La copie numérique a une espérance de vie limitée

Nos données numériques sont programmées pour disparaître. Une étude publiée par l’Académie des sciences et l’Académie des technologies en mars 2010 confirme ce que nous redoutons le plus : l’enregistrement de nos données, textes, photos, vidéos, est périssable.

Si la numérisation des contenus en facilite la production, la diffusion et le stockage, elle n’en assure pas pour autant la conservation. Le stockage numérique nous fait chaque jour gagner du temps (et de la place), mais il risque de nous en faire perdre à l’avenir. Stockage n’est pas synonyme d’archivage. L’espérance de vie des supports numériques est courte, de 5 à 10 ans. Pour preuve, les copies de CD enregistrées il y a seulement quelques années sont déjà devenues inaudibles aujourd’hui. Disque dur, CD ou DVD : pas un seul support n’est plus fiable que l’autre et pire encore, deux produits identiques d’un même fabriquant n’offrent pas la même garantie de longévité : l’un conserve une mémoire intacte pendant dix ans alors que l’autre est abîmé au bout d’une année seulement.

Intitulée « Longévité de l’information numérique. Les données que nous voulons garder vont-elles s’effacer ? », une étude menée par un groupe de travail commun à l’Académie des sciences et à l’Académie des technologies nous alerte sur la possibilité d’un disk crash à grande échelle et donne quelques pistes pour parer au plus pressé. Selon les auteurs, seul le prix du support peut faire la différence. Les matériels plus chers se révèlent en général de meilleure qualité. D’usage courant, les disques optiques numériques enregistrables, les DONE, c’est-à-dire les CD-R (ou RW), les DVD-R (ou RW) et les Blu-ray (jugés encore moins performants que les formats antérieurs), pourraient apporter une solution grâce à l’emploi de nouveaux matériaux, à l’instar du Century Disc, en verre trempé, utilisant le procédé de lithogravure. Ce procédé a été inventé en France dans les années 1980, mais il n’a jamais été automatisé et son prix de revient est élevé (100 euros l’unité). Pour Jean-Charles Hourcade, l’un des auteurs de l’étude, « il n’existe pas de modèle économique pour conc voir des supports fiables », les consommateurs n’ayant pas encore pris conscience de la gravité du problème de la conservation des données numériques. En 2009, dix milliards de DONE, dont la gravure se dégrade inéluctablement, même s’ils ne sont pas lus, ont été vendus dans le monde.

A l’heure où nous numérisons tout ce qui peut l’être, les documents personnels comme les documents professionnels, à l’heure où les grands acteurs du Net se posent en archivistes universels, garants de la conservation du patrimoine de l’humanité, le danger est grand de voir tout disparaître. Fort heureusement, les grandes institutions, à l’instar de la Bibliothèque nationale de France (BnF), ont adopté des « stratégies actives » en la matière. Ainsi confient-elles à des entreprises extérieures le soin d’effectuer régulièrement une nouvelle copie des données (process de copie) ou d’assurer leur transfert sur un autre support (migration perpétuelle). D’autres préfèrent continuer à faire confiance à la copie analogique dont elles maîtrisent mieux le procédé sur la durée, comme c’est encore le cas bien souvent pour les œuvres cinématographiques.

En revanche, le danger de disparition des données numériques stockées est bien réel pour nombre d’entreprises et d’institutions collectrices d’informations comptables, médicales, scientifiques, administratives, techniques… ainsi que pour le grand    public    non    informé    du    risque. Un seul remède existe aujourd’hui : le suivi constant des données avec leur migration perpétuelle sur de nouveaux supports, mais dont l’inconvénient majeur est un coût d’organisation important. Selon les auteurs de l’étude, il en coûterait entre 2 et 20 milliards d’euros, soit 100 à 1 000 euros par an et par foyer, pour assurer la sauvegarde durant 25 à 50 ans des archives personnelles des 25 millions de foyers français, soit 100 gigaoctets à 1 téraoctet chacun.

Le rapport conclut par quatre recommandations, afin de sauvegarder les données numérisées :

– « Débloquer les études sur le sujet. Engager rapidement une étude réellement scientifique des phénomènes de vieillissement des supports, notamment des supports optiques, visant à dégager des recommandations fiables en matière de standardisation de formats de supports d’archivage longue durée. […] Lancer rapidement un appel à projets ambitieux visant à remplacer la technologie d’enregistrement optique actuelle (CDR et DVDR), basée pour le moment sur des processus physicochimiques complexes et mal contrôlés, par des technologies plus robustes et prévisibles.

Eviter la perte des compétences dans le privé et le public. […] Prendre les mesures urgentes nécessaires à la préservation des compétences clés, avant qu’elles n’aient complètement disparu de l’Europe. Des actions conservatoires seront certainement nécessaires avant la fin de l’année 2010, compte tenu des menaces pesant sur les dernières équipes de R&D industrielle qui sont compétentes dans le domaine.

Favoriser l’innovation et l’apparition d’une offre industrielle de qualité. […] Soutenir vigoureusement les quelques entreprises qui ont déjà effectué des avancées vers la réalisation de disques optiques numériques enregistrables de très bonne longévité.

Elaborer une véritable politique d’archivage numérique. S’assurer au sein de chaque ministère que les données numériques importantes […] sont bien l’objet du suivi indispensable à leur survie. Évaluer l’intérêt d’une mutualisation des moyens, dans la perspective d’une stratégie active à l’échelon national, ou de la création d’un centre de conservation des données numériques à long terme équipé de robots permettant le suivi nécessaire à grande échelle...».

Les auteurs en appellent aux financements publics, notamment de la France, de l’Allemagne et des Pays-Bas en tant que principaux pays concernés par la localisation de compétences clés, ainsi que de l’Union européenne.

En attendant que la technique ne triomphe d’elle-même, les auteurs de l’étude conseillent de multiplier les sauvegardes grâce, au moins, à deux disques optiques et un disque dur magnétique, sans oublier de recommencer la procédure tous les quatre ans sur un support neuf. Pour ceux qui s’inquiètent de la non-existence d’un droit à l’oubli sur Internet, il semble que cela puisse finalement se faire à très court terme. L’éternité, dans le monde numérique, n’existe pas : en l’occurrence, elle est un mythe.

Sources :

  • « Longévité de l’information numérique – Les données que nous voulons garder vont-elles s’effacer ? », rapport d’un groupe de travail commun Académie des sciences et Académies des technologies, Jean-Charles Hourcade, Franck Laloë, Erich Spitz, Editions EDP Sciences, mars 2010, academie-sciences.fr.
  • « Les données numériques à l’épreuve du temps », Laurent Checola, lemonde.fr, 30 mars 2010.
  • « Vous pouvez perdre vos données stockées sur disque dur et DVD », lexpress.fr, 30 mars 2010.
Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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