Les deux quotidiens économiques français changent de mains

Malgré l’offre attractive de Fimalac (voir le n° 2-3 de La revue européenne des médias, printemps-été 2007), le groupe Pearson a préféré LVMH pour lui céder Les Echos. Les dernières tractations avec les représentants des salariés du premier quotidien économique français, acquis à l’offre de Fimalac, auront pourtant été difficiles, au risque pour LVMH de se couper de ses futurs employés.

En dépit des garanties d’indépendance accordées par le groupe de Bernard Arnault, les salariés des Echos auront en effet tout tenté pour éviter la vente du titre à LVMH. Le 11 septembre 2007, le comité d’entreprise des Echos et les représentants syndicaux déposaient un référé devant le tribunal de grande instance (TGI) de Paris, reprochant au britannique Pearson l’opacité du processus de vente. En matière d’opacité, la découverte, le 3 septembre, d’un accord de portage pour le compte de LVMH par Caylon, la banque d’investissement du Crédit agricole, le temps que LVMH se débarrasse de La Tribune pour éviter tout problème avec les autorités de la concurrence, a sans nul doute alimenté les suspicions des salariés. Le 28 septembre 2007, le TGI de Paris déboutait pourtant le CE des Echos de sa demande de lever la confidentialité de la convention de portage.

Enfin, après que le groupe Pearson eut annoncé, le 15 octobre 2007, que la procédure d’information – consultation des élus du CE était close, condition sine qua non à la cession, le CE des Echos engagea une action en référé, le 17 octobre 2007, pour contraindre son actionnaire à reprendre les négociations sur la cession. Une fois de plus, le TGI de Paris n’a pas suivi le CE du groupe et a considéré, dans son verdict rendu le 5 novembre 2007, que Pearson avait fourni les informations nécessaires au processus de consultation. Le même jour, Pearson annonçait officiellement la vente des Echos à LVMH.

Le dernier obstacle au rachat des Echos par LVMH était levé le 20 décembre 2007, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) donnant son autorisation au rachat du quotidien économique sous réserve d’engagements. Ces derniers, au nombre de trois, doivent permettre de remédier aux problèmes de concurrence liés au fait que LVMH, avec sa filiale DI Group, est également propriétaire de La Tribune. Parmi ces engagements, le plus important est indéniablement l’obligation de céder au préalable « le quotidien La Tribune, le site Internet latribune.fr et l’ensemble des actifs nécessaires à leur fonctionnement, selon des modalités permettant d’assurer leur pérennité et les conditions d’une concurrence effective avec le quotidien Les Echos et le site lesechos.fr ». Les deux autres engagements accompagnant l’obligation de cession de La Tribune portent sur le marché publicitaire. Les offres communes d’espaces de publicité financière entre Investir, l’hebdomadaire boursier de DI Group, et Les Echos sont interdites afin de préserver la concurrence entre Investir et les autres hebdomadaires financiers spécialisés comme La vie financière ou Le journal des finances. L’offre commune de couplage publicitaire entre Investir et La Tribune, déjà existante, pourra en revanche être maintenue au profit du nouvel acquéreur. En définitive, pour racheter le premier quotidien économique français, LVMH se retrouve dans une situation paradoxale où il choisit le repreneur de La Tribune, son futur concurrent, et lui garantit par ailleurs des recettes publicitaires.

Ces concessions n’ont pas effrayé LVMH qui, anticipant les réserves de la DGCCRF, a annoncé officiellement la mise en vente de La Tribune dès le 19 octobre 2007, après s’être engagé auprès des personnels du second quotidien économique français à leur présenter les différentes offres de reprise avant d’entrer en négociations exclusives. Initialement, trois offres fermes ont été présentées le 23 octobre 2007, celle d’Alain Weill, PDG du groupe NextRadioTV, qui a proposé de reprendre La Tribune à travers sa holding personnelle News Participations ; celle de Cyril Zimmermann, patron de la régie publicitaire Hi Media ; enfin, celle de Philippe Micouleau, ancien dirigeant de La Tribune et de l’Agefi. Une quatrième offre, présentée comme conditionnelle, a été avancée dans la foulée, regroupant Fabrice Larue, ex-PDG de DI Group, le groupe italien de presse financière Class Editori et la compagnie financière Viel.

