Réquisitoire, à coups d’enquêtes, contre la télévision pour les plus jeunes

Non seulement les chaînes destinées aux moins de trois ans ne les rendraient pas plus intelligents, mais surtout la télévision en général nuirait à la santé physique et mentale des enfants. Sans être toujours accusé à tort, le petit écran est loin d’être le seul responsable. Il montre aussi des réalités que les parents et l’école se devraient d’expliquer. La télévision, comme les bonbons, est à consommer avec modération.

Quelques chiffres donnent la mesure de la relation « fusionnelle » des enfants avec la télévision. Les petits français âgés de 4 à 14 ans passent en moyenne 2h12 par jour devant le petit écran (3h32 pour les adultes en 2010, soit +7 minutes par rapport à 2009 et +19 minutes en dix ans). Plus de 40 % des enfants de 13-14 ans et 25 % des 6-8 ans ont un poste de télévision dans leur chambre. Dans certaines villes, 50 % des enfants en maternelle, âgés de 3 à 6 ans, ont la télévision dans leur chambre et 50 % des enfants en école primaire, âgés de 6 à 10 ans, y ont un accès à Internet illimité. Selon Médiamétrie, 1,5 million d’enfants de 4 à 10 ans sont installés devant le petit écran à 20 heures et ils sont encore 800 000 à 22 heures en semaine, soit le même nombre que le matin à 8 heures. En France, deux chaînes anglo-saxonnes pour les tout-petits, Baby First et Baby TV, ont été autorisées à émettre alors que le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) recommande lui-même d’éviter la télévision avant l’âge de 3 ans. Les enfants sont loin de regarder exclusivement les programmes qui leur sont destinés : 80 % du temps qu’ils passent devant le petit écran est consacré à des programmes tous publics. L’émission de téléréalité Secret Story a attiré l’audience d’un tiers des 4-14 ans. Passant souvent avant les devoirs scolaires, la télévision sert de baby-sitter, de compagnie en fond sonore rassurant, alors que les enfants auraient besoin de silence pour se consacrer à leurs jouets. Télécommande à la main, les enfants zappent en toute liberté, visionnant souvent des programmes pour adultes, y compris le journal télévisé, qui nécessiteraient pourtant quelques explications de la part de ces derniers.

Docteur en neurosciences et directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), Michel Desmurget a publié un ouvrage intitulé TV Lobotomie. La vérité scientifique sur les effets de la télévision (Editions Max Milo, 2011) à partir de milliers d’articles parus dans des revues scientifiques internationales depuis les cinquante dernières années. Il tire des conclusions sans appel sur les méfaits de l’usage de la télévision pour la santé physique et mentale des enfants : difficultés d’apprentissage, anorexie, sexualité trop précoce, et plus tard tabagisme et risques cardiaques.

Il est établi que le nombre de mots entendus et prononcés avant l’âge de trois ans est déterminant dans le développement des capacités linguistiques et cognitives d’un enfant. Or, aux Etats-Unis, 40 % des bébés de trois mois regarderaient déjà la télévision. Selon une étude américaine, un enfant de 4 ans qui perçoit chaque jour 13 500 mots en moyenne de ses parents, en perdrait 25 % lorsque la télévision est allumée quatre heures par jour. Dans une étude néozélandaise datant de 2005, les chercheurs révèlent que chaque heure de télévision consommée par jour en semaine pour des enfants en primaire augmenterait de 43 % la probabilité de quitter l’école sans diplôme. Une expérience menée auprès de deux groupes d’enfants, l’un vivant avec la télévision dans la chambre et l’autre sans, indiquerait pour ces derniers des résultats supérieurs de 21 % en lecture, 26 % en expression verbale et 34 % en mathématiques. Publiée dans une revue scientifique britannique en 2002, les conclusions d’une expérience conduite durant trois années auprès d’adolescentes vivant dans les îles Fidji dévoilent que l’arrivée de la télévision aurait eu une incidence considérable sur leurs habitudes alimentaires. Plus des deux tiers des jeunes filles se sont mises au régime pour répondre aux canons de beauté occidentaux bien différents de ceux en vigueur jusqu’alors dans leur pays. Par les nombreuses scènes de tabagisme qu’elle diffuse notamment à travers des fictions, la télévision favoriserait, plus encore que l’entourage familial ou amical, l’usage du tabac par les adolescents, comme le montrent des enquêtes récentes auxquelles se réfère le neuropsychologue Michel Desmurget. Selon une étude américaine de 2005, 70 % des programmes tous publics contiennent des connotations sexuelles avec en moyenne cinq scènes par heure. Ainsi, entre 10 % et 20 % des adolescents exposés à ces programmes auraient une sexualité plus précoce, d’environ trois ans, que les 10 % à 20 % de jeunes qui regardent moins la télévision. Si les risques d’obésité liés à l’immobilisme et au grignotage devant le petit écran sont avérés, une étude australienne de 2010 indique que, plus gravement, la probabilité de mourir d’une maladie cardio-vasculaire est quasiment deux fois plus importante pour l’individu très gros consommateur de télévision, plus de quatre heures par jour, que pour le téléspectateur de moins de deux heures quotidiennes.

