En Allemagne, la présence des médias de service public sur le Web est jugée déloyale

A la suite d’une plainte émanant des médias privés pour distorsion de concurrence, les chaînes de télé- vision et les radios publiques allemandes devront désormais limiter leurs activités sur Internet. L’inventaire des contenus autorisés et interdits sera publié dans un catalogue.

L’ampleur du conflit reflète la place d’Internet dans l’économie des médias traditionnels, le premier de cette importance, selon les journaux, depuis le lancement des chaînes privées au début des années 1980. Les groupes de médias privés, soutenus dans leur démarche par la commissaire européenne chargée de la concurrence, Nelly Kroes, et par la commissaire européenne chargée de la société de l’information, Viviane Reding, estiment que l’usage d’Internet à des fins commerciales par le service public de l’audiovisuel constitue une concurrence déloyale.En juin 2008, le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung dénonçait des médias publics « seuls garants d’un journalisme de qualité » et « qui prennent l’espace de la presse libre ». Le financement du secteur public de l’audiovisuel est déjà assuré par la redevance, d’un montant total annuel de 7,3 milliards d’euros, alors qu’Internet constitue pour les groupes privés une nouvelle ressource, primordiale pour certains.

La polémique lancée au printemps 2008 par les médias privés, plus particulièrement par les éditeurs de presse, leur a finalement été bénéfique puisque les chefs de gouvernement des 16 Länder ont établi en juin 2008 un projet de contrat encadrant l’utilisation du Web par l’ARD, la ZDF, Deutschlandradio et leurs antennes régionales. Le texte prévoit deux restrictions importantes. La première concerne les contenus mis en ligne, lesquels doivent désormais être strictement en rapport avec les émissions diffusées. Les médias publics allemands ne pourront plus éditer de presse en ligne et ils ne devraient donc plus disposer de rédactions ad hoc. (En Allemagne, 90 % des 14 à 29 ans s’informent régulièrement sur Internet). La seconde touche les programmes audiovisuels pour lesquels la mise en ligne sur le Web ne pourra excéder une durée de sept jours, à l’exception des événements sportifs pour lesquels la télévision de rattrapage sera accessible au maximum pendant 24 heures.

La liste des contenus concernés par ce nouvel accord, autorisés ou interdits, figurera dans un catalogue. Pour le chef de la conférence régionale des Länder, Roland Koch, il est certain que toutes les activités purement commerciales allant de la vente en ligne de produits culturels aux petites annonces de rencontres, en passant par les offres promotionnelles touristiques, seront désormais exclues. La part de la redevance que les deux chaînes publiques consacrent à leur portail Internet est infime et le nouvel accord ne prévoit pas de fixer le montant de leur investissement à venir sur le Web.

L’association des éditeurs de presse (VDZ), soutenue par le patronat allemand (BDI), estime que l’accord va dans le bon sens, même s’il n’est pas assez strict puisqu’il reconnaît l’usage du Web par les médias publics. Cet accord a été mal accueilli par de nombreux journalistes, la Fédération des associations de consommateurs (VZBV), la confédération des syndicats (DGB) et certaines églises, qui y voient une atteinte aux missions de service public en matière d’information et d’éducation, au profit des médias privés. Si la Commission européenne donne son feu vert, l’accord devrait être adopté lors de la prochaine réunion des ministres-présidents des 16 Länder en octobre 2008. Ce projet constitue d’ores et déjà une victoire pour les groupes de médias privés.

Sources :

  • « L’Allemagne prête à limiter la place des médias publics sur Internet », AFP, tv5.org, 12 juin 2008.
  • « L’Allemagne encadre l’offre Internet des médias publics », Karl de Meyer, Les Echos, 16 juin 2008.
Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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