Face à la baisse simultanée de leur diffusion et de leurs revenus publicitaires, les quotidiens américains diminuent leurs effectifs. Ils n’ont pourtant jamais à ce point séduit lecteurs et annonceurs, si l’on tient compte du Web.
En quatre ans, la diffusion totale de l’ensemble des principaux quotidiens aux Etats-Unis a chuté de 10 %, soit environ 1,4 million d’exemplaires. Certains titres ont perdu entre 20 % et 30 % de leur diffusion. Entre septembre 2003 et septembre 2007, le San Francisco Chronicle a perdu 28,8 % de sa diffusion (365 234 exemplaires en septembre 2007) ; le Los Angeles Times, -20,2 % (794 705 ex.) ; The Boston Globe, -19,9 % (360 695 ex.) ; The Washington Post, -13,3 % (635 087 ex.) ; The New York Times, -7,2 % (1 037 828 ex.) ; The Wall Street Journal, -3,8 % (2 011 882 ex.). Si certains titres ont souffert plus que d’autres, rares sont ceux qui ont gagné des lecteurs sur la même période, à l’instar d’USA Today, le seul quotidien diffusé sur l’ensemble du territoire des Etats-Unis, +2,1 % (2 293 137 ex.), et le New York Post, +2,3 % (667 119 ex.). Selon l’Audit Bureau of Circulation, la baisse se confirme. Les 25 plus grands quotidiens américains enregistrent en moyenne une baisse de 3,6 % de leur diffusion sur un semestre, entre octobre 2007 et mars 2008. Seules les ventes d’USA Today et du Wall Street Journal augmentent sensiblement pendant cette période.
Cette baisse des ventes n’est guère compensée par des gains publicitaires. Le secteur de la presse quotidienne doit affronter la baisse la plus importante de ses revenus en provenance de la publicité depuis 50 ans, lorsque la Newspaper Association of America a commencé à mesurer les investissements publicitaires. Les recettes publicitaires ont chuté de 9,4 % en 2007 pour atteindre 42 milliards de dollars. La plus forte baisse enregistrée jusqu’alors était de 9 % en 2001.
Les recettes publicitaires totales pour 2007 atteignent 45,3 milliards de dollars en incluant la publicité en ligne, soit une baisse de 7,9 % par rapport à 2006. Les revenus de la publicité sur Internet représentent 7 % des revenus publicitaires totaux des journaux en 2007 contre 5,7 % en 2006, soit la somme de 3,2 milliards de dollars. Ils ont connu une augmentation de 18,8 % en 2007 contre 31,4 % en 2006 et 31,4 % en 2005. Mais la croissance de la publicité en ligne ne parvient pas à compenser le manque à gagner publicitaire de l’édition papier : la publicité nationale, égale à 7 milliards de dollars en 2007, a chuté de 6,7 % ; la publicité locale atteignant 21 milliards a perdu 5 % ; quant aux petites annonces, elles ont régressé de 16,5 %, soit un montant de 14,1 milliards de dollars en 2007.
En février 2008, l’annonce de la suppression de 100 postes de journalistes au New York Times donne la mesure des dispositions envisagées par les éditeurs pour faire face à la baisse de leur chiffre d’affaires, due en partie seulement au ralentisse- ment de l’économie américaine. Après avoir résisté plusieurs années, le quotidien américain The New York Times a planifié une diminution de 7,5 % de l’effectif de sa rédaction qui employait 1 332 personnes. Il conserve encore la plus importante newsroom du pays. Aucun autre quotidien américain ne compte plus de 900 journalistes aujourd’hui. Aux Etats-Unis, de nombreux titres ont pratiqué des coupes encore plus importantes proportionnelle- ment. Certaines rédactions ont perdu plus de 20 % de leurs effectifs au cours des dix dernières années.
De nombreux titres ont récemment subi le même sort. The Mercury News de San José a licencié la moitié de ses 400 journalistes depuis 2000. La rédaction du San Diego Union-Tribune compte 100 collaborateurs de moins, 10 % de sa rédaction. Le Los Angeles Times a perdu 330 rédacteurs, passant de 1 200 à 870 en trois ans, et il a récemment annoncé la suppression de 40 à 50 postes supplémentaires. Le Washington Post est passé de 900 à 800 journalistes. Seul le Wall Street Journal, qui emploie 750 journalistes, a annoncé une future augmentation de ses effectifs.
Toutes ces entreprises de presse ne sont pas déficitaires. Au contraire, elles dégagent des bénéfices et leur marge d’exploitation se situe entre 13 % et 22 %. La situation financière des entreprises reste saine, malgré le déclin de leurs bénéfices. Le groupe New York Times a réalisé un chiffre d’affaires de 3,2 milliards de dollars et un bénéfice de 208,7 millions de dollars, mais la marge d’exploitation des quotidiens du groupe est de 8 %. Aussi, la valeur boursière du groupe a-t-elle perdu 50% entre mi- 2002 et début 2008. Des résultats jugés globale- ment insuffisants par ses actionnaires, notamment deux fonds de placement qui ont acquis récemment 10 % du capital. Pour réaliser des économies, certains titres ont commencé par réduire leur format. Le Wall Street Journal est ainsi parvenu à épargner près de 18 millions de dollars par an. Le New York Post et le New York Times ont également rétréci pour être moins chers à fabriquer. Mais, cette fois-ci, l’augmentation de la rentabilité passera par une baisse plus importante des coûts de production, par la suppression d’emplois au sein de ces entreprises.
Les patrons de presse comme les analystes estiment qu’il faudra au moins cinq ou dix ans à l’industrie de la presse pour retrouver son équilibre et que beaucoup de journaux, parmi ceux qui auront survécu, seront de moindre taille et pratiqueront un journalisme « moins ambitieux ». Avec des rédactions réduites, la plupart des titres restreignent leur nombre de reportages, notamment à l’étranger où certains ont fermé plusieurs de leurs bureaux.
Les journaux n’ont pourtant jamais eu autant de lecteurs et ils n’ont jamais vendu autant d’espaces publicitaires, si l’on tient compte de leurs éditions en ligne. Le site Web du New York Times détient le record de la presse en ligne américaine avec plus de 20 millions de visiteurs uniques. Une récente étude de l’institut ComScore montre que les non-lecteurs de journaux imprimés ont entre 18 et 34 ans et qu’ils sont de bien plus gros consommateurs d’information en ligne que la moyenne. Cependant, pour un dollar dépensé par les annonceurs pour atteindre un lecteur de l’édition papier, 5 cents suffisent pour toucher un lecteur en ligne. Pour compenser les pertes sur leurs marchés traditionnels, les titres devraient pouvoir compter sur une croissance forte de la publicité sur Internet. Or la hausse de ces revenus a déjà ralenti brutalement en 2007.
Sources :
- « An Industry Imperiled by Falling Profits and Shrinking Ads », Richard Pérez-Peña, nytimes.com, February 7, 2008.
- « The Times to Cut 100 News Jobs », Richard Pérez-Peña, nytimes.com, February 15, 2008.
- « Exclusive : Charting 4-year Circ Plunge at Major Papers », Jennifer Saba, editorandpublisher.com, March 11, 2008.
- « NAA Reveals Biggest Ad Revenue Plunge in More Than 50 Years », Jennifer Saba, editorandpublisher.com, March 28, 2008.