La presse quotidienne nationale cherche de nouveaux investisseurs pour se relancer
Pénalisée par des structures industrielles inadaptées, la presse quotidienne nationale cherche des investisseurs pour se relancer. Quand la recapitalisation aboutit ( Le Monde, Libération), elle passe par des investisseurs étrangers au monde des médias. La Tribune, de son côté, ne trouve pas d’investisseurs. Enfin, le groupe Amaury a renoncé à la cession du Parisien faute d’une offre de reprise à bon prix.
En France plus qu’ailleurs, la presse quotidienne d’information est confrontée à des difficultés structurelles qui la fragilisent. Certes, comme partout dans le monde, le nombre de lecteurs diminue et la concurrence des journaux gratuits et des sites Internet ne facilite pas la tâche des quotidiens. Ainsi, en France, à l’exception de l’année 2008 riche en actualité, l’audience de la presse est en baisse constante. En 2009, celle-ci a reculé de 2,8 % pour 23,6 millions de lecteurs par jour. Plus marqué, le recul est de 5 % pour la presse quotidienne nationale. Les ventes, quant à elles, ont reculé de 3,93 % pour la presse quotidienne nationale en 2009 selon l’OJD.
Mais la France a ceci de particulier que les titres de la presse quotidienne sont d’abord pénalisés par son héritage industriel, qui alourdit leurs charges et les empêche d’investir dans de nouvelles formules et sur Internet. C’est le constat dressé en 2006 par l’Institut Montaigne dans son rapport « Comment sauver la presse quotidienne d’information » : en préalable à toute stratégie de reconquête du lectorat, la presse quotidienne française doit d’abord optimiser ses structures industrielles. C’est ce qui explique les difficultés des quotidiens nationaux à trouver preneur à bon prix pour se recapitaliser, et les sommes finalement peu importantes qu’ils obtiennent quand un accord est trouvé avec des apporteurs de capitaux souvent étrangers au monde des médias. La presse française dispose pourtant d’une offre pertinente sur Internet et elle a su valablement s’adapter au nouveau contexte numérique : les offres papier et web, surtout depuis que les sites web proposent de plus en plus de contenus payants, sont complémentaires et cohérentes. En revanche, le besoin d’argent pour s’affranchir des lourdeurs héritées du passé est récurrent et dissuade sans aucun doute de nombreux groupes de médias de jouer la carte de la presse quotidienne en France.
L’observation du prix de cession des quotidiens ces vingt dernières années témoigne de la chute importante des perspectives offertes aux investisseurs par la presse quotidienne. Au début des années 1990 et jusqu’à l’explosion de la bulle spéculative autour des valeurs technologiques en avril 2000, la presse est considérée comme un investissement stratégique : contrôler les contenus et les diffuser sur les nouveaux supports semble être le moyen de développer les nouveaux marchés du numérique, la presse profitant par ailleurs à la fin des années 1990 des investissements publicitaires massifs des nouvelles entreprises d’Internet. Vivendi (alors CGE) s’emparera ainsi, en mars 1998, du pôle CEP Communication. L’explosion de la bulle spéculative en 2000 va paradoxalement stimuler le marché avec la mise en vente de CEP Communication. A la même époque, la vente du pôle presse du groupe Hersant soutient également le marché, avec en particulier le rachat de la Socpresse par Serge Dassault, entre 2002 et 2006, pour le montant record de 1,3 milliard d’euros. Les investisseurs misent alors sur les promesses du Web et sur l’adaptation progressive des structures industrielles au nouveau contexte numérique. Sauf que le Web a d’abord favorisé l’évasion du lectorat traditionnel vers le numérique, sans générer des revenus suffisamment pérennes pour se substituer au papier, tout en accentuant dans les entreprises l’urgence de l’adaptation des anciennes structures industrielles.
Depuis 2006, la presse quotidienne perd de son attrait. Elle doit suivre l’évolution des usages qu’Internet accélère profondément et elle ne parvient pas à épurer ses comptes ni à revoir de fond en comble l’organisation de ses entreprises. L’urgence est décrétée avec les Etats généraux de la presse écrite qui en janvier 2009, conduiront l’Etat à s’engager pour le versement de 600 millions d’euros d’aides sur trois ans. L’effondrement du marché publicitaire la même année, en pleine crise économique, aura raison des promesses rapides de redressement : en 2010, Le Monde sera vendu pour une centaine de millions d’euros et La Tribune cédée pour un euro symbolique par Alain Weill (à titre de comparaison, en 2007, Bernard Arnault avait déboursé 240 millions d’euros pour Les Echos (voir le n°5 de La revue européenne des médias, hiver 2007-2008). Le groupe Amaury ne trouve pas de repreneurs à un prix raisonnable pour Le Parisien. Libération est recapitalisé par une société immobilière après un plan drastique d’économies. Enfin, Presstalis, le premier distributeur de presse en France, a frôlé la cessation de paiement en 2010 et Presse Informatique, qui contrôle 60 % du marché de la gestion des abonnements de presse, a été mis en redressement judiciaire le 5 octobre 2010.
