En Europe, les difficultés de la presse conduisent à des rapprochements stratégiques entre éditeurs

Alors que les procédures de faillite se multiplient aux Etats-Unis, la presse européenne amorce un processus de concentration pour faire face aux défis lancés par la crise. Les rapprochements sont motivés soit par l’urgence, ainsi que l’atteste le rachat du néerlandais PCM par le groupe de presse belge De Persgroep, soit par des synergies et le souhait d’atteindre une taille critique, comme le rapprochement en Suisse des groupes de presse Edipresse et Tamedia. En revanche, quand les projets industriels manquent, les difficultés s’accumulent, notamment pour les quotidiens de gauche italiens.

La crise économique et financière, qui pèse lourdement sur les recettes publicitaires des titres de presse, ainsi que les défis lancés par Internet aux quotidiens et aux magazines, conduit en Europe à un mouvement de concentration des éditeurs. Mais les motifs des rapprochements sont variés, qui vont des menaces de faillite aux rapprochements stratégiques.

Le néerlandais PCM passe sous pavillon belge pour se désendetter

Le premier éditeur de journaux aux Pays-Bas, le groupe PCM Uitgevers, a dû trouver en urgence un partenaire pour financer sa stratégie de développement, mais surtout pour éponger sa dette de 120 millions d’euros, héritée de son ancien propriétaire, le fonds d’investissement Apax Partners. L’enjeu pour le groupe était de se désendetter pour pouvoir se consacrer à sa réorganisation et au développement de son activité dans d’autres médias. Le 3 mars 2009, PCM, dans un communiqué commun avec le groupe de presse belge De Persgroep, annonçait avoir signé un accord de principe par lequel De Persgroep prendrait 51 % du capital de PCM pour 100 millions d’euros, cet apport d’argent frais permettant à PCM de financer le remboursement de sa dette et sa stratégie d’entreprise.

Pour De Persgroep, l’opération lui permet de devenir leader de la presse aux Pays-Bas. Déjà présent sur ce marché depuis 2003 avec le quotidien d’Amsterdam Het Parool, mais également avec la radio Qmusic, De Persgroep va désormais contrôler également les deux quotidiens nationaux édités par PCM, De Volkskrant, quotidien de gauche, et Trouw, quotidien chrétien, ainsi que le quotidien économique NRC Handelsblad. Si les activités de PCM doivent être développées séparément, il est d’ores et déjà prévu d’y intégrer à moyen terme les actifs de De Persgroep en Hollande, Het Parool et Qmusic. En rejoignant le périmètre de PCM, la radio commerciale Qmusic constituera un premier pas dans la stratégie de développement vers d’autres médias du groupe PCM.

Enfin, en devenant le leader de la presse au Pays-Bas, De Persgroep change de stature sur son marché national. En effet, De Persgroep reste en Belgique confiné au marché néerlandophone. Il revendique 400 000 lecteurs, répartis entre les quotidiens Het Laatste Nieuws et De Morgen, ainsi que le contrôle, à parité avec le groupe Rossel, des quotidiens économiques De Tijd et L’Echo. En prenant 51 % de PCM, De Persgroep devient majoritaire dans un groupe qui affiche 1 million de lecteurs quotidiens et a réalisé un chiffre d’affaires de 644 millions d’euros en 2008, ce qui lui confère naturellement une autre dimension.

En Suisse, Tamedia et Edipresse unissent leurs forces en fusionnant

Le jour de l’annonce de l’accord entre De Persgroep et PCM, un autre accord stratégique était annoncé, concernant cette fois-ci le marché suisse. Le 3 mars 2009, dans un communiqué commun, les groupes de presse Tamedia et Edipresse, respectivement numéros deux et trois de la presse helvétique derrière le groupe Ringier, annonçaient la fusion de leurs activités en Suisse pour faire émerger un grand groupe de médias suisses. Cette fusion entre deux groupes en bonne santé s’inscrit dans une logique de développement industriel et stratégique. La fusion des activités suisses de Tamedia et d’Edipresse mettra un terme à une concurrence ruineuse, notamment sur le marché des gratuits francophones, en Suisse romande, et permettra en même temps aux quotidiens des deux groupes d’être adossés à une entreprise bénéficiant d’une taille critique. Le nouveau groupe devrait ainsi plus facilement résister aux défis lancés à la presse, tant par la baisse du marché publicitaire que par la nécessité de se réinventer sur Internet.

