L’endettement record de Prisa et la suppression prévue de la publicité sur les chaînes publiques espagnoles, le 1er janvier 2010, auront accéléré le rythme des négociations entre les acteurs de l’audiovisuel privé en Espagne : Telefonica revient au capital de Digital+, où se retrouve désormais l’italien Mediaset qui, avec Telecinco, prend également le contrôle de la Cuatro. Le rapprochement annoncé d’Antena 3 et de la Sexta pourrait achever la consolidation du paysage audiovisuel espagnol.
Telefonica revient dans Digital+ à moindre frais
Le groupe Prisa est fragilisé par une dette de 5 milliards d’euros, à la suite de son OPA sur sa filiale Sogecable, ce qui l’oblige désormais à se séparer de certains de ses actifs pour faire face à ses échéances de crédit. N’étant pas parvenu à un accord avec le tandem Vivendi-Telefonica pour la vente de Digital+, sa chaîne premium payante (voir le n°12 de La revue européenne des médias, automne 2009), Prisa a finalement dû se résoudre à perdre le contrôle de ses activités audiovisuelles, y compris sa chaîne Cuatro, financée par la publicité. Cette dernière, qui devait à l’origine faire partie du nouveau pôle audiovisuel de Prisa, aura été victime de la chute des recettes publicitaires depuis fin 2008, ainsi que des échéances de remboursement de la dette de Prisa, dont 1,95 milliard d’euros en mars 2010.
Présent depuis 2002 au capital de Sogecable, qui contrôle Digital+ et la Cuatro, l’opérateur Telefonica s’était séparé en mai 2008 de sa participation de 16,5 % dans Sogecable à l’occasion de l’OPA généreuse de Prisa. L’opération, non prévue par Prisa, qui a dû débourser 650 millions d’euros supplémentaires pour racheter la participation de Sogecable, a été en partie à l’origine de la dette trop importante de Prisa. Intéressante financièrement pour Telefonica, numéro un espagnol du marché des télécommunications, l’opération lui faisait toutefois perdre une participation stratégique dans Sogecable, qui lui garantissait un accès privilégié à la chaîne payante Digital+. C’est pourquoi Telefonica a fait partie des premiers groupes à se déclarer intéressés par un rachat de Digital+, d’abord en tandem avec Vivendi, ensuite seul, après que Vivendi lui a ravi l’opérateur brésilien GVT. Finalement, le retrait de l’offre commune Vivendi-Telefonica, en empêchant une vente en bloc de Digital+ qui aurait permis à Prisa de se désendetter, aura été favorable à Telefonica. Prisa s’est en effet résolu à ne vendre qu’une partie du capital de sa chaîne payante.
Le 26 novembre 2009, Telefonica annonçait avoir racheté 21 % de Digital+ à Prisa pour 470 millions d’euros, dont seulement 240 millions en numéraire, les autres 230 millions d’euros consistant en une annulation de la dette de Prisa à l’égard de Telefonica. Le groupe espagnol de télécommunications récupère ainsi à moindres frais sa participation stratégique dans Digital+. En effet, Digital+ est l’actif le plus intéressant de Sogecable pour un opérateur de télécommunications comme Telefonica. Ce dernier, présent dans l’accès à Internet par ADSL et fibre optique, pourra compléter son réseau avec l’offre d’accès à la télévision par satellite de Digital+, notamment dans les zones où Telefonica ne propose pas d’offre triple play pour des raisons techniques. En même temps, cette opération permet à Telefonica d’interdire à l’un de ses concurrents sur le marché des télécommunications de prendre le contrôle de Digital+. Pour Prisa, en revanche, les 240 millions récupérés auprès de Telefonica ne lui permettent pas de faire face à ses échéances, ce qui a obligé le groupe à trouver d’autres acheteurs pour le capital restant de Digital+, valorisé à 2,35 milliards d’euros sur la base du prix payé par Telefonica.
Mediaset, nouveau leader de la télévision en Espagne
Annoncé le 18 décembre 2009, l’accord entre Prisa et Mediaset, le groupe italien contrôlé par la famille Berlusconi, a amorcé le mouvement de consolidation du paysage audiovisuel espagnol que favorise la chute des recettes publicitaires. Mediaset a profité de la faiblesse de Prisa, pressé de trouver preneur pour Digital+, alors que le groupe Prisa, de son côté, a profité du contexte réglementaire nouveau, ce qui a rendu sa chaîne en clair Cuatro très attrayante en la plaçant au cœur du nouvel échiquier de la télévision espagnole : le 23 février 2009, le gouvernement espagnol a en effet autorisé les fusions entre chaînes à condition que la nouvelle entité n’excède pas 27 % d’audience, ce qui est revenu à faire de la Cuatro et de La Sexta des cibles idéales pour les chaînes historiques (voir le n°10-11 de La revue européenne des médias, printemps-été 2009). Le secteur se prépare par ailleurs à un nouveau contexte publicitaire au 1er janvier 2010, date de la fin de la publicité sur le service public audiovisuel. Enfin, l’extinction de la diffusion analogique est prévue pour le 10 avril 2010, ce qui libérera des fréquences, notamment pour une offre de TNT payante concurrente de Gol TV, la chaîne de football de Mediapro autorisée depuis le 13 août 2009.
