Après son lancement américain (voir le n° 4 de La revue européenne des médias, automne 2007), l’iPhone d’Apple a été commercialisé en Europe durant le mois de novembre 2007, l’objectif d’Apple étant de reproduire en Grande-Bretagne, en Allemagne et en France la stratégie américaine de distribution exclusive de l’iPhone par un opérateur unique en échange d’une part des revenus des communications des utilisateurs. Cette stratégie, parce qu’elle doit reposer sur un accord exclusif entre Apple et le principal opérateur de téléphonie mobile de chaque pays, conduit ainsi à proposer l’iPhone uniquement dans le cadre de « ventes liées ». En effet, pour Apple, cette vente liée est décisive dans la mesure où elle lui permet de récupérer auprès de l’opérateur près de 30 % des revenus de communications générés par les utilisateurs de l’iPhone, chose impossible si l’iPhone pouvait être utilisé sur n’importe quel réseau, auprès de n’importe quel opérateur, quel que soit d’ailleurs le forfait de son possesseur.
Cette pratique, qui n’a pas posé problème aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, s’est heurtée à la réglementation en Allemagne et en France, remettant en question le modèle économique d’Apple avec l’iPhone qui, rompant avec la neutralité du terminal, veut imposer un réseau et un type de forfait pour son téléphone multimédia.
En Allemagne, Vodafone a déposé une plainte contre T-Mobile, filiale mobile de Deutsche Telekom, qui a obtenu l’exclusivité de la commercialisation de l’iPhone, dénonçant une vente liée obligeant les acquéreurs d’un iPhone auprès de T-Mobile à prendre également un abonnement chez le même opérateur.
Le 20 novembre 2007, à peine deux semaines après le lancement de l’iPhone en Allemagne, un tribunal de Hambourg se prononçait une première fois contre T-Mobile, lui demandant de modifier son offre commerciale, ce qui a conduit dans un premier temps T-Mobile à proposer l’iPhone sans abonnement au prix de 999 euros. Finalement, le 4 décembre 2007, les juges de Hambourg cassaient le jugement initial et autorisaient T-Mobile à ne commercialiser l’iPhone qu’avec un abonnement, T-Mobile pouvant retirer du marché son offre d’iPhone sans abonnement.
Cette possibilité de vente liée, autorisée en dernier ressort en Allemagne, est exclue en France, où la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) s’est prononcée en principe sur l’interdiction des ventes liées. Cette interdiction est certes contournée par les opérateurs qui, en plus des abonnements avec téléphones subventionnés, vendent les téléphones « nus » pour laisser officiellement le choix au consommateur. Apple, qui s’est accordé avec Orange pour la distribution de l’iPhone en France, s’est inspiré de cette pratique, faute de pouvoir imposer un abonnement avec tout iPhone vendu. Dans la mesure où Apple refuse que son téléphone soit subventionné, le prix de l’iPhone « nu » a donc été gonflé pour dissuader ceux qui refuseraient de s’engager auprès d’Orange. L’iPhone d’Apple est ainsi commercialisé sans abonnement par Orange au prix de 749 euros, dont 649 euros pour le téléphone et 100 euros pour le déblocage permettant d’utiliser le terminal sur le réseau d’autres opérateurs.
Cette faille dans le modèle économique d’Apple, qui voit ainsi s’échapper une partie des revenus de communication des utilisateurs de l’iPhone quand ceux-ci ne sont pas clients d’Orange, a grandement compliqué les négociations entre Orange et Apple sur le lancement de l’iPhone en France. En effet, inquiet quant à la possibilité pour les iPhone d’être utilisables sur n’importe quel réseau français, même pour les abonnements souscrits auprès d’Orange, tout téléphone devant pouvoir être débloqué après un délai de six mois, comme le prévoit la législation française, Apple a souhaité dans un premier temps récupérer une part plus importante en France des revenus de communication des utilisateurs de l’iPhone. Orange, qui s’y est opposé, a finalement obtenu – sans préciser les termes de l’accord final – l’exclusivité de la distribution de l’iPhone sur le marché français, profitant de sa position de leader sur le marché de la téléphonie mobile. L’opérateur français s’est prononcé en faveur du modèle économique défendu par Apple et a annoncé, le 26 octobre 2007, qu’il se disposait à « intenter toute procédure de justice à même de garantir son exclusivité », des menaces qui n’ont pas empêché l’iPhone d’être en vente sur des sites Web, sans abonnement Orange, dès le jour de son lancement en France.
En France, comme aux Etats-Unis ou dans les autres pays européens, les iPhone débloqués ne permettent plus, toutefois, d’effectuer les mises à jour logicielles du système d’exploitation du téléphone multimédia, un moyen pour Apple de protéger son modèle économique et de s’assurer des revenus liés à son activité d’éditeur de logiciels.
Car c’est bien là l’enjeu de l’iPhone, à la différence des autres mobiles, où le terminal n’est pas lié à un univers logiciel et des services spécifiques. A l’instar de l’iPod, l’iPhone se veut en effet un support dédié à l’offre de services d’Apple, le téléphone devant être activé depuis le site iTunes et les logiciels utilisés étant édités par Apple, qui reste opposé à une ouverture de son système d’exploitation à d’autres éditeurs de logiciels.
Sources :
- « Avec l’iPhone, Apple impose un nouveau modèle », Gilles Fontaine, Challenges, 27 septembre 2007.
- « Imbroglio entre Apple et Orange sur l’iPhone », D.C., La Tribune, 1er octobre 2007.
- « Le cas iPhone : aux confins du droit, de la stratégie et de la technologie », point de vue de Christophe Roquilly, Les Echos, 3 octobre 2007.
- « iPhone : l’heure de vérité pour le modèle Apple », Michel Ktitareff, Les Echos, 17 octobre 2007.
- « Orange veut protéger son iPhone », F.P., La Tribune, 26 octobre 2007.
- « La bataille de l’iPhone aura lieu », Joël Morio, Le Monde, 27 octobre 2007.
- « Contestations sur la vente de l’iPhone en Allemagne », F.P., La Tribune, 21 novembre 2007.
- « L’iPhone « nu » et « débloqué » vendu 749 euros à partir de jeudi », AFP, 28 novembre 2007.
- « T-Mobile peut garder l’exclusivité de l’iPhone en Allemagne », Les Echos, 5 décembre 2007.