La fusion de Tamedia et d’Edipresse ne concerne pas les activités internationales d’Edipresse, qui ont constitué ces dernières années le principal relais de croissance du groupe. Limitée au marché suisse, la fusion s’organisera autour du groupe Tamedia, l’opération devant se dérouler en trois temps. Dans un premier temps, Tamedia va acquérir 49,9 % de PPSR, qui regroupe les activités d’Edipresse en Suisse, puis 0,2 % supplémentaires début 2011, date à laquelle Tamedia deviendra actionnaire majoritaire de PPSR avec 51,1 % du capital, pour un investissement total de 226 millions de francs suisses (153 millions d’euros). Mais cette fusion entre égaux, pour ne pas défavoriser Edipresse, s’accompagnera d’une montée d’Edipresse au capital de Tamedia. Tamedia s’est engagé à racheter les 49,9 % de capital restant de PPSR début 2013, cette acquisition étant payée en partie en actions, ce qui permettra à Edipresse d’entrer au capital du groupe Tamedia.

La fusion en une société unique des activités de Tamedia et d’Edipresse devrait être l’occasion de nombreuses synergies. Sur le plan géographique, les deux groupes sont très complémentaires. Tamedia, localisé à Zurich, est surtout présent en Suisse alémanique. Edipresse, basé à Genève, est quant à lui présent en Suisse romande francophone et bénéficie d’une dimension internationale que n’a pas Tamedia. Cette complémentarité géographique permettra ainsi aux deux groupes fusionnés de proposer aux annonceurs une offre publicitaire globale sur l’ensemble de la Suisse, d’autant que les deux groupes sont présents sur tous les segments de marché de la presse, des quotidiens payants et gratuits jusqu’aux magazines. En Suisse francophone, où les deux groupes se livraient une guerre ruineuse sur le marché des gratuits, entre 20 Minutes pour Tamedia et Le Matin Bleu pour Edipresse, l’absence de complémentarité géographique se traduira ici par la fusion des deux titres et la suppression d’une vingtaine d’emplois. Au total, l’ensemble des synergies attendues devrait engendrer 30 millions de francs suisses (20 millions d’euros) d’économies, réalisées notamment dans les circuits de distribution et l’infrastructure technique. Enfin, chaque groupe apportera avec lui son savoir-faire éditorial et stratégique, en particulier sur Internet, où Edipresse et Tamedia collaborent depuis 2004 sur le marché des annonces immobilières avec le site Homegate.

Né de la fusion, le nouveau groupe devrait engendrer un chiffre d’affaires estimé à 1,25 milliard de francs suisses (843 millions d’euros), en même temps qu’il prendra la première place à Ringier sur le marché suisse de la presse. Ses objectifs de développement sur le marché suisse passent principalement par Internet, qui devrait compter pour un quart du chiffre d’affaires du nouveau groupe à l’horizon 2013.

Pour le groupe Ringier, l’apparition de ce nouveau groupe fusionné constitue un défi sur le marché suisse de la presse, son cœur historique d’activité, depuis lequel il a construit son internationalisation, notamment en Europe de l’Est et en Asie. Reste à savoir si Ringier cherchera à s’emparer de titres sur le marché suisse pour répondre à l’offensive de Tamedia et d’Edipresse, ou bien si le groupe misera sur l’internationalisation. En effet, Ringier est très actif à l’étranger où, le 13 mars 2009, il a racheté 61,48 % du capital de l’hebdomadaire serbe NIN pour 810 000 euros, lequel va venir compléter l’offre de presse de Ringier en Serbie, où le groupe était déjà présent avec le quotidien Blic.