Le Monde devient un journal presque comme les autres après son rachat par le trio «BNP»
Le Monde est, dans le paysage de la presse quotidienne française, un journal à part. Considéré comme « journal de référence », il a pour singularité d’appartenir à ses journalistes depuis 1951, date à laquelle Hubert-Beuve Méry, fondateur du journal, met en place une structure de gouvernance originale permettant à la Société des rédacteurs de disposer du contrôle sur le titre. Ce contrôle, qui doit garantir l’indépendance éditoriale du journal face aux intérêts politiques ou économiques, a perduré jusqu’en 2010, année où les obligations de refinancement l’ont emporté sur la tradition : désormais, le journal appartient à des actionnaires extérieurs, même si ces derniers ont dû faire d’importantes concessions aux rédacteurs pour pou- voir acquérir le titre.
Les difficultés économiques du groupe Le Monde ont pris une nouvelle dimension à partir de 2005. Endetté par la politique de rachats menée par Jean-Marie Colombani entre 2000 et 2003, le groupe doit se résoudre à émettre en 2005 des obligations remboursables en actions (ORA) pour 69 millions d’euros, qu’il doit rembourser avant 2012 ou 2014 selon les détenteurs, sauf à leur donner les clés du quotidien. En 2008, avec l’arrivée d’Eric Fottorino à la tête du Monde, la recapitalisation est érigée en priorité : le groupe se recentre sur ses marques phares et abandonne son ambition d’être un groupe de presse global. Le Monde va alors se délester de ses récentes acquisitions : en 2007, les Journaux du Midi sont vendus au groupe Sud Ouest, allié pour l’occasion à La Dépêche du Midi (voir le n°5 de La revue européenne des médias, hiver 2007-2008) et, en 2009, certains titres déficitaires ou des actifs non stratégiques sont cédés, comme les Cahiers du cinéma, la librairie La Procure ou Fleurus Presse.
Le groupe, désormais recentré autour du Monde et de ses déclinaisons, de Télérama et de Courrier International, a pour la première fois enregistré un résultat opérationnel positif en 2009 après dix années de pertes consécutives : malgré la bonne performance récente, liée à un début d’optimisation des coûts de structure (cession d’actifs, plan social de 130 départs, dont 70 journalistes, permettant une économie de 9,4 millions d’euros sur la masse salariale), Le Monde ploie sous les dettes accumulées. Ainsi, aux ORA s’ajoute également un prêt de 25 millions d’euros consenti en 2008 par BNP-Paribas, gagé sur Télérama.
C’est ce dernier prêt, conditionné par BNP-Paribas à une procédure de recapitalisation, qui a entraîné la cession du Monde, le 28 juin 2010, à un trio d’investisseurs constitué du mécène Pierre Bergé, de Matthieu Pigasse, directeur général de Lazard France et de Xavier Niel, fondateur de Free. L’épopée de la cession du Monde est symptomatique de l’approche passionnelle réservée à la presse en France. En effet, Le Monde, qui a depuis 2005 le groupe espagnol Prisa à son capital (15 % du Monde SA), était convoité par le détenteur d’El Pais qui, même en difficulté (voir supra), semblait s’imposer comme un repreneur naturel. Sauf que le mode de fonctionnement d’un groupe comme Prisa, spécialisé dans les médias mais habitué aux logiques industrielles et aux exigences de rentabilité, ne semblait pas convenir aux rédacteurs du Monde qui ont cherché une solution française.
Ainsi, le 9 avril 2010, à l’issue du Conseil de surveillance du Monde, le groupe publiait un communiqué confirmant que Le Monde et Partenaires Associés (LMPA), la structure de contrôle majoritaire (60,4 % du capital par regroupement des participations de la Société des rédacteurs du Monde, de la Société des rédacteurs des Publications de la vie catholique – PVC, enfin de la Société des lecteurs), acceptait la perte de sa majorité de blocage pour permettre une recapitalisation. Le communiqué entérinait le principe de l’arrivée d’un nouvel actionnaire avec, pour conséquence, « la dilution des actionnaires historiques, qui deviendraient minoritaires », à ceci près que la nouvelle gouvernance du groupe devra être organisée pour « garantir l’indépendance éditoriale des titres, au travers de droits préférentiels sanctuarisés ». Autant dire que le nouvel actionnaire ne doit pas être à la tête d’un groupe comme les autres : il doit accepter de dissocier la stratégie éditoriale des objectifs de rentabilité de son entreprise ce qui, sur le plan économique, peut poser problème.
