Face à la dégradation du marché audiovisuel britannique, le monopole de la BBC sur la redevance est remis en question

Le rapport Digital Britain, publié le 19 juin 2009, a relancé le débat sur le statut de la BBC au Royaume-Uni et l’utilisation de la redevance. La fin du monopole de la BBC sur la redevance est envisagée et pourrait conduire à attribuer une partie des ressources de la redevance à la chaîne privée ITV, qui a des obligations spécifiques de programmation la distinguant des autres chaînes privées. Le paysage audiovisuel britannique semble donc entré dans une ère nouvelle, où la fusion des opérateurs publics financés par la publicité, BBC WorldWide et Channel Four, est également envisagée. En matière de télévision payante, le quasi-monopole de BskyB sur la distribution des chaînes est aussi remis en question.

Les autorités britanniques s’attaquent à leur tour, après les autorités française et espagnole (voir le n° 10-11 de La revue européenne des médias, printemps-été 2009), à une véritable recomposition du paysage audiovisuel national. Toutefois, il ne s’agit pas de supprimer la publicité sur le service public audiovisuel, celle-ci étant inexistante sur les antennes nationales de la BBC, mais au contraire de procéder à une redistribution de la redevance en direction des chaînes privées. En effet, le paysage audiovisuel britannique se singularise par ces obligations qui pèsent sur les chaînes du service de public et sur certaines chaînes privées.

A côté de la BBC, fondée en 1922 et exclusivement financée par la redevance, d’autres chaînes ont des obligations spécifiques de diffusion, qu’il s’agisse de Channel Four, chaîne publique britannique, financée par la publicité, mais astreinte à des quotas de programmes culturels et d’émissions pour enfants, ou d’ITV, chaîne privée créée en 1954 pour concurrencer la BBC, dont le cahier des charges impose des obligations en matière d’information locale. Cette particularité britannique, longtemps acceptée par tous, est désormais remise en question : ITV réclame depuis plusieurs années une aide de l’Etat, dont une partie de la redevance, afin de financer les coûteux programmes d’information locale, notamment dans les régions d’Ecosse et du pays de Galles. Quant à Channel Four, elle critique de plus en plus systématiquement les activités commerciales de la BBC, initialement tournées vers l’étranger avec BBC Worldwide, mais désormais présentes sur le territoire britannique, que ce soit sur Internet ou par l’intermédiaire des activités réalisées avec Disney dans la coentreprise BBC-America. S’ajoute à ces réclamations sur les missions et le financement du service public un contexte défavorable pour les chaînes historiques, concurrencées par Internet et les nouvelles chaînes de la TNT, qui n’ont pas d’obligations spécifiques de programmation (voir le n° 9 de La revue européenne des médias, hiver 2008 – 2009).

Sensible aux demandes d’ITV et de Channel Four, le gouvernement britannique a pour la première fois accepté le principe du partage de la redevance entre la BBC et une chaîne privée, à l’occasion de la publication d’un rapport sur le développement du nu- mérique au Royaume-Uni, rapport intitulé Digital Britain, rédigé par Stephen Carter, secrétaire d’Etat aux communications, et rendu public le 16 juin 2009. Dans ce rapport, Stephen Carter propose d’utiliser jusqu’à 3,5 % de la redevance allouée à la BBC, qui s’élève à 3,6 milliards de livres en 2008 (4,2 milliards d’euros), pour contribuer au finance- ment des obligations d’ITV, mais également développer l’Internet haut débit dans les zones « blanches ». En définitive, près de 126 millions de livres pourraient grever le budget de la BBC dès 2012 au profit d’opérateurs privés. En effet, alors que la charte de la BBC, négociée tous les dix ans, court jusqu’en 2018, l’accord sur la redevance, conclu pour une durée de six ans, expire en mars 2013.

