Depuis la vente de la Socpresse à Serge Dassault, en juin 2004, la presse quotidienne régionale française est entrée en phase de restructuration et de concentration. Intéressé par Le Figaro, le titre phare de la Socpresse, Serge Dassault a très vite entrepris de se débarrasser des dizaines de quotidiens régionaux entrant dans le périmètre de la Socpresse. Ainsi, en 2005, Dassault revendait à l’éditeur belge Rossel La Voix du Nord (Lille) et Nord-Eclair (Roubaix). Il se séparait dans la foulée du pôle ouest de la Socpresse en revendant à Sipa-Ouest-France les quotidiens régionaux Le Courrier de l’Ouest, Le Maine Libre et Presse Océan. L’année suivante, en 2006, Dassault vendait le pôle Rhône-Alpes de la Socpresse à EBRA (Est Bourgogne Rhône-Alpes), un groupe détenu à 51 % par l’Est Républicain (famille Lignac) et à 49 % par le Crédit Mutuel Centre Est Europe. Cette vente a constitué un tournant en faisant émerger un acteur majeur de la presse régionale dans l’est de la France, le pôle Rhônes-Alpes de la Socpresse comprenant Le Bien Public, Le Journal de Saône et Loire, Le Progrès et Le Dauphiné Libéré.
A la suite de Serge Dassault, les groupes Lagardère et Le Monde se sont également séparés de leurs titres de presse quotidienne régionale, chacun pour des raisons différentes. Lagardère opère actuellement un recentrage stratégique sur le numérique et a choisi de se séparer de ses activités non stratégiques et insuffisamment rentables. Quant au groupe Le Monde, longtemps intéressé par la presse quotidienne régionale, souhaitant s’imposer dans le sud de la France, l’accumulation des dettes et les turbulences à la tête du groupe l’ont conduit contre toute attente à se séparer des Journaux du Midi.
La vente de leurs quotidiens régionaux par Lagardère et le groupe Le Monde s’est révélée complexe et témoigne à l’évidence d’une évolution des stratégies des acteurs médias et des groupes de presse quotidienne régionale. En effet, Lagardère et Le Monde ont longtemps caressé le projet d’une fusion de leurs deux entités régionales, La Provence, Nice-Matin, Var-Matin, Corse-Matin et le gratuit Marseille Plus pour le premier, les Journaux du Midi pour le second, soit Midi Libre, L’Indépendant, Centre Presse Aveyron et le gratuit Montpellier Plus. Mais les difficultés rencontrées par les titres de la presse régionale, l’érosion progressive du lectorat, la perte de budgets publicitaires pour la publicité extra-locale, ont conduit les deux groupes à évoluer. En effet, la presse quotidienne régionale n’est aujourd’hui rentable qu’à la condition de lourds investissements, de l’obtention d’une taille critique pour espérer survivre et générer des résultats confortables. Autant dire que la PQR impose de plus en plus un développement dans les médias locaux, avec les spécificités propres à ce type d’information, et entre de moins en moins en synergie avec les groupes disposant de médias nationaux.
Ainsi, alors que Le Monde cherchait à réunir dans une même entité les Journaux du Midi et les titres détenus par Lagardère, afin de créer le troisième plus grand groupe de presse quotidienne régionale en France, il s’est résolu dans un premier temps à renoncer au contrôle de ce « pôle sud » de la presse quotidienne régionale en France en envisageant l’arrivée d’un investisseur tiers dès le début de l’année 2007. A l’origine du montage, le groupe Le Monde devait détenir 51 % du « pôle sud » et Lagardère 49 % du capital. Mais Lagardère souhaitant se désengager de la PQR, la recherche d’un partenaire industriel était inévitable, le groupe Le Monde n’ayant pas les moyens de racheter les titres de Lagardère. Des contacts ont donc été pris avec le groupe Hersant Média (GHM), mais également avec des éditeurs étrangers, notamment les groupes espagnols Prisa (présent au capital du Monde), et Vocento.
Les difficultés liées à la succession de Jean-Marie Colombani à la tête du Monde, entre mars et mai 2007, ont conduit à un nouveau renversement de situation. Dès le mois de juillet 2007, Pierre Jeantet, nouveau président du directoire du groupe Le Monde, faisait du désendettement du groupe une priorité et abandonnait les ambitions de son prédécesseur dans la PQR. Le projet de « pôle sud » a été maintenu dans un premier temps, afin de constituer un groupe générant 400 millions d’euros de chiffre d’affaires dans la PQR, mais avec une répartition du capital différente : Lagardère devait se retirer à court terme, le Monde conserver une participation minoritaire avoisinant les 25 % et le nouvel entrant détenir 50 %, voire à terme 75 % du capital de la nouvelle entité.