En Italie, les journaux de gauche appellent à des soutiens politiques, à défaut de s’inscrire dans les projets industriels de grands groupes de presse

Le 19 décembre 2008, le quotidien communiste Il Manifesto, fondé en 1969 par des intellectuels communistes en rupture avec le Parti communiste italien, avait dû se résoudre à sortir un numéro à 50 euros, faisant appel à ses lecteurs pour remplir des caisses vides. Début 2009, c’était au tour du quotidien L’Unita, le journal de la gauche italienne, d’être menacé de faillite.

Fondé en 1928 par Antonio Gramsci, L’Unita, organe du Parti communiste italien jusqu’en 1991, est confronté au dilemme de nombreux journaux d’opinion, conçus pour diffuser des idées, mais qui ne peuvent pour autant ignorer le fait que la presse pour ne pas être une activité comme les autres, n’en est pas moins soumise aux rudes lois de l’économie de marché. Déjà en faillite en 2000, la parution du quotidien avait cessé entre juillet 2000 et mars 2001. L’Unita avait été repris pour être sauvé par le député et journaliste italien Fulvio Colombo. De nouveau menacé début 2008, L’Unita a de nouveau trouvé un chevalier blanc. Racheté le 20 mai 2008 par Renato Soru, fondateur de Tiscali, L’Unita a été remis en ordre de marche pendant que son nouveau propriétaire menait campagne sous la bannière du Parti démocrate de Walter Veltroni, ancien directeur de L’Unita. Mais Renato Soru a été battu lors des élections régionales italiennes de février 2009. Depuis, L’Unita est de nouveau menacé de faillite, victime des aléas politiques et de la crise économique. Pourtant, le journal a su se métamorphoser. Le 22 août 2008, Renato Soru a placé à sa tête une femme, Concita de Gregorio, transfuge de La Repubblica, qui a complètement revu la forme et le fond du journal. Lancée le 25 octobre 2008 lors d’une manifestation du Parti démocrate, la nouvelle édition a permis d’augmenter les ventes, à 50 000 exemplaires début 2009 contre 40 000 exemplaires en 2008.

La hausse de la diffusion est néanmoins insuffisante. Le remède à la faillite, en l’absence d’un nouvel apport de fonds de Renato Soru, passe par une réduction drastique des coûts de production, le quotidien étant déficitaire de façon chronique. Début mars 2009, la direction de L’Unita annonçait une diminution du nombre de journalistes, par le non-remplacement des départs à la retraite, une diminution des salaires des journalistes pouvant aller jusqu’à 40 %, une fermeture des rédactions locales de L’Unita, enfin une réduction de la pagination de 48 à 40 pages. Sans accord des salariés sur le plan, L’Unita sera déclaré en faillite. Pour éviter un tel scénario, le CGIL, le syndicat de la gauche italienne, organise une campagne d’abonnements, ainsi que le Parti démocrate, qui envisage de souscrire 6 000 abonnements pour chacune des sections locales du parti.

Sources :

  • « Il Manifesto a publié une édition exceptionnelle à 50 euros », Eric Jozsef, Libération, 22 décembre 2008.
  • « Le groupe de presse belge De Persgroep prend 51 % dans le néerlandais PCM », AFP, tv5.org, 3 mars 2009.
  • « Suisse : les deux importants groupes de presse Edipresse et Tamedia vont fusionner d’ici 2013 », La Correspondance de la Presse, 4 mars 2009.
  • « Le quotidien italien L’Unita se bat pour sa survie », Philippe Ridet, Le Monde, 7 mars 2009.
  • « Italie : L’Unita alité », Eric Jozsef, Libération, 11 mars 2009.
  • « Le belge De Persgroep fait une razzia de journaux aux Pays-Bas », Didier Burg, Les Echos, 10 mars 2009.
  • « Le groupe suisse Ringier acquiert 61,48 % de l’hebdomadaire serbe NIN », AFP, tv5.org, 13 mars 2009.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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