Le 7 novembre 2007, LVMH entrait en négociations exclusives avec Alain Weill, dont le plan de reprise prévoit un retour à l’équilibre en trois ans, La Tribune étant déficitaire de près de 15 millions d’euros chaque année pour un chiffre d’affaires de 50 millions d’euros. Dans un premier temps, Alain Weill compte réduire les pertes en multipliant les économies de fonctionnement, sans pour autant lancer un plan social, une garantie qu’avaient demandée les représentants des salariés de La Tribune, le journal comptant au total 127 journalistes. Le plan de relance du titre inclut également une nouvelle formule éditoriale dès 2008, probablement au deuxième trimestre, et quelques pistes, comme le développement des nouvelles technologies et la mutualisation du travail des rédacteurs, pour le site Internet dans un premier temps, voire également pour le quotidien, une agence de presse spécialisée regroupant les journalistes de La Tribune et les activités de NextRadioTV (BFM, BFM TV, RMC, groupe Tests) n’étant pas à exclure à terme.

Le 24 décembre 2007, LVMH annonçait être parvenu à un accord de vente de La Tribune à Alain Weill et, dans le même temps, annonçait le rachat définitif des Echos à Pearson. Alain Weill a précisé avoir acquis La Tribune pour un euro symbolique, le titre étant déficitaire, après une recapitalisation de ce dernier par Bernard Arnault de quelque 34 millions d’euros. Par ailleurs, pour céder son quotidien, Bernard Arnault a également consenti un prêt de 10 millions d’euros à La Tribune afin de relancer le titre.
La cession des deux quotidiens économiques français aura également été l’occasion d’un jeu de chaises musicales entre les directions des Echos et du Figaro. Ainsi, Nicolas Beytout, ancien directeur de la rédaction des Echos, puis directeur de la rédaction du Figaro depuis trois ans, quitte le titre détenu par Serge Dassault pour revenir chez DI Group et en prendre la direction, son objectif étant de développer le pôle médias de LVMH. Etienne Mougeotte, ancien numéro 2 de TF1, à la tête du Figaro Magazine depuis septembre 2007, devient directeur des rédactions du Figaro.

Sources :

  • « Le processus de vente des Echos à LVMH devant la jus- tice », Nathalie Silbert, Les Echos, 21 septembre 2007.
  • « La banque Caylon engagée dans le processus de vente des Echos », Pascale Santi, Le Monde, 22 septembre 2007.
  • « Tensions accrues autour de la vente des Echos », Jean Christophe Féraud, Les Echos, 15 octobre 2007.
  • « Un pas de LVMH vers La Tribune », Sandrine Bajos, La Tribune, 23 octobre 2007.
  • « Trois offres fermes déposées pour la reprise de La Tribune », N.S., Les Echos, 23 octobre 2007.
  • « Offre franco-italienne pour le quotidien La Tribune », R.H., Le Figaro, 26 octobre 2007.
  • « La vente des Echos de nouveau devant la justice hier », Nathalie Silbert, Les Echos, 26 octobre 2007.
  • « LVMH emporte Les Echos après quatre mois d’une rude bataille », Sandrine Bajos et Jean-Baptiste Jacquin, La Tribune, 6 novembre 2007.
  • « LVMH acquiert Les Echos après une longue bataille », Pascale Santi, Le Monde, 7 novembre 2007.
  • « LVMH entend vendre La Tribune au patron de NextRadioTV », Jean-Baptise Jacquin, La Tribune, 8 novembre 2007.
  • « La Tribune : Alain Weill se donne « trois ans maximum  » pour réussir sa relance » AFP, 9 novembre 2007.
  • « Alain Weill négocie en exclusivité l’achat de La Tribune », Pascale Santi, Le Monde, 9 novembre 2007.
  • « Nicolas Beytout futur patron des Echos », La Tribune, 19 novembre 2007.
  • « Il faut être attentif à l’industrialisation de la presse », interview de Nicolas Beytout, propos recueillis par Guillaume Fraissard et Daniel Psenny, Le Monde, 22 novembre 2007.
  • « La ministre de l’Economie précise les conditions au rachat des Echos par LVMH », AFP, 22 décembre 2007.
  • « Feu vert définitif pour la vente des Echos à LVMH », Pascale Santi, Le Monde, 22 décembre 2007.
  • « La Tribune et Les Echos changent de mains », M.-C. L. et I.R., La Tribune, 24 décembre 2007.
  • « Rachat des Echos : Bercy impose ses conditions à LVMH », Jean-Christophe Ferraud, Les Echos, 24 décembre 2007.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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