L’avenir de l’information est-t-il dans un retour à la proximité et à l’ « hyperlocal » ? En termes économiques, l’information de proximité représente sans aucun doute le domaine média où il y a le plus d’espoir de bâtir des modèles économiques rentables (proximité, communauté, utilité…) et de bénéficier ainsi des micro-annonceurs qui n’auraient jamais eu les moyens de s’offrir un achat d’espace significatif au niveau national.
Cette tendance pourrait se développer davantage à la faveur du développement des réseaux sociaux liés à des groupes de lecteurs. C’est pourquoi la plupart des grands groupes médias s’intéressent à l’hyperlocal comme nouvelle déclinaison possible de leur offre. Cette tendance, venue des Etats-Unis, crée de fait une concurrence à l’échelle d’une ville, voire d’un quartier, qu’il s’agisse des médias traditionnels, des pure players, d’un site indépendant ou des blogs… Le New York Times a lancé une initiative de cette nature début 2009 avec son site The local, pour lequel les articles sont écrits par des journalistes professionnels et par des habitants du quartier (Brooklyn ou certaines villes du New Jersey). Les articles du site portent sur les événements culturels du quartier, les ouvertures de restaurants, mais aussi sur la mode, les arts… Le New York Times prévoit d’ajouter à son édition de San Francisco, deux fois par semaine, deux pages consacrées aux informations concernant la Californie du Nord, produite principalement par des journalistes et, à la faveur, à Chicago, d’un partenariat local.
L’objectif du New York Times est de créer une plate-forme communautaire, permettant au voisinage d’être au courant des événements et des nouvelles de leur quartier. Le New York Times est en compétition avec d’autres blogs, comme le site de news hyper-localisées d’AOL, Patch, qui rayonne sur les banlieues du New Jersey et du Connecticut et surtout outside.in, présent dans près de 250 villes et 60 000 quartiers. Les chaînes câblées américaines ne sont pas en reste : MSNBC avec son everyblock.com, un agrégateur local présent dans une quinzaine de villes ou encore ESPN et ses antennes locales à Chicago, Boston ou Los Angeles.
Les pure players prennent position sur ce marché, à commencer par YouTube, fort de la capacité de Google à capter le marché publicitaire, offrant ainsi aux contributeurs la perspective d’une audience plus étendue. YouTube se cache derrière une position de « porteur d’affaires », notamment, pour les chaînes de télévision. Il a créé récemment News Near You, offrant à l’utilisateur une option de géolocalisation afin d’améliorer la pertinence des informations livrées. Les vidéos sont souvent réalisées par des amateurs, néanmoins certaines chaînes, comme NY1 à New York, pourraient en proposer dans un proche avenir. Le modèle est basé sur un partage des recettes publicitaires. YouTube utilise l’adresse IP pour déterminer la position géographique et fait « remonter » des contenus dans un périmètre de 100 miles.
Le groupe National Public Radio (NPR) a obtenu 3 millions de dollars pour financer un projet d’information locale censé compenser la fermeture de nombreux titres régionaux aux Etats-Unis. L’objectif est de « couvrir » des sujets locaux de santé publique, d’immigration ou d’éducation et de se positionner comme un interlocuteur de qualité sur Internet.
Ces expériences s’inscrivent ainsi dans une perspective plus générale qui reconnaît à Internet une puissance réelle de média hyperlocal. L’Angleterre est en train de suivre le même chemin, à commencer par la BBC, qui met progressivement en place une stratégie locale de news, perçue par de nombreux médias comme une véritable menace du point de vue de la concurrence. Le BBC Trust, en sa qualité de régulateur des services de la BBC, a rejeté en 2008 un projet de la BBC, à savoir l’offre de services vidéo à l’échelon local, MyNewsNow (60 sites web d’information), au motif que ce dernier n’améliorerait pas suffisamment les services aux utilisateurs pour justifier l’investissement de fonds tirés de la redevance ou leurs possibles conséquences négatives sur les médias. En revanche, l’année suivante, une proposition a été approuvée afin de permettre aux sites Internet d’informations locales de la BBC de faire le lien avec les sites d’autres médias locaux sur la base de licences de contenus. Des partenariats et des collaborations sont aussi envisagés pour la production de vidéos. Ce qui n’empêche pas les craintes de déstabilisation du marché publicitaire…
Pour le groupe britannique Newsquest, le développement de l’information sur Internet passe également par l’ultralocal. Le Kidderminster shuttle’s ouvre la voie. La plate-forme du journal héberge 24 sites d’information, un pour chacune des communes de la banlieue de Kidderminster dans le West Midlands. Les informations sont recueillies par des « journalistes citoyens » qui publient des photos et des vidéos. Chacun des sept journaux régionaux du groupe devrait appliquer la même recette dans un avenir proche.
Dans les villes de Leeds, Cardiff et Edinbourg, The Guardian va lancer très prochainement un service d’information combinant interactivité, dimension communautaire et crowdsourcing en ayant recours aux blogueurs pour produire de l’information locale. Un autre projet web, Guardian Cities, censé connecter le lecteur avec sa communauté, consisterait en l’ouverture de sites web circonscrits à une zone géographique.