Poussant encore plus loin son réquisitoire anti-télévision, Michel Desmurget s’interroge sur la raison d’une violence omniprésente dans les programmes audiovisuels. Une étude du CSA portant sur plus de 100 heures d’émissions a permis de dénombrer en moyenne deux crimes et une dizaine d’actes violents par heure. Ce qui représente pour un téléspectateur moyen qui regarde la télévision 3h30 par jour, quelque 2 600 crimes et 13 000 actes de violence en une année. La moitié des fictions montrent des actes criminels, et cette violence est perpétrée généralement par des personnages positifs, ce qui la rend « acceptable » et « justifiée » explique Michel Desmurget. Des conclusions assez similaires ressortent de la plus vaste étude jamais réalisée quelques années plus tard aux Etats-Unis, portant sur 10 000 heures de programmes diffusés par 23 chaînes américaines, pris au hasard pendant une période de trois ans. Elles permettent au neuropsychologue de livrer une argumentation à charge : « Plusieurs recherches récentes ont montré que les contenus agressifs et brutaux étaient, à travers le stress qu’ils imposent au cerveau, une bénédiction pour les annonceurs. M. Le Lay (NDLR : ancien PDG de TF1) songeait d’ailleurs peut-être à ces recherches lorsqu’il évoquait, dans une saillie devenue culte, ces programmes susceptibles de « préparer » le cerveau afin de rendre ce dernier pleinement « disponible » aux coupures publicitaires. On sait notamment aujourd’hui qu’un individu soumis à des tensions émotionnelles enregistre mieux les messages qui lui sont imposés et s’avère plus aisément conditionnable. L’effet est doublement intéressant pour les marques alimentaires dans la mesure où ces tensions encouragent aussi, à travers un certain nombre de mécanismes biochimiques, la consommation de produits gras et sucrés ».

La mise en accusation de la télévision pour les enfants fait l’objet d’un débat récurrent depuis des décennies. Difficile de trouver un discours modéré sur ce sujet brûlant qui mènerait volontiers vers une forme de censure ou d’angélisme, opposant surtout des extrêmes, les radicaux « sans-télé » aux défenseurs d’une télévision bouc-émissaire. Sans tomber dans l’idéologie américaine du bien-pensant, il est possible cependant de militer pour des règles simples n’impliquant pas de placardiser la télévision mais d’en faire un usage réfléchi. Des campagnes se multiplient pour inciter « à sortir du flux », selon l’expression du psychiatre Serge Tisseron, en expérimentant un quotidien sans petit écran. En avril dernier se déroula l’édition 2011 de la Semaine internationale sans télé, à l’initiative d’une association canadienne.

La télévision est incontestablement un moyen d’information et de divertissement à consommer avec ce qu’il faut de recul et de maîtrise pour en profiter sans la subir. Il reste que le petit écran n’est plus seul à retenir trop longtemps l’attention des plus jeunes. S’ajoutent désormais d’autres écrans, celui de la console de jeux, de l’ordinateur, du téléphone portable et de la tablette poussant les petits comme les grands à devenir « multitâches ». Selon Médiamétrie, le nombre d’équipements numériques au sein des foyers français a presque doublé en cinq ans, passant de 5 à 9 entre le 1er trimestre 2006 et le 1er trimestre 2011, et plus de la moitié sont des écrans. Serge Tisseron prône la règle du 3, 6, 9, 12 : pas de télévision avant 3 ans, pas de console de jeux portable avant 6 ans, la découverte accompagnée d’Internet à partir de 8-9 ans et 12 ans pour aller seul sur Internet. A l’instar de la Société américaine de pédiatrie, il préconise un temps d’écran (et pas seulement du petit écran) acceptable d’une heure par jour pour les 3-5 ans, deux heures pour les 5-8 ans et trois heures à partir de 9-10 ans.

Pour ajouter un argument supplémentaire à la thèse de Michel Desmurget, une étude australienne parue tout récemment montre qu’une trop grande consommation de télévision a un effet sclérosant sur la vascularisation de la rétine qui reflète celle du cerveau. Réalisée sur 1 492 enfants de 6 ans, cette étude indique que chaque heure passée quotidiennement devant le petit écran entraîne une diminution du calibre des artérioles rétiniennes, qui provoque une augmentation de la pression sanguine. Le calibre de ces artérioles de la rétine chez les enfants qui pratiquent le plus de sport est plus gros (+2,2 microns) que celui des enfants qui regardent le plus la télévision. L’activité physique serait donc plus bénéfique que la « téléphagie » pour l’activité du cerveau.

Sources :

  • « La télé accusée de nuire à notre santé », Hélène Bry, Le Parisien, 3 février 2011.
  • « Nourrissons-les aux images violentes, c’est bon pour les affaires ! », Michel Desmurget, L’Humanité Dimanche, 24 février 2011.
  • « Télé, attention danger ! », interview de Michel Desmurget, propos recueillis par Marjolaine Jarry, TéléObs, Le Nouvel Observateur, 3 mars 2011.
  • « Trop de télévision et pas assez de sport rend les enfants idiots », C.D., Les Echos, 12 mai 2011.
  • « Plus de la moitié des équipements numériques sont des écrans », Référence des Equipements Multimédias, 1er trimestre 2011, communiqué de presse, GfK/Médiamétrie, 17 mai 2011, mediametrie.fr
  • « TV Lobotomie », Michel Desmurget, Editions Max Milo, 318 p., 2011.
Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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