Le groupe Hersant Média est d’emblée apparu comme le candidat idéal, déjà présent dans la presse et apportant avec lui un projet industriel. Mais le scénario a été réécrit une première fois le 16 juillet 2007 quand le fonds britannique Mecom a proposé 300 millions d’euros pour le rachat à Lagardère de La Provence, Nice-Matin, Var-Matin et Corse-Matin. Cette première brèche dans le projet de « pôle sud » a fragilisé l’offre du groupe Hersant Média, à hauteur de 260 millions d’euros pour les journaux du groupe Lagardère et les journaux du groupe Le Monde, ces derniers étant évalués en valeur d’entreprise entre 140 et 170 millions d’euros, grevés d’une dette de 80 millions d’euros. Bien qu’attractive financièrement, l’offre de Mecom n’a pas convaincu Lagardère. L’offre n’était pas ferme, elle nécessitait une période d’audit et la vente à un fonds aurait par ailleurs rencontré de fortes oppositions politiques et syndicales. Le groupe Lagardère a donc finalement décidé de se séparer au plus vite de ses activités dans la PQR en entrant en négociations exclusives avec le groupe Hersant Media, le 19 juillet 2007, le montant de la transaction étant évalué à 160 millions d’euros. La cession était finalisée le 20 décembre 2007, deux semaines après que la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes eut donné son accord à l’opération.
Le projet de « pôle sud » a vécu quelques jours encore après l’annonce du rachat des quotidiens régionaux de Lagardère par le groupe Hersant Média, ce dernier restant acquéreur des Journaux du Midi. Pourtant, le 27 juillet 2007, le groupe Le Monde, qui négociait depuis le début avec le groupe Hersant Média, annonçait être entré en négociations exclusives pour la cession de ses titres avec le groupe Sud Ouest (GSO). Le montant de la transaction est évalué entre 90 et 100 millions d’euros au regard de l’offre initiale du groupe Hersant Média. Les négociations ont été à l’évidence facilitées par la proximité de Pierre Jeantet avec les représentants du groupe Sud Ouest, dont il a été le président du directoire entre 2001 et 2006. Mais cette transaction est complexe. Si le groupe Sud Ouest s’est porté acquéreur de la totalité du capital dans un premier temps, un montage a été ensuite préparé avec La Dépêche du Midi. En effet, le 26 juin 2007, les deux groupes s’étaient rapprochés pour créer un groupement d’intérêt économique (GIE) afin d’étudier les synergies et les possibilités de mutualisation des moyens, la course à la taille critique obligeant les groupes de PQR à développer des alliances régionales pour réaliser des économies d’échelle et financer le développement de nouveaux services. Aussi, le 7 septembre 2007, La Dépêche du Midi et le groupe Sud Ouest ont-ils annoncé « se porter acquéreur à parité » des Journaux du Midi, constituant à cette occasion le troisième groupe de presse quotidienne régionale en France. Le 31 décembre 2007, le groupe Sud Ouest devenait officiellement propriétaire des Journaux du Midi, date à partir de laquelle La Dépêche du Midi dispose de deux mois pour racheter la moitié des 95,6 % du capital des Journaux du Midi détenu par le groupe Sud Ouest. A l’issue de ces mouvements de fusion, quatre grands pôles de presse quotidienne régionale apparaissent en France. Le pôle sud-ouest regroupe les quotidiens du groupe Sud Ouest, le GIE entre le groupe Sud Ouest et La Dépêche du Midi, le groupe La Dépêche du Midi, enfin Les Journaux du Midi. Il s’étend de Bordeaux à Montpellier et occupe la troisième place en France avec 850 000 exemplaires diffusés et 4 500 salariés. A côté des Journaux du Midi (Midi Libre, 147 533 exemplaires ; L’Indépendant, 64 138 exemplaires ; Centre Presse, 20 974 exemplaires), La Dépêche du Midi apporte ses 193 452 exemplaires diffusés quotidiennement et le groupe Sud Ouest les 312 924 exemplaires de son titre Sud Ouest et les 38 191 exemplaires de La Charente Libre. A ces quotidiens régionaux payants s’ajoutent les gratuits Montpellier Plus et Bordeaux 7. Par ailleurs, le groupe Sud Ouest est l’un des premiers acteurs de la PQR à s’être diversifié. Il est présent dans la presse gratuite avec S3G et contrôle la télévision locale bordelaise TV7.