En rendant la candidature de Prisa moins pertinente, la Société des rédacteurs du Monde a sans doute favorisé l’apparition de nouvelles candidatures. Deux offres fermes ont finalement été déposées. En mai 2010, Le Nouvel Observateur, déjà actionnaire du Monde SA à hauteur de 1,75 % depuis 2002, a manifesté son intérêt pour une prise de contrôle du quotidien. Le même mois, Matthieu Pigasse et Pierre Bergé confirmaient également leur intérêt pour Le Monde. Prévu pour le conseil de surveillance du 14 juin 2010, le choix de son nouvel actionnaire par le groupe Le Monde aura finalement été plus long que prévu, notamment parce que le dossier a réservé des surprises d’ordre économique. Les premiers chiffres avancés en mai portaient sur une fourchette comprise entre 50 et 60 millions d’euros pour prendre le contrôle du Monde, ce qui aurait permis de rembourser le prêt consenti par BNP Paribas et de relancer le titre. Très vite, le chiffre est monté à 100 millions d’euros, incluant la dette de 25 millions d’euros, 69 millions d’euros d’ORA et enfin 5 millions d’euros pour relancer le titre. La facture s’envolant, Matthieu Pigasse et Pierre Bergé se sont associés fin mai 2010 avec Xavier Niel, fondateur de Free, pour proposer finalement une offre à trois sur Le Monde.
Début juin 2010, Claude Perdriel, propriétaire du Nouvel Observateur, annonçait dans la presse hésiter à déposer une offre sur le groupe Le Monde après avoir pu consulter ses comptes : les besoins oscillent entre 80 et 120 millions d’euros avec, en outre, un dossier industriel non réglé qui pénalise très fortement le groupe, l’imprimerie du Monde à Ivry-sur-Seine. En vente ou en quête d’un partenaire industriel, l’imprimerie doit être modernisée, sauf à continuer de perdre des clients (Direct Matin Plus l’a quittée en 2010 et Les Echos comme Le Journal du dimanche y songent également). Elle compte à elle seule 280 salariés, dont plus du tiers devrait disparaître au terme d’un plan social qui, cumulé avec la modernisation des rotatives, ajoute 50 millions d’euros de dépenses supplémentaires pour l’acquéreur du groupe Le Monde. La charge devenant trop importante, Claude Perdriel a dû, comme le duo Pigasse-Bergé, trouver à son tour un partenaire, Orange ayant confirmé le 8 juin 2010 être prêt à s’associer au Nouvel Observateur pour développer notamment des synergies entre le portail Orange et Le Monde interactif. Le 10 juin 2010, Claude Perdriel déposait donc une offre de rachat conditionnelle du groupe Le Monde, un jour après l’offre déjà déposée par le trio Bergé-Niel-Pigasse. Le 17 juin, une offre ferme était finalement déposée par Le Nouvel Observateur, allié à Orange et, in extremis, au groupe espagnol Prisa. Après avoir été reporté au 28 juin 2010, le temps de permettre aux sociétés des actionnaires de choisir parmi les deux offres, le Conseil de surveillance du groupe a finalement retenu l’offre proposée par Pierre Bergé, Xavier Neil et Matthieu Pigasse, massivement soutenue par les rédacteurs qui pouvaient exercer pour la dernière fois le droit de veto issu des statuts de 1951 (90,84 % des votes pour la Société des rédacteurs du Monde).
En choisissant l’offre Bergé-Neil-Pigasse (BNP), les rédacteurs ont d’abord choisi de ne rien changer. En effet, les deux offres de reprises s’opposaient sur le fond, celle de Claude Perdriel ayant une dimension industrielle forte quand celle du trio BNP laisse aux journalistes le contrôle du titre. Sur le plan capitalistique, l’offre de Claude Perdriel allié à Orange et Prisa aurait conduit à un apport de 100 millions d’euros dans le groupe Le Monde, dont 45 millions par Claude Perdriel, 35 millions par Prisa et 20 millions par Orange. Par ailleurs, et afin de permettre au groupe Lagardère de sortir du Monde, Orange s’était engagé à racheter pour 33 millions d’euros les 34 % de capital du Monde Interactif détenus par Lagardère. Quant à Prisa, il aurait racheté pour 7 millions d’euros les 17 % de Lagardère dans le Monde SA. Sur le plan industriel, Claude Perdriel proposait la modernisation de l’imprimerie d’Ivry, un plan social avec départs volontaires de 110 à 120 personnes, ouvert à tous les personnels et non aux seuls 330 journalistes du quotidien qui eux pourraient bénéficier de la clause de cession, enfin une montée en puissance des suppléments week-end du Monde et des synergies entre les régies du Monde et celles du Nouvel Observateur. Avec cette stratégie, Claude Perdriel comptait augmenter en trois ans de 30 millions d’euros le résultat d’exploitation, pour moitié grâce à de nouvelles recettes, l’autre moitié étant liée à la baisse des charges. Courrier International et Télérama, les deux magazines bénéficiaires du groupe, n’auraient pas été concernés par ces mesures d’économies. Sur le plan éditorial, Claude Perdriel souhaitait dissocier les postes de président du directoire et de directeur du quotidien : au premier la gestion de l’entreprise et une nomination par le seul conseil de surveillance, au second la ligne éditoriale avec un droit de veto accordé à la Société des rédacteurs du Monde sur sa nomination.
