Après les déclarations surprenantes de Steve Jobs, le patron d’Apple, pour la suppression des DRM et l’annonce, le 2 avril 2007, d’un accord entre EMI et iTunes Music Store pour la diffusion des titres de la major sans mesure technique de protection (DRM – Digital Rights Management –) (voir le n° 2-3 de La revue européenne des médias, printemps-été 2007), le mouvement en faveur de la suppression des DRM pour la musique semble l’emporter. L’enjeu est de taille : longtemps considérés comme un rempart contre le piratage, en interdisant notamment la copie des titres achetés vers d’autres supports, les DRM apparaissent aujourd’hui comme une entrave au développement des offres légales de musique en ligne, de par les restrictions qu’ils imposent et l’avantage ainsi conféré aux fichiers en format MP3, sans système anticopie.
A cet égard, la suppression des DRM suscite l’engouement des plates-formes de distribution. En effet, demandée d’abord par les concurrents d’Apple, alors que le service iTunes domine le marché et a longtemps imposé son propre format de lecture des fichiers audio, la suppression des DRM ouvre le marché en permettant à tout détenteur de lecteur audionumérique d’acheter ses titres sur n’importe quelle plate-forme, sans prendre en compte les contraintes de format et de protection imposées par les constructeurs, le format de compression MP3 étant déjà un standard universel. Ainsi, avant même qu’iTunes ne commercialise les titres d’EMI en MP3, moyennant toutefois un surcoût de 30 % par rapport aux titres vendus avec un système anticopie, soit 1,29 euro au lieu de 0,99 euro, les mêmes titres d’EMI étaient déjà disponibles en MP3 sur les plates-formes françaises de vente de musique en ligne. Dès le 29 mai 2007, la plate-forme de musique M6brigademusic.fr, détenue conjointement par la chaîne éponyme et la société suédoise Brigademusic, mettait en ligne les premiers titres d’EMI en MP3 pour 1,19 euro le titre et 9,90 euros l’album, un prix identique aux albums protégés par DRM. Le lendemain, VirginMedia commercialisait à son tour les titres d’EMI en MP3. Depuis, les accords entre EMI et les plates-formes de distribution se sont multipliés, qu’il s’agisse de plates-formes pour mobiles, à l’instar de SFR en France, ou de nouveaux entrants sur le marché de la musique en ligne, à l’instar d’Amazon.com.
Le choix d’EMI a par ailleurs incité les majors à tester la vente de musique en ligne sans DRM. Dans un premier temps, Universal Music a mis en vente un album live d’Emilie Simon sans DRM en mars 2007. La tendance s’est imposée ensuite, notamment parce que le développement des offres légales sans DRM doit permettre de tirer la croissance du marché en faisant tomber les contraintes techniques auprès des utilisateurs, mais également parce qu’il laisse imaginer qu’émergeront des plates-formes concurrentes au modèle iTunes Music Store, qui permettront aux majors de s’émanciper d’Apple et des conditions financières que le groupe électronique leur impose.
Le 9 août 2007, Universal Music annonçait ainsi un test à grande échelle de vente de musique en ligne sans DRM. Portant sur des milliers d’albums des artistes du groupe, à l’instar des rappeurs 50 Cent ou Dr Dre, de groupes de rock comme Sting, ce test permettra, selon Universal Music, d’« analyser des facteurs tels que la demande client, la sensibilité au prix, et la piraterie ». Réalisé aux Etats-Unis, sur le premier marché mondial du disque, ce test porte sur une période limitée, du 21 août 2007 au 31 janvier 2008. Il concerne quasiment toutes les plates-formes, Rhapsody, éditée par RealNetworks, Amazon.com, WalMart, sauf la plate-forme d’Apple, iTunes Music Store, signe s’il en est de la volonté d’Universal Music de favoriser la concurrence. Officiellement, l’absence de commercialisation en MP3 des titres d’Universal sur iTunes doit permettre de comparer l’évolution des ventes avec DRM chez Apple et sans DRM chez ses concurrents. Dans les faits, Universal Music s’oppose à Apple, qui cherche à lui imposer ses conditions dans l’univers de la vente de musique en ligne, notamment la conclusion de contrats à long terme, d’une durée de deux ans, sans possibilité de réévaluation mois par mois des termes de l’accord, ce qui a conduit la major à refuser de s’engager de nouveau avec Apple sur un contrat pluriannuel. La décision d’Universal Music de commercialiser ses titres en MP3, après le choix d’EMI, a finalement incité les autres majors à revoir leur stratégie d’opposition à la suppression des DRM, lesquels ne sont plus véritablement défendus que par Sony-BMG. Revenant donc sur ses positions, Warner Music annonçait, fin décembre 2007, un accord avec Amazon.com pour la commercialisation de son catalogue sans DRM. A l’instar du test réalisé par Universal Music, la stratégie de Warner Music vise à favoriser la concurrence face à l’hégémonique iTunes Music Store d’Apple.
Le site de téléchargement de musique d’Amazon, baptisé Amazon MP3 et lancé fin septembre 2007, compte s’imposer face à Apple en ne proposant, comme son nom l’indique, que des titres en MP3. L’offre de Warner vient ainsi compléter les catalogues d’Universal Music et d’EMI sur le service de distribution d’Amazon. Outre l’intérêt commercial des titres en MP3, Amazon MP3 met en avant auprès des majors les 69 millions de consommateurs actifs fréquentant sa plate-forme commerciale.
Quant à Sony-BMG, qui défend encore à ce jour le recours aux DRM, sa position pourrait être amenée à évoluer. D’abord parce que Sony-BMG est désormais la seule major à ne pas tester la vente de titres sans DRM, ensuite parce que la législation peut imposer le cas échéant la commercialisation de la musique en ligne sans DRM. Ainsi, une des conclusions de la mission Olivennes, en France, prévoit à la mi-2010 l’accès sans DRM à l’ensemble des titres du répertoire francophone afin de favoriser l’attractivité des offres légales en ligne. Une façon de considérer définitivement les systèmes anticopie comme un repoussoir pour les usagers et une prime involontaire au piratage.
Sources :
- « Musique sans logiciel anticopie: M6 signe avec EMI », Le Figaro, 30 mai 2007.
- « Universal Music ne veut plus signer d’accord à long terme avec Apple », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 3 juillet 2007.
- « Universal Music attaque les positions d’Apple », Marie-Catherine Beuth, Le Figaro, 11 août 2007.
- « Universal teste la vente de musique en ligne sans verrou de protection », Jamal Henni, Les Echos, 13 août 2007.
- « Musique en ligne : Amazon veut concurrencer Apple », Laetitia Malhes, Les Echos, 27 septembre 2007.
- « Warner Music enlève les verrous sur sa musique vendue en ligne », G.P., Les Echos, 31 décembre 2007.