En deuxième position, le groupe Sipa-Ouest-France, a réalisé un chiffre d’affaires consolidé de 1,12 milliard d’euros en 2006. A l’exception de la pointe bretonne où Le Télégramme de Brest conserve son indépendance, le groupe Sipa-Ouest-France s’étend sur l’ensemble du Grand Ouest depuis le rachat en 2005 à Serge Dassault du pôle ouest de la Socpresse. Le quotidien Ouest-France est diffusé à lui seul à 766 720 exemplaires (OJD à mi-2007), conservant sa place de premier quotidien français, l’ensemble de la holding Sipa-Ouest-France diffusant au total quelque 980 000 exemplaires. Le pôle des Journaux de Loire (Le Courrier de l’Ouest, Presse-Océan et Maine Libre) est actuellement en phase de restructuration. Par ailleurs, le groupe s’est fortement diversifié dans la presse gratuite. Il contrôle, via sa filiale SofiOuest, le groupe Spir, spécialisé dans les journaux d’annonces, et il est l’actionnaire français du quotidien gratuit 20 Minutes. Le groupe a également des participations dans des radios et télévisions locales. Il s’est récemment renforcé dans sa région d’influence, via sa filiale Publihebdos, en rachetant au groupe Hersant Média, fin août 2007, 14 titres de presse hebdomadaire régionale dans les Pays de la Loire et en Normandie.
Désormais premier groupe de presse quotidienne régionale en France depuis le rachat, en février 2006, des quotidiens régionaux de Bourgogne et de Rhône-Alpes à la Socpresse, le groupe EBRA s’étend de Strasbourg à Grenoble et affiche une diffusion de 1,13 million d’exemplaires, grâce notamment à L’Est Républicain (188 330 exemplaires), aux Dernières Nouvelles d’Alsace (180 754 exemplaires), au Progrès (222 562 exemplaires) et au Dauphiné Libéré (242 443 exemplaires). Par ailleurs, le Crédit Mutuel Centre Est Europe, présent à hauteur de 49 % dans le capital d’EBRA, contrôle directement Le Républicain Lorrain (100 % du capital) et L’Alsace-Le Pays (75 % du capital). Avec l’achat de La Provence, de Nice-Matin, Var-Matin et Corse-Matin, le groupe Hersant Média occupe désormais la quatrième place dans la presse quotidienne régionale française avec une diffusion de près de 565 500 exemplaires. Les quotidiens du Sud constituent un pôle de PQR identifié pour le groupe Hersant Média, qui contrôle également Paris Normandie et Le Havre Libre en Normandie, L’Ardennais, L’Est Eclair et L’Union dans le nord-est de la France. Par ailleurs, le groupe Hersant Média, ex-France Antilles, est présent à l’outre-mer. A côté des activités de presse quotidienne régionale, le groupe Hersant Média s’est diversifié dans la presse gratuite d’annonces avec la Comareg (ParuVendu) et dans les télévisions locales. Les activités audiovisuelles locales s’inscrivent désormais dans la stratégie de développement du groupe dans les régions. En novembre 2007, le groupe Hersant Media a ainsi racheté les 49 % de capital qu’il ne détenait pas encore dans la société Antennes Locales. Antennes Locales contrôle à ce jour sept télévisions locales, dont TéléGrenoble, TéléAlsace et la dernière née Paris Cap, rebaptisée Cap24 depuis que le CSA lui a attribué, en juin 2007, un des nouveaux canaux de la TNT pour la région Ile-de-France.
A côté de ces quatre géants, les titres isolés amorcent des rapprochements entre eux. En septembre 2007, le groupe Centre France-La Montagne, basé à Clermont Ferrand, annonçait prendre 35 % du capital de La République du Centre (Orléans) aux côtés de ses deux autres actionnaires, la Société des Amis de la République du Centre et surtout la Nouvelle République du Centre-Ouest (NRCO). Car l’enjeu est bien la constitution d’un grand groupe de presse quotidienne régionale dans le Grand Centre qui réunirait La République du Centre, le groupe NRCO et La Montagne, trois groupes trop modestes pour pouvoir assumer seuls les investissements nécessaires à leur modernisation. Quant à la région parisienne, son relatif isolement dans le jeu des alliances n’empêche pas le groupe Amaury, qui édite Le Parisien (337 631 exemplaires), de déployer une stratégie spécifique plus en rapport avec les autres actifs du groupe.
