débits de réception facilitent le téléchargement des titres. Ainsi, au Japon, ce sont près de 90 % des téléchargements de musique qui sont effectués depuis un mobile.

En définitive, le chiffre d’affaires de la musique numérique s’élève, sur le plan mondial, à 2 milliards de dollars en 2006, soit 10 % du marché de la musique, la part de la musique numérique ayant quasi- ment doublée en un an (5,5 % en 2005). L’Europe compte pour 20 % du total des ventes mondiales de musique en ligne. Cette croissance forte du marché dépend toutefois de plusieurs facteurs, notamment du nombre de plates-formes de distribution et du nombre de titres disponibles par plate-forme. En effet, le développement du téléchargement légal a longtemps été entravé par les stratégies séparées des majors qui ne parvenaient pas à s’accorder sur une offre globale. Contre toute attente, c’est un intermédiaire technique, Apple, qui a permis le décollage du marché de la musique numérique : en commercialisation l’iPod, un lecteur portable de fichiers musicaux numériques, tout en proposant simultanément une offre sécurisée sur son site iTunes Music Store, lancé en avril 2003, le fabricant informatique a réussi à convaincre les majors de le laisser distribuer leurs titres. A tel point qu’Apple concentre aujourd’hui 80 % des ventes en ligne de musique aux Etats-Unis. La domination d’Apple sur le marché de la musique en ligne, liée notamment à l’incompatibilité des formats entre l’iPod et les autres baladeurs numériques, laisse toutefois une place à la concurrence.

Ainsi, l’IFPI recense 498 services de musique en ligne dans 40 pays. En France, iTunes, arrive en première position avec près de 50 % du marché, le reste des ventes se répartissant essentiellement ente VirginMega, numéro 2 du marché, et FnacMusic, numéro 3 du marché. A cette exception française près, la bonne santé d’iTunes conditionne indirectement celle du marché de la musique en ligne sur le plan international, marché que les majors considèrent, à terme, comme leur principal poste de recettes.

Cet état de fait pourrait cependant changer, d’abord parce que l’iPod d’Apple soulève des questions d’interopérabilité qui, malgré le récent accord passé avec EMI, retardent le véritable décollage du marché de la musique en ligne, ensuite parce que le marché de la musique numérique devrait encore se diversifier avec le développement des sites communautaires et d’échange. Les sites comme YouTube ou MySpace, devenus des outils de marketing indispensables pour les artistes, devraient à terme constituer un vecteur supplémentaire et significatif de financement de la création musicale, à travers cette fois-ci une formule fondée sur le tiers payant qui rompt avec les modalités anciennes du paiement à l’acte.

A cet égard, le principe du téléchargement illimité de morceaux constitue une des pistes actuellement testées par les majors, que ce soit sur les plates-formes communautaires ou moyennant abonnement. Ainsi, en France, MusicMe a lancé une première plate-forme de téléchargement illimité, pour un abonnement de 14,95 euros mensuels, où l’on retrouve 600 000 titres issus pour la plupart des catalogues des majors.

Sources :

  • « La musique numérique gagne du terrain », Emmanuel Torregano, Le Figaro, 18 janvier 2007.
  • « Le marché mondial de la musique numérique a doublé en 2006 », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 18 janvier 2007.
  • « Année noire pour le disque », Véronique Mortaigne et Sylvain Siclier, Le Monde, 23 janvier 2007.
  • « Le marché du disque broie encore du noir », Emmanuel Torregano, Le Figaro, 23 janvier 2007.
  • « Cinq ans pour remettre la filière musicale en piste », David Carzon, 20 Minutes, 24 janvier 2007.
  • « Effondrement des ventes de CD aux Etats-Unis », I.R., La Tribune, 23 mars 2007.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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