Face à l’offre de Claude Perdriel, celle du trio Bergé-Niel-Pigasse était bien plus attrayante pour la Société des rédacteurs. Sur le plan industriel, elle ne comporte quasiment aucune modification du périmètre du groupe : seules des synergies entre les rédactions web et papier sont proposées ainsi que le développement de l’offre de suppléments du week-end. Sur le plan capitalistique, l’offre est plus importante puisque les trois associés apportent 110 millions d’euros à travers une société en commandite par actions baptisée Le Monde Libre, dans laquelle chacun d’entre eux détient un tiers du capital. Sur le plan éditorial, toutes les barrières imaginables ont été installées entre les actionnaires et les journalistes : aucun des trois actionnaires ne peut prendre seul le contrôle du Monde Libre ; le directeur du quotidien sera un journaliste, nommé par le conseil de surveillance, mais après agrément de la Société des rédacteurs à la majorité de 60 % des votants. Autant dire que la Société des rédacteurs conserve son droit de veto sur la nomination du directeur du journal. Elle pourra faire également valoir une charte éditoriale appliquée par un comité d’éthique à toutes les publications sous la marque du Monde, cette charte ayant été ajoutée aux statuts du Monde Libre. Enfin, Pierre Bergé s’est engagé à financer le rachat de parts du groupe Le Monde qu’il donnera, via une société en commandite, au pôle d’indépendance du groupe (où se loge la Société des rédacteurs), afin que celui-ci conserve une minorité de blocage : les journalistes auront donc également leur mot à dire sur la conduite de l’entreprise.
Le 2 novembre 2010, l’assemblée générale des actionnaires du Monde a finalement cédé ses pouvoirs et donné le contrôle du groupe au Monde Libre. Mais, entre temps, le trio Bergé-Neil-Pigasse aura dû faire face à la question des participations minoritaires, celles des groupes Prisa et Lagardère. Pour 3,8 millions d’euros, Le Monde Libre a racheté les 17,3 % de parts détenues par le groupe Lagardère. En revanche, la participation de 15 % de Prisa a soulevé de nombreux problèmes, Prisa ayant menacé de mettre son veto au rachat en vertu du pacte d’actionnaires conclu en 2005. Le groupe espagnol disposait en effet d’un droit de sortie de 30 millions d’euros quand ses 15 % sont valorisés 3,5 millions d’euros. Il a donc obtenu du trio BNP d’entrer dans le capital du Monde Libre à hauteur de 20 % en échange d’un investissement de 8 millions d’euros et de la baisse de sa participation dans Le Monde SA de 15 à 5 %. Depuis cette date, les équipes de Matthieu Pigasse et de Xavier Neil ont repris en main la gestion du Monde et appliquent un plan sévère d’économies avec, pour objectif, de retrouver l’équilibre d’exploitation dès 2011, le quo- tidien affichant 20 millions d’euros de pertes en 2010, pour un chiffre d’affaires de 380 millions d’euros.
Le 5 décembre 2010, à l’issue du conseil de surveillance du groupe, le président du Monde, Eric Fottorino, a été révoqué et remplacé par Louis Dreyfus, qui dirigeait jusqu’alors Les Inrockuptibles, magazine détenu par Matthieu Pigasse. Valérie Kaufmann, jusqu’ici directrice de la rédaction du quotidien, élargit ses fonctions et a désormais autorité sur la rédaction web, ce qui annonce les synergies entre les deux rédactions souhaitées par les nouveaux actionnaires du groupe. Par ailleurs, l’offre du week-end devrait être renforcée dès septembre 2011. Une parution le matin est envisagée et les nouveaux dirigeants ont confirmé que le quotidien allait déménager dès que possible pour diminuer le loyer de son siège, qui s’élève à 9 millions d’euros par an. Le nouveau directeur du journal, Erik Izraelewiez, nommé en février, remplace Eric Fottorino.