Ces mouvements de fusion semblent ne pas devoir s’arrêter compte tenu de la faible rentabilité des titres de presse quotidienne régionale. Pour la plupart des acteurs, cette rentabilité passe par la constitution de grands groupes générant des économies d’échelle, mais capables également d’investir dans la modernisation de l’outil industriel et dans des activités de diversification : Internet, presse gratuite d’information, presse gratuite d’annonces et télévisions locales. C’est du moins le constat dressé par l’ensemble des acteurs, comme le résume Michel Comboul, président du Syndicat de la presse quotidienne régionale : aux synergies et mutualisations des coûts, liées au rapprochement des titres dans un même groupe, s’ajoute, pour l’information locale, la nécessité de « trouver le moyen de commercialiser différemment cette richesse d’informations exclusives, que ce soit sur Internet, sur le mobile ou sur tout autre support […] ».
Voilà plusieurs années que ce constat est établi. Les fusions en cours annoncent-elles une véritable réaction, le renouveau de la presse quotidienne régionale ? Au moins constituent-elles la première étape d’une mobilisation des titres pour affronter les enjeux futurs de l’information locale. A cet égard, l’annonce, le 23 octobre 2007, de la création d’une société anonyme simplifiée, regroupant sept quotidiens régionaux, pour étendre à l’ensemble du territoire le site de proximité Maville.com, développé initialement par Ouest-France, témoigne d’une évolution significative des pratiques où les alliances et partenariats l’emportent désormais sur les guerres de territoires qui ont longtemps caractérisé la PQR. Ainsi, le site Maville réunit désormais Ouest-France, Nice-Matin, La Voix du Nord, La Nouvelle République du Centre-Ouest, La Montagne, Midi Libre et Sud Ouest. D’autres titres de la PQR devraient à terme rejoindre le portail Maville, dont l’ambition est tout à la fois de toucher un public jeune et urbain éloigné de la PQR et de proposer aux annonceurs la possibilité d’une communication nationale sur de l’information de proximité.
Sources :
- « Colombani : « Il ne faut pas démanteler le groupe Le Monde »», propos recueillis par Marie-Laetitia Bonavita et Philippe Larroque, Le Figaro, 19 février 2007.
- « Le Monde s’active pour trouver une solution pour sa PQR », Nathalie Silbert, Les Echos, 16 avril 2007.
- « Le Groupe Hersant Média envisage des acquisitions, en France ou en Europe », Marie-Maetitia Bonavita, Le Figaro, 16 mai 2007.
- « La Dépêche et Sud Ouest s’unissent pour passer à l’offensive », Marie-Catherine Beuth, Le Figaro, 26 juin 2007.
- « Le Monde : l’avenir de la PQR au centre d’un conseil de surveillance », Nathalie Silbert, Les Echos, 11 juillet 2007.
- « Groupe Hersant Média en passe de mettre la main sur Nice Matin et La Provence », Nathalie Silbert, Les Echos, 20 – 21 juillet 2007.
- « Sud Ouest rachète les Journaux du Midi au Monde », E.R, Le Figaro, 28 – 29 juillet 2007
- « Le Monde quitte la presse régionale », C.J., La Tribune, 30 juillet 2007.
- « Sud Ouest devrait racheter les Journaux du Midi au Monde », Nathalie Silbert, Les Echos, 30 juillet 2007.
- « Les nouveaux pôles de la presse régionale », Marie- Laetitia Bonavita, Le Figaro, 14 août 2007.
- « Hersant Média s’offre La Provence », I.R., La Tribune, 14 août 2007.
- « Lagardère vend ses quotidiens régionaux au Groupe Hersant Média », Sabine Gignoux, La Croix, 17 août 2007.
- « Grande alliance dans les journaux du Sud Ouest », F.P., La Tribune, 7 septembre 2007.
- « Les quotidiens du « Grand Centre » se marient », Marie- Laetitia Bonavita, Le Figaro, 15 – 16 septembre 2007.
- « Ouest-France cherche un nouveau modèle économique », Pascale Santi, Le Monde, 20 septembre 2007.
- « La Dépêche et Sud Ouest en passe de se payer Midi Libre », Gérard Thomas, Libération, 4 octobre 2007.
- « La nouvelle carte de la presse régionale », Nathalie Silbert, Les Echos, 16 octobre 2007.
- « PQR : grossir pour survivre », Gérard Thomas, interview de Michel Comboul, Libération, 24 octobre 2007.
- « Le réseau maville.com s’étend dans toute la France », Pascale Santi, Le Monde, 25 octobre 2007.
- « Quotidiens régionaux. Les nouveaux empires », Pascale Santi, Le Monde, 14 novembre 2007.
- « Groupe Hersant Média détient la totalité d’Antennes lo- cales », AFP, 28 novembre 2007.
- « Finalisation de la cession des journaux régionaux par Lagardère à Hersant », AFP, 21 décembre 2007.
- « Midi Libre prêt à tomber dans l’escarcelle du groupe Sud Ouest », Nathalie Silbert, Les Echos, 31 décembre 2007.