Time Warner se restructure au détriment du câble et d’AOL

Le géant mondial de la communication, le groupe Time Warner, se recentre progressivement sur les médias et restructure AOL. L’ancienne étoile de l’Internet mondial se positionne désormais sur le secteur stratégique de la publicité en ligne pour inverser la chute de son activité depuis l’explosion de la bulle spéculative autour des nouvelles technologies. Cette réorganisation de Time Warner a un coût, qui passe par la sortie du câble du périmètre du groupe et par la cession probable de certaines activités d’AOL, qui doit d’abord être scindé en deux branches, l’une pour l’accès, l’autre pour les contenus et la régie publicitaire.

Après avoir cherché à imposer en vain ses actionnaires au conseil d’administration de Time Warner entre 2005 et 2006, le raider Carl Icahn est finalement en train d’obtenir gain de cause sur la stratégie de démantèlement qu’il a toujours préconisée pour le géant américain de la communication. En effet, le remplacement de Richard Parsons par Jeffrey Bewkes à la tête de Time Warner, le 1er janvier 2008, annonce une vaste réorganisation du groupe, notamment pour doper le cours de Bourse de Time Warner, celui-ci ayant chuté de 29 % sur la seule année 2007. Parmi les grands chantiers annoncés, Time Warner va se désengager de sa division câble, Time Warner Cable (TWC), qui génère à elle seule 34 % du chiffre d’affaires du groupe, mais également procéder à la scission d’AOL, entre les activités de contenus et de régie publicitaire d’une part, les activités de fournisseur d’accès Internet d’autre part, afin d’« accroître les options stratégiques de chacune des branches » selon Jeffrey Bewkes.

La vente de Time Warner Cable

Fortement endetté, le groupe Time Warner a annoncé, en mai 2008, avoir trouvé un accord sur les modalités de sa scission avec sa filiale Time Warner Cable (TWC), qu’il détient à 84 %. La scission, qui doit être effective au quatrième trimestre 2008, se traduira par le versement par Time Warner Cable d’un dividende exceptionnel de 10,9 milliards de dollars, dont 9,25 milliards de dollars reviendront à Time Warner pour sa participation de 84 % dans TWC. L’opération permettra ainsi à Time Warner de solder près des deux tiers de sa dette, même si elle lui fait perdre sa division la plus importante, au moins en termes de chiffre d’affaires et de rentabilité. Ainsi, au deuxième trimestre 2008, TWC a enregistré une hausse de 7 % de son chiffre d’affaires, à 4,3 milliards de dollars, une bonne performance alors que le câble américain est de plus en plus concurrencé par les opérateurs de télécommunications et que TWC supporte les coûts d’intégration de l’ex-numéro cinq du câble américain, Adelphia, racheté en 2007 alors qu’il était en faillite.

Les conséquences de la bulle spéculative pour AOL

La scission d’AOL, l’ancien fleuron de la « nouvelle économie » qui s’était emparé de Time Warner en janvier 2000 pour 183 milliards de dollars, s’inscrit dans le processus de réorientation stratégique du fournisseur d’accès et éditeur de services. AOL s’est imposé à la fin des années 1990 grâce à sa politique d’abonnement, qu’il s’agisse des premiers abonnements pour l’accès à Internet ou tout simplement de l’abonnement à son portail pour l’accès à des services en ligne. Or le succès du financement publicitaire des services en ligne, après l’éclatement de la bulle spéculative entre 2000 et 2001, a fait voler en éclats le modèle économique de l’abonnement. Les conséquences ont été nombreuses pour AOL.

Première d’entre elles, la mise en ligne de services financés par la publicité n’impose plus d’avoir un parc d’abonnés pour leur offrir des services complémentaires et une offre de portail. En conséquence, les activités de fournisseur d’accès et d’éditeur de services sont moins interdépendantes aujourd’hui qu’elles ne le furent à la fin des années 1990.

Deuxième conséquence, le marché de l’Internet se structurant de plus en plus sur les recettes publicitaires, le contrôle des régies en ligne devient stratégique (voir le n°6-7 de La revue européenne des médias, printemps-été 2008). La spéculation aidant, le coût d’accès au marché des régies en ligne s’envole, mobilisant les plus grands acteurs, Google, Microsoft, Publicis, et imposant aux sociétés qui souhaitent s’emparer de start-up (jeunes pousses) soit de disposer de grandes quantités de liquidités, soit de procéder à des acquisitions en actions. Or AOL a été retiré de la Bourse après avoir vu ses recettes et perspectives s’effondrer. C’est en grande partie la raison pour laquelle le groupe n’a pas pu faire face à Google dans la compétition pour le rachat de Double Click ni relever son offre dans l’OPA lancée contre TradeDoubler, la régie interactive d’origine suédoise, qui lui a finalement échappé.

Troisième conséquence, l’émergence d’offres de services non liées à des activités d’accès favorise aujourd’hui les sites communautaires, nouveaux points d’entrée sur Internet, au détriment des portails et même des moteurs de recherche. En définitive, l’univers en ligne des internautes se structure désormais à partir de leur moteur de recherche et de leurs affiliations aux réseaux sociaux, jamais à partir d’un portail dont l’offre, parce qu’elle est propriétaire et contrôlée par son éditeur, est par nature limitée.

La réorientation stratégique d’AOL

Conscient des limites actuelles du modèle d’AOL, la direction de Time Warner a entrepris une réorientation stratégique du groupe depuis 2006. Cette réorientation s’est d’abord traduite par la vente fin 2006 des activités européennes de fournisseur d’accès, AOL conservant à chaque fois ses activités de fourniture de contenus, d’édition de portail et de régie en ligne (voir le n°0 de La revue européenne des médias, hiver 2006).