Selon les termes de l’accord entre les deux groupes, Mediaset, via sa chaîne espagnole Telecinco qu’il contrôle à 50,1 %, rachète à Prisa 22 % de Digital+ pour 500 millions d’euros et s’empare également, par échange d’actions, de la totalité de la Cuatro. La nouvelle entité sera alors contrôlée à 41 % par Mediaset et 18,4 % par Prisa. En prenant le contrôle de la Cuatro, une transaction évaluée à 550 millions d’euros, Mediaset devient ainsi le leader de la télévision privée en Espagne pour un investissement global de 1,05 milliard d’euros. Outre sa position stratégique dans Digital+, la nouvelle entité cumule désormais les audiences de Telecinco (15,2 % de parts d’audience en novembre 2009), première chaîne privée espagnole derrière la chaîne publique TV1 (16,6 % de part d’audience), ainsi que celles de la Cuatro (7,8 %), soit une audience cumulée de 23 % de part d’audience. Mediaset, leader sur le marché publicitaire audiovisuel italien, va ainsi contrôler également 40 % du marché publicitaire audiovisuel espagnol et s’impose de facto comme le plus grand groupe audiovisuel du sud de l’Europe.
Pour Prisa, la vente d’une partie de Digital+ et de la Cuatro ne suffit pas à régler son problème d’endettement. C’est donc à terme toutes les activités audiovisuelles du groupe et certaines activités d’édition qui pourraient quitter le périmètre du géant espagnol des médias. Avant même les accords avec Telefonica et Mediaset, en octobre 2009, Prisa a ainsi c édé 29,6 % de Media Capital, son pôle audiovisuel au Portugal. Le groupe a également cédé près de 25 % de sa maison d’édition Santillana au fonds américain DLJ South American Partners pour 247 millions d’euros. Le contrôle de Santillana, spécialisée dans l’édition scolaire, pourrait intéresser le groupe Pearson qui, en rachetant à Prisa la majorité du capital de sa maison d’édition, s’imposerait, en Espagne, sur le marché du livre scolaire.
Antena 3 et La Sexta sur le point de fusionner
Face au nouvel ensemble détenu par Mediaset, les autres chaînes privées espagnoles ne sont pas en reste et elles ont entamé depuis longtemps des pourparlers. La fusion entre, d’une part, Antena 3, contrôlée conjointement par Planeta et l’italien De Agostini et, d’autre part, La Sexta, la chaîne en clair du groupe catalan Mediapro, ferait émerger un nouveau géant en cumulant les 13,8 % de part d’audience d’Antena 3 et les 6,5 % de La Sexta. Au terme de la fusion, Antena 3 pourrait détenir 80 % de la nouvelle entité selon la presse espagnole, mais surtout huit chaînes de télévision numérique terrestre dès avril 2010, après l’extinction de la diffusion analogique, soit plus du tiers de l’offre audiovisuelle espagnole. Antena 3 conserverait sa dimension généraliste, tandis que La Sexta jouerait la complémentarité en développant son offre de football gratuit, à côté de Gol TV, qui pourrait être incluse dans un bouquet payant de chaînes TNT. Gol TV est à ce jour la seule chaîne payante de la TNT espagnole, avec 1 million d’abonnés fin 2009. Face à ce nouvel ensemble et au tandem Telecinco- Cuatro, la RTVE ne serait plus alors que le troisième groupe audiovisuel en part d’audience, au moment même où le groupe public entame sa mutation vers une programmation sans publicité et des contraintes de service public renforcées, sous la nouvelle direction d’un homme politique âgé de 81 ans, Alberto Oliart Saussol.
Sources :
- « L’espagnol Prisa à la recherche de fonds », Diane Cambon, Le Figaro, 1er octobre 2009.
- « Le nouveau patron de la télé publique espagnole suscite la circonspection », Jean-Jacques Bozonnet, Le Monde, 21 novembre 2009.
- « Telefonica se renforce dans la télévision payante », Thierry Maliniak, La Tribune, 26 novembre 2009.
- « Telefonica prend 21% de Digital+ », Gilles Sengès, Les Echos, 26 novembre 2009.
- « Vers une vaste recomposition du paysage audiovisuel espagnol », Gilles Sengès, Les Echos, 18 décembre 2009.
- « Mouvement de concentration dans la TV espagnole », Thierry Maliniak, La Tribune, 18 décembre 2009.
- « Mediaset lance la concentration des télés espagnoles », Diane Cambon, Le Figaro, 19 décembre 2009.
- « L’italien Mediaset double de taille en Espagne pour 1 milliard d’euros », Guillaume Delacroix, Les Echos, 21 décembre 2009.
- « Dans un contexte de crise publicitaire sévère, le marché audiovisuel espagnol se concentre », Jean-Jacques Bozonnet, Le Monde, 22 décembre 2009.