Cédée pour un euro symbolique, La Tribune est au bord de la faillite
Chroniquement déficitaire, La Tribune avait été cédée pour un euro symbolique à Alain Weill en décembre 2007, vendue par le groupe LVMH après que celui- ci eut racheté Les Echos à Pearson (voir le n°5 de La revue européenne des médias, hiver 2007- 2008). Alain Weill comptait imposer à La Tribune les méthodes appliquées avec succès au groupe NextRadioTV qu’il contrôle, en optimisant notamment les coûts et en multipliant les synergies. La rationalisation s’est traduite dès 2009 par le retrait du quotidien de près de 4000 points de vente déficitaires, par l’abandon de l’édition du samedi et par le passage au format tabloïd. Parallèlement, une politique d’abonnement était lancée, que ce soit pour les versions papier ou en ligne du quotidien.
Malgré une diffusion en hausse au premier trimestre 2010, l’avenir du titre n’a semble-t-il pas convaincu Alain Weill qui a annoncé, le 20 mai 2010, avoir cédé 78 % de La Tribune pour 1 euro symbolique à sa directrice générale, Valérie Decamp. Alain Weill conserve toutefois 20 % du capital du titre. Il a refusé de prendre à sa charge le coût des départs entraînés par l’ouverture de la clause de cession, considérant que sa logique est celle « du développement industriel, pas du mécénat ». Or, c’est sur la clause de cession que va se jouer l’avenir de La Tribune et de ses journalistes. En effet, l’ouverture de la clause de cession peut siphonner très rapidement la trésorerie de 10 millions d’euros dont dispose le quotidien, un héritage de la cession par LVMH, le quotidien disposant lors de la vente d’une trésorerie de 45 millions d’euros, soit l’équivalent de trois années de pertes. Pour Alain Weill, les 10 millions d’euros de trésorerie doivent au contraire permettre au titre de tenir un an malgré les pertes, le temps pour sa nouvelle directrice générale de convaincre de nouveaux investisseurs de participer à une augmentation de capital. Mais, avec des pertes de 13,6 millions d’euros en 2008, de 14 millions d’euros en 2009, de près de 9 millions d’euros en 2010, La Tribune ne parvient pas à séduire les investisseurs alors que les besoins du groupe sont estimés à près de 15 millions d’euros. Des signaux positifs sont pourtant donnés : la suppression de l’édition du samedi et le passage au format tabloïd doivent permettre au quotidien d’économiser 6,5 millions d’euros sur l’année 2010 ; le quotidien a remodelé son offre éditoriale afin de se recentrer sur l’économie et se distinguer des Echos, son concurrent plus généraliste ; enfin l’équilibre est attendu dès 2012 et le quotidien a été pour la première fois bénéficiaire sur un mois en mars 2010. Faute d’avoir convaincu de nouveaux investisseurs, La Tribune a été placée en procédure de sauvegarde, le 5 janvier 2011, par le tribunal de commerce de Paris. Grâce à ce dispositif, La Tribune gagne six mois supplémentaires de visibilité en gelant ses 5 millions d’euros de créances, le temps pour sa direction de trouver des investisseurs. A cette occasion, Valérie Decamp a précisé que « six investisseurs regardent le dossier, dont quatre paraissent crédibles ». La suppression de neuf postes au sein de la rédaction est également engagée. Mais les perspectives restent difficiles, La Tribune prévoyant toujours des pertes pour 2011, réduites à 4,5 millions d’euros.
Libération se recapitalise pour investir Internet
Si Le Monde et La Tribune sont exposés à des restructurations douloureuses, celles qu’a dû subir Libération depuis le plan de sauvegarde mis en place en 2007 ont finalement été bénéfiques. En 2009, Libération a eu un résultat d’exploitation positif de 700 000 euros, le remboursement de ses dettes ayant toutefois conduit le groupe à afficher une perte de 1 million d’euros. En 2010, le titre devrait être bénéficiaire pour un résultat d’exploitation prévu aux environs de 3 millions d’euros. Mais la situation de Libération reste fragile : chaque année, le quotidien doit rembourser 1,8 million d’euros et compte sur les aides de l’Etat pour atteindre ses objectifs. Afin d’inverser cette tendance, le journal souhaite se développer sur Internet pour renforcer sa marque dans l’univers numérique et surtout augmenter le nombre de ses abonnés. En effet, la fragilité de Libération est en partie liée à sa dépendance vis-à-vis de la vente au numéro, plus aléatoire et qui génère des surcoûts importants liés aux invendus : alors que les abonnements comptent pour 46 % des ventes au Monde et 38 % au Figaro, ce chiffre descend à 18 % pour Libération. Pour développer cette stratégie, Libération s’est donc lancé, dès le 19 mai 2010, à la recherche de nouveaux actionnaires avec pour objectif de lever 10 millions d’euros.