Si l’annonce a réjoui ITV, elle a en revanche suscité la réprobation du côté de la BBC. Le groupe public est en effet entré dans une cure d’austérité et a dû abandonner une première fois ses ambitions en matière de redevance, après que le gouvernement a décidé d’en limiter l’augmentation pour la période 2007-2012 (voir le n° 5 de La revue européenne des médias, hiver 2007-2008). Conscient par ailleurs des difficultés propres au marché audiovisuel britannique et soucieux d’éviter un nouveau scandale au sujet de son financement, le groupe public a pris la décision, le 14 juillet 2009, de suspendre les bonus attribués à ses principaux dirigeants. Autant de démarches difficiles pour une entreprise qui ont conduit sir Michael Lyons, président du BBC Trust, à dénoncer dans des termes très durs l’opportunisme politique de la proposition du rapport Digital Britain : « La redevance ne doit pas devenir un fonds occulte dans lequel on viendrait puiser à volonté pour financer les projets politiques ou commerciaux du moment ».

Cette résistance du président du BBC Trust, si elle ne garantit pas de préserver le monopole de la BBC sur la redevance, constitue sans aucun doute un véritable obstacle aux projets du gouvernement dans le secteur audiovisuel. En effet, toute réforme de la BBC suppose au préalable un accord avec le BBC Trust, sourcilleux de son indépendance. Et la BBC ne manquera pas de peser dans les débats au Parlement, si une proposition de loi sur la redevance devait être votée. Par ailleurs, la BBC pourrait également, par réaction, s’opposer au projet, soutenu par le gouvernement britannique, d’un rapprochement entre Channel Four, chaîne publique financée par la publicité, et les activités commerciales de la BBC Worldwide. Si les pourparlers entre les deux entreprises ont avancé, malgré l’achoppement des discussions sur la valorisation des deux groupes, la fusion de BBC Worldwide et Channel Four dépendra là encore de l’accord des dirigeants du groupe audiovisuel britannique.

Enfin, le secteur de la télévision payante britannique est lui aussi concerné par l’intervention des pouvoirs publics, cette fois-ci par l’intermédiaire du régulateur britannique, l’OFCOM, qui reproche au bouquet satellitaire BskyB, en quasi-monopole sur la diffusion de la Premier Ligue britannique, de ne pas faciliter la distribution de ses chaînes par d’autres opérateurs, un seul accord ayant été conclu avec le câblo-opérateur Virgin Media. Ainsi, le 26 juin 2009, l’OFCOM indiquait, dans une consultation publique, qu’il souhaitait que BskyB, contrôlé à hauteur de 39 % par NewsCorp., soit soumis à des obligations de distribution à prix régulés à l’ensemble de ses concurrents sur certaines de ses chaînes premium (sport et cinéma). Il est vrai que l’offre de BskyB s’impose comme la plus complète de la télévision payante britannique, qu’il s’agisse des accords passés avec les studios hollywoodiens pour la diffusion de films en exclusivité ou de la possession de quatre des six lots de diffusion du championnat de football britannique, d’autant que le retour du monopole de BskyB sur le football britannique n’est pas à exclure. En effet, ce monopole a été remis en question en 2006 par le bouquet satellitaire irlandais Setanta, qui s’est emparé des deux autres lots du championnat pour la période 2007-2010. Déficitaire, avec 1,2 million d’abonnés pour un point d’équilibre estimé à 2 millions d’abonnés, incapable de diversifier son offre payante de sport et d’acheter des films en exclusivité, Setanta risque de ne pas pou- voir surenchérir face à BskyB lors du prochain appel d’offres sur les droits du football britannique.

Sources :

  • « Au Royaume-Uni, la bataille des droits du football a coulé le bouquet satellite Setanta », Marc Roche, Le Monde, 12 juin 2009.
  • « La BBC va devoir partager la redevance avec les autres chaînes », Eric Albert, La Tribune, 17 juin 2009.
  • « La BBC devra partager une partie de la redevance télévisuelle », Cyrille Vanlerberghe, Le Figaro, 18 juin 2009.
  • « La BBC va devoir partager les recettes de la redevance avec les chaînes privées », Marc Roche, Le Monde, 19 juin 2009.
  • « La BBC tremble pour sa rente », Sonia Delesalle-Stolper, Libération, 2 juin 2009.
  • « Le régulateur britannique demande à BskyB de partager ses contenus », Les Echos, 29 juin 2009.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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