Dans un deuxième temps, le groupe a cherché à renforcer ses activités de régie publicitaire en ligne et mobile en investissant près d’un milliard de dollars pour racheter notamment les sociétés Tacoda, AdTech, Third Screen Media, Lightingcast, Quigo, toutes réunies dans une division publicitaire baptisée Platform A. Pour garantir un débouché à Platform A, outre la gestion de certains sites tiers, AOL a également entrepris une reconquête de son audience en ligne. L’ensemble des sites AOL se classe à la quatrième position mondiale, derrière Google, Yahoo! et Microsoft, notamment grâce aux service de messagerie instantanée AIM et ICQ.

Pour résister aux trois géants de l’Internet mondial, AOL a dû toutefois jouer également la carte des sites communautaires : alors que Google s’est emparé de YouTube, Yahoo! de Flickr et que Microsoft a pris une participation au capital de Facebook, AOL est parvenu à s’emparer, pour 850 millions de dollars, du réseau social britannique Bebo, leader au Royaume-Uni, en Irlande, mais également en troisième position aux Etats-Unis derrière Facebook et MySpace. Annoncée le 13 mars 2008, cette opération permet à AOL de doubler le nombre d’internautes directement touchés par le groupe, les 40 millions d’utilisateurs de Bebo s’ajoutant au 40 millions d’utilisateurs des messageries d’AOL.

La scission annoncée d’AOL

Réorganisée en régie publicitaire en ligne et forte de son audience, la branche « contenu » d’AOL constitue aujourd’hui un géant de l’Internet, mais qui doit encore s’imposer face aux trois leaders mondiaux de l’Internet, Google, Yahoo! et Microsoft, sauf à se rapprocher de l’un des trois à l’occasion de la consolidation annoncée du marché de l’Internet. Consciente de l’intérêt stratégique de cette option, la nouvelle direction de Time Warner a annoncé la scission des activités de fournisseur d’accès et d’édition d’AOL, qui sera effective au quatrième trimestre 2008. Estimée par les analystes financiers entre 3 et 4 milliards d’euros, la branche « contenu » et régie publicitaire est la plus stratégique pour le groupe Time Warner, du moins s’il veut garder une présence sur Internet.

Alors que Microsoft et Google se livrent une guerre autour de Yahoo! (voir infra), la branche « contenu » et régie en ligne d’AOL pourrait bénéficier des surenchères pour le contrôle du marché publicitaire sur Internet. Des discussions ont été engagées avec Yahoo! et Microsoft, sans que le groupe Time Warner ait confirmé sa volonté de céder la branche « contenu » d’AOL. Reste cependant que Google, désireux de faire barrage à ses deux rivaux, avait pris en décembre 2005 une participation dans AOL à hauteur de 5 % du capital, pour un milliard de dollars, à l’époque pour sécuriser l’accord commercial passé avec AOL en 2002. Cette participation, que Google pourrait aujourd’hui déprécier dans la mesure où la valeur d’AOL, estimée en 2002 à 20 milliards de dollars, a été depuis divisée par deux, permet toutefois au moteur de recherche de peser sur les éventuelles transactions entre la branche « contenu » d’AOL et ses repreneurs potentiels.

La vente de l’activité américaine de fournisseur d’accès d’AOL, qui cumule 8,1 millions d’abonnés, est beaucoup plus probable, d’autant que des prétendants se sont déjà manifestés. Valorisée entre 2 et 3 milliards de dollars, la branche accès d’AOL a suscité l’intérêt du fournisseur d’accès EarthLink, qui a déclaré ses intentions fin juillet 2008. Les enchères pourraient monter avec l’arrivée inattendue de Liberty Media, John Malone ayant proposé à Time Warner de lui échanger les 2,8 % du capital qu’il détient dans le groupe, une participation valorisée à 1,76 milliard de dollars, en échange de la branche accès d’AOL. Pour John Malone, patron de Liberty Media, il s’agit de se défaire d’une participation passive et de prendre le contrôle d’une entreprise rentable. L’opération, si elle a lieu, permettra à Liberty Media de renforcer son offre en couplant télévision et Internet. En effet, John Malone a déjà échangé sa participation dans News Corp., début 2008, contre le contrôle de DirecTV et de ses 10,7 millions d’abonnés, auxquels il pourrait adjoindre les abonnés AOL pour étoffer sa clientèle « adressable ».

Sources :

  • « Time Warner planche sur l’éventuel retour en bourse d’AOL », Delphine Cluny, La Tribune, 11 juin 2007.
  • « Time Warner pourrait introduire AOL en Bourse en 2008 », S.G., Les Echos, 2 janvier 2008.
  • « Time Warner va scinder AOL en deux », Virginie Robert, Les Echos, 7 février 2008.
  • « AOL multiplie les acquisitions », I.R., La Tribune, 14 mars 2008.
  • « Time Warner va récupérer 9,2 milliards de dollars en se séparant de son câble », Les Echos, 22 mai 2008.
  • « Time Warner achève la séparation des activités d’AOL », Valérie Collet, Le Figaro, 5 août 2008.
  • « Google va déprécier sa part dans AOL », Olivier Pinaud, La Tribune, 11 août 2008.
  • « Liberty Media convoite une branche d’AOL », V.C., Le Figaro, 13 août 2008.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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