Comme pour Le Monde ou La Tribune, trouver des investisseurs prêts à prendre des risques sur le marché de la presse écrite a été difficile. A vrai dire, les actionnaires de Libération n’ont pour l’instant pas de retour sur investissement à espérer : le plan de sauvegarde de 2007 a été financé par Edouard de Rothschild , qui détient 38 % du capital du quotidien, et par les héritiers de Carlo Carraciolo (35 % du capital) (voir le n°2-3 de La revue européenne des médias, printemps-été 2007), les deux actionnaires majoritaires ayant dû souscrire à une nouvelle augmentation de capital en 2009 où, aux côtés de Pierre Bergé, ils ont apporté 3 millions d’euros supplémentaires. Après des discussions qui n’ont pas abouti avec Claude Perdriel, Libération a finalement trouvé des fonds auprès du propriétaire de son immeuble rue Béranger, le groupe immobilier Colbert Orco. Annoncé le 1er décembre 2010, l’accord porte sur une augmentation de capital de 12 millions d’euros, ce qui diluera la participation d’Edouard de Rothschild dans Libération, qui restera toutefois le premier actionnaire du titre. L’activité de Colbert Orco, dont le dirigeant Bruno Ledoux a dit qu’il investissait dans Libération pour assurer le développement numérique du titre, est assez surprenante. Etranger à la presse, le nouvel actionnaire complète la liste de ceux qui, au sein de Libération, ont investi pour sauver un titre qui reste le symbole et l’héritier de la presse de gauche en France.
A la suite du refinancement, Claude Perdriel a mandaté Laurent Joffrin, qui codirige Libération avec Nathalie Collin, pour étudier un rapprochement de Libération et du Nouvel Observateur. Finalement, Laurent Joffrin va rejoindre Le Nouvel Observateur en tant que président le 1er mars 2011 et sera remplacé par Nicolas Demorand, l’animateur de radio issu d’Europe 1. Les liens entre Le Nouvel Observateur et Libération, s’ils doivent se développer, devraient donc se limiter à la recherche de synergies sur les abonnements, la publicité ou l’organisation de conférences.
Considérant Le Parisien comme un actif non stratégique, Amaury a cherché en vain à s’en séparer à un bon prix
En annonçant dans un communiqué, le 7 juin 2010, avoir mandaté la banque Rothschild pour étudier une ouverture du capital du Parisien, le groupe Amaury a indiqué souhaiter rééquilibrer ses activités dans le sport et le numérique pour moins dépendre de la presse, qui compte pour 80 % de son chiffre d’affaires. L’Equipe n’est pas concerné par l’étude stratégique commandée à la banque Rothschild, mais uniquement le pôle de presse régionale regroupant Le Parisien et les éditions nationales d’Aujourd’hui en France, la société de portage SDVP (Société de distribution et de vente du Parisien), les équipes dédiées de la régie publicitaire Amaury ainsi que quatre imprimeries. Le 8 juin 2010, Martin Desprez, directeur général délégué du groupe Amaury, précisait à La Correspondance de la Presse que le groupe réalise « 80 % de son chiffre d’affaires en presse quotidienne. Or vous ne pouvez pas avoir 80 % éternellement dans des marchés non porteurs si vous voulez assurer votre pérennité ». A l’occasion du comité extraordinaire d’entreprise qui s’est tenu le 16 juin 2010, c’est la vente en totalité du Parisien et non un seul « adossement partiel » qui était évoquée. En juillet, la data room permettant aux candidats au rachat d’accéder aux données financières de la CNC Le Parisien était ouverte.