La France, de son côté, voit fleurir de nombreux projets : le dernier en date étant celui de France 3 et ses 24 web TV locales, véritables antennes de proximité susceptibles, à terme, d’être déclinées en chaînes ADSL. Le réseau Maville.com fut un précurseur. Lancé en octobre 1999 par Ouest-France Multimédia, filiale du journal Ouest-France, il comportait alors 16 villes de Bretagne, des Pays de la Loire et de Basse- Normandie. Le réseau Maville.com s’est étendu progressivement pour couvrir 29 villes dès 2005. Chaque site Maville diffuse quotidiennement des informations locales, et regroupe différents services en ligne (annonces, cinéma, bonnes adresses, agenda, météo, webcams…). En 2007, grâce à un partenariat avec Nice-Matin, il s’est développé dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Puis, en novembre 2007, La Voix du Nord a ouvert sous licence Maville.com un site Arras. Le 16 juin 2008, le réseau s’est étendu à la ville de Tours. Fin 2009, le site a été lancé en Bourgogne (Nevers) et en Île-de-France (Paris). L’ensemble des sites Maville.com a totalisé plus de 3 780 000 visiteurs uniques en décembre 2009 (source OJD).
Les journaux du Midi, Midi Libre, L’Indépendant, Centre Presse… ont été parmi les premiers à développer un réseau hyperlocal depuis juin 2008 : 24 H Actus, une plate-forme de blogs alimentée exclusivement par des correspondants locaux de presse (environ 110 correspondants actifs sur le site), accessible sur le site du Midi Libre comme une nouvelle rubrique en ligne. Avec des diaporamas, des articles longs, des vidéos, 24 H Actus couvre plus d’une centaine de communes du Midi, en diffusant une information locale souvent plus développée que celle publiée dans les pages imprimées des journaux du groupe. Le groupe Midi- Libre y voit la possibilité d’attirer des nouveaux prospects ciblés de publicité.Le concept a appelé l’attention d’autres rédactions. Le journal Sud Ouest (dont le groupe détient Les Journaux du Midi) a mis à l’essai un blog de correspondants en Charente. Le journal teste la formule de 24 H Actus avec ses propres correspondants. Pour le moment, seulement cinq d’entre eux sont concernés. L’objectif de Sud Ouest est d’étendre ce dispositif à des groupes de correspondants dans tous les départements couverts par le journal avant juin 2010.Les quotidiens nationaux ne sont pas en reste. Libération et ses 8 Libévilles ou 20 minutes et ses déclinaisons en province contribuent également à ce développement de l’information hyperlocale.
Au niveau européen, le journal hyperlocal Nase Adresa, en République tchèque, figure parmi les plus innovateurs. Lancé au printemps 2009, Nase Adresa comprend plusieurs éditions imprimées hebdomadaires destinées à des régions comptant moins de 30 000 habitants, qui produisent leurs propres pages web hyperlocales. Le but est de publier 200 hebdomadaires hyperlocaux différents en République tchèque au cours des trois prochaines années et de fournir ainsi une plate-forme nationale aux annonceurs. Pour y parvenir, plusieurs antennes régionales sont installées dans des cafés. Dans une salle de rédaction située au beau milieu du café, les journalistes effectuent leur travail normalement et peuvent même tenir compte des commentaires et des conseils des clients. Ces derniers peuvent également proposer des idées de sujets ou simplement converser avec les journalistes de leur hebdomadaire. Chaque café éditorial aura pour mission d’alimenter en contenu original deux ou trois éditions locales de l’hebdomadaire. Près de 90 cafés devraient ouvrir prochainement pour environ 190 éditions locales. Nase Adresa organise des événements ciblés sur des groupes de lecteurs : après-midi thé dansant pour les seniors, atelier danse pour les mères et leurs enfants, concerts au sein du café. Le journal et les journalistes prennent ainsi une place éminente dans la vie d’une communauté.
Sources :
- « Dispatches From the Hyperlocal Future », Bruce Sterling, Wired, June 26, 2007.
- « Local online news is changing, but not fast enough », Paul Bradshaw, journalism.co.uk, February 13, 2008.
- « Newspaper Society Opposing BBC Local Video Plans – Surprise, Surprise », Robert Andrews, paidcontent.co.uk, june 10, 2008.
- « BBC’s local news plans threaten regional newspapers», Nicole Martin, Telegraph, october 27, 2008.
- « Fresh attacks on BBC local web plans », Jemima Kiss, guardian.co.uk, November 10, 2008.
- « « Hyperlocal » Web Sites Deliver News Without Newspapers », Claire Cain Miller and Brad Stone, The New York Times, April 12, 2009.
- « Thirsk-class, ultra-local read for only 5p », Martin Wainwright, The Guardian, May 21, 2009.
- « Hyperlocal : la presse hebdomadaire régionale mieux que la PQR ? », Benoît Raphaël, benoit-raphael.blogspot.com, 26 mai 2009.
- « De l’hyperlocal révolutionnaire : Nase Adresa » Anto-l, lepost.fr, 11 décembre 2009.
- « De l’hyperlocal révolutionnaire Nase Adresa », Antoine Laurent, Observatoiredesmedias.com, 11 décembre 2009.