A l’inverse du Monde, de La Tribune ou de Libération, l’ensemble des journaux mis en vente est rentable depuis 2006 et a dégagé en 2009 un résultat d’exploitation de 10 millions d’euros pour un chiffre d’affaires de 230 millions d’euros. Mais la diffusion des titres Le Parisien – Aujourd’hui en France est en baisse avec une diffusion France payée en repli de 4,5 % en 2009 pour 488 553 exemplaires selon l’OJD. Par ailleurs, toute restructuration sera difficile : après avoir repris en main Le Parisien en septembre 2009 et annoncé en novembre de la même année un plan de départs volontaires concernant 35 salariés, Marie-Odile Amaury a finalement dû renoncer à celui-ci en avril 2010 face à la résistance des journalistes. Enfin, Le Parisien doit investir dans le développement de ses activités numériques : le quotidien ne compte qu’une vingtaine de journalistes Internet sur une rédaction de 350 journalistes alors que son site cumule 4,5 millions de visiteurs uniques. Toutefois, grâce à ses bonnes performances et malgré les difficultés du dossier, le groupe a très vite suscité l’intérêt des acheteurs. La vente a finalement buté sur le prix de cession. Pour Marie-Odile Amaury, l’ensemble mis en vente valait 200 millions d’euros, une somme jugée trop élevée par les repreneurs potentiels, qu’il s’agisse d’acteurs français (Groupe industriel Marcel Dassault, Bolloré), étrangers (Springer, RCS Media Group) ou de l’alliance entre le fonds d’investissement Fondations Capital et le belge Rossel, qui contrôle Le Soir en Belgique et La Voix du Nord en France. Une fourchette comprise entre 130 et 170 millions d’euros a ensuite été évoquée, avec un ticket d’entrée minimal de 150 millions d’euros selon les déclarations du groupe Amaury. Mais les candidats se sont retirés un à un, notamment Serge Dassault qui a jugé le prix de- mandé trop élevé et les synergies avec Le Figaro insuffisantes, ou encore le groupe Springer qui n’aura pas voulu payer le prix demandé pour prendre le contrôle du Parisien. Ironie de l’histoire, c’est Le Parisien qui l’avait, en son temps, menacé d’une concurrence féroce pour l’empêcher de sortir son Bild à la française.
Finalement, seules deux offres de rachat ont été déposées par Bolloré et le tandem constitué par Capital Fondations, majoritaire, associé au groupe Rossel. Celles-ci n’ont pas convaincu Marie-Odile Amaury qui a annoncé, le 5 novembre 2010, renoncer à la cession du Parisien. L’arrivée à la tête du groupe, le 1er octobre 2010, de Philippe Carli, nouveau directeur général d’Amaury, aura sans doute contribué à cet infléchissement. Celui-ci compte en effet faire du Parisien « le plus grand quotidien français multimédia de référence », ce qui passera à coup sûr par un développement multisupport sur les mobiles et tablettes ainsi que par la fusion des rédactions web et papier. A défaut d’un repreneur à bon prix pour Le Parisien, le groupe Amaury va donc poursuivre le développement de son quotidien qui compte quand même pour un tiers du chiffre d’affaires total du groupe, compris entre 500 et 600 millions d’euros par an. En revanche, le groupe Amaury s’est séparé en septembre 2010 d’un actif jugé non stratégique, L’Echo Républicain et ses six autres titres régionaux, revendus au groupe Centre-France qui est en passe de constituer un nouveau géant de la presse quotidienne régionale (voir infra).
Sources :
- « La crise affecte les ventes de journaux », A.F., Les Echos, 4 février 2010.
- « La presse quotidienne voit son audience s’effriter », S.B., La Tribune, 15 mars 2010.
- « Le coût de l’assainissement », Erik Izraelewicz, La Tribune, 15 mars 2010.
- « Le Monde : vers la perte de contrôle des actionnaires historiques », Anne Feitz, Les Echos, 12 avril 2010.
- « Libération cherche des fonds pour son développement », A.F., Les Echos, 11 mai 2010.
- « L’afflux d’offres sur Le Monde soulève de nombreuses questions », Anne Feitz, Les Echos, 14 mai 2010.
- « Plusieurs candidats pour prendre le contrôle du journal Le Monde », Sandrine Bajos, La Tribune, 14 mai 2010.
- « Libération veut lever des fonds pour se renforcer sur Internet », Xavier Ternisien, Le Monde, 20 mai 2010.
- « Alain Weill se désengage de La Tribune », Delphine Denuit, Le Figaro, 21 mai 2010.
- « Alain Weill cède La Tribune à sa directrice générale », Anne Feitz, Les Echos, 21 mai 2010.
- « M. Weill cède La Tribune à sa directrice générale pour 1 euro symbolique », Xavier Ternisien, Le Monde, 22 mai 2010.
- « Claude Perdriel hésite à se porter candidat au rachat du journal Le Monde », Sandrine Bajos, La Tribune, 2 juin 2010.
- « A nos lecteurs », Eric Fottorino, Le Monde, 4 juin 2010.
- « Semaine décisive pour Le Monde », Anne Feitz et J-C F., Les Echos, 7 juin 2010.
- « Un adossement du Parisien à l’étude », Delphine Denuit, Le Figaro, 8 juin 2010.
- « Le groupe Amaury envisage de se désengager du Parisien », Anne Feitz, Les Echos, 8 juin 2010.
- « Amaury songe à vendre Le Parisien », Sandrine Bajos, La Tribune, 8 juin 2010.
- « Le Monde : une offre de rachat déposée hier », Anne Feitz et Jean- Christophe Féraud, Les Echos, 10 juin 2010.
- « Le Monde : Claude Perdriel veut faire une offre de reprise », Anne Feitz et Jean-Christophe Féraud, Les Echos, 11 juin 2010.
- « La cession du Parisien se précise », Sandrine Bajos, La Tribune, 14 juin 2010.
- « Reprise du Monde : Orange pose ses conditions », Anne Feitz, Les Echos, 17 juin 2010.
- « Le Nouvel Observateur et Orange main dans la main pour le rachat du Monde », Sandrine Bajos, La Tribune, 17 juin 2010.
- « Semaine clé pour la recapitalisation du Monde », Delphine Denuit, Le Figaro, 21 juin 2010.
- « Deux offres face à face pour la reprise du Monde », Anne Feitz, Les Echos, 22 juin 2010.
- « Les deux repreneurs du Monde rivalisent de promesses », Jamal Henni, La Tribune, 23 juin 2010.
- « Le groupe Le Monde a reçu deux offres d’investisseurs pour sa recapitalisation », Le Monde, 23 juin 2010.
- « La valeur des journaux est historiquement basse », Xavier Ternisien, Le Monde, 18 juin 2010.
- « Les journalistes du Monde choisissent leurs actionnaires », Nathalie Silbert, Les Echos, 25 juin 2010.
- « La fin d’un Monde », Sandrine Bajos, La Tribune, 28 juin 2010.
- « Le trio Bergé-Niel-Pigasse en route vers un nouveau Monde », Anne Feitz, Les Echos, 29 juin 2010.
- « Bergé, Niel et Pigasse rachètent Le Monde », E.R. et M.-C. B., Le Figaro, 29 juin 2010.
- « Libération cherche une dizaine de millions d’euros », interview de Nathalie Collin, E.R., Le Buzz média, Le Figaro, 30 juin 2010.
- « La mise en vente du Parisien s’accélère », Jean-Christophe Féraud, Les Echos, 8 juillet 2010.
- « Le dossier du Parisien suscite toujours des convoitises », Anne Feitz, Les Echos, 1er septembre 2010.
- « La Tribune en quête de 15 millions d’euros », interview de Valérie Decamp par Delphine Denuit, Le Figaro, 6 septembre 2010.
- « Serge Dassault s’apprête à faire une offre pour acheter Le Parisien à Amaury », Anne Feitz, Les Echos, 17 septembre 2010.
- « Le Monde : les journalistes ont abandonné leurs pouvoirs », Anne Feitz, Les Echos, 22 septembre 2010.
- « Le groupe Le Monde capitalise sur l’avenir », Le Monde, 25 septembre 2010.
- « Pourquoi Serge Dassault convoite Le Parisien », Xavier Ternisien, Le Monde, 26 septembre 2010.
- « Serge Dassault aurait renoncé à racheter Le Parisien », Anne Feitz, Les Echos, 25 octobre 2010.
- « Philippe Carli, l’homme des remises à plat, prend les rênes du groupe Amaury », Sandrine Bajos, La Tribune, 6 octobre 2010.
- « Le trio Bergé-Niel-Pigasse enfin propriétaire du Monde », Marie-Cécile Renault, Le Figaro, 3 novembre 2010.
- « Le Monde a changé de mains hier après des négociations tendues », Anne Feitz, Les Echos, 3 novembre 2010.
- « Le Parisien n’est plus à vendre », Philippe Larroque, Le Figaro, 6 novembre 2010.
- « L’avenir du Parisien se jouera dans le groupe Amaury », Anne Feitz, Les Echos, 8 novembre 2010.
- « Amaury va faire du Parisien le plus grand quotidien plurimédia de référence », Sandrine Bajos, La Tribune, 8 novembre 2010.
- « Libération est sur le point de boucler son augmentation de capital », S.C. et J.H., La Tribune, 2 décembre 2010.
- « Rapprochement à l’étude entre Libé et le Nouvel Obs », Anne Feitz, Les Echos, 6 décembre 2010.
- « Le Monde face à une nouvelle crise de gouvernance », Anne Feitz, Les Echos, 9 décembre 2010.
- « Les nouveaux actionnaires du Monde prennent les commandes », Anne Feitz, Les Echos, 16 décembre 2010.
- « Le quotidien La Tribune est placé sous procédure de sauvegarde », Xavier Ternisien, Le Monde, 5 janvier 2011.
- « La Tribune en procédure de sauvegarde », Enguérand Renault, Le Figaro, 6 janvier 2011.
- « Laurent Joffrin bientôt à la tête du Nouvel Obs », Anne Feitz, Les Echos, 10 janvier 2011.
- « Bergé, Niel et Pigasse veulent sauver Le Monde », A.F., Les Echos, 17 janvier 2011.
- « Demorand arrive à Libération, Poincaré à Europe 1 », Anne Feitz et Grégoire Poussielgue, Les Echos, 27 janvier 2011.