La France est l’un des rares pays à héberger trois quotidiens gratuits, une concurrence particulière qui conduit 20 Minutes, Direct Matin et Metro dans une course à l’audience pour attirer les annonceurs. Alors que 20 Minutes et Direct Matin se sont engagés dans une surenchère sur le nombre d’exemplaires distribués, Metro pourra désormais s’appuyer sur la puissance en France du groupe TF1, après le départ de son actionnaire historique, qui renonce à l’Hexagone à défaut de rentabilité pour son gratuit.
En 2009, les trois quotidiens gratuits du matin, Metro, 20 Minutes et Direct Matin tiraient chacun à moins de 500 000 exemplaires. La crise du marché publicitaire cette même année, et sa reprise en 2010, ont conduit deux gratuits à se lancer dans une course à l’audience afin de proposer aux annonceurs une offre plus attractive. Mi-2011, 20 Minutes et Direct Matin avaient doublé leur diffusion pour atteindre un million d’exemplaires distribués chaque jour, espérant ainsi augmenter les tarifs de leurs encarts publicitaires, fidéliser les annonceurs sur la cible urbaine, et même proposer une offre nationale de communication susceptible d’attirer de nouveaux annonceurs. Reste que le marché publicitaire pour les gratuits oscille, en France, entre 110 et 120 millions d’euros par an, ce qui limite les perspectives des titres lancés dans une compétition qui aboutira, très certainement, à la disparition à terme de l’un d’entre eux.
Leader en audience, 20 Minutes a une stratégie de couverture maximale du territoire, doublée d’une forte présence sur Internet, afin d’élargir sans cesse son public potentiel. Bénéficiaire pour la première fois en 2008 (résultat d’exploitation de 0,7 millions d’euros pour un chiffre d’affaires de 50,4 millions d’euros) (voir REM n°10-11 p.18), 20 Minutes a traversé la crise publicitaire de 2009 au prix d’une réorganisation de grande ampleur : le groupe, détenu à parité par Ouest France et l’éditeur norvégien Schibsted, a été recapitalisé à hauteur de 30 millions d’euros, a réorganisé ses rédactions et mis en place un plan d’économies, 20 postes ayant été supprimés. Fin 2009, 20 Minutes annonçait ainsi être parvenu à rester bénéficiaire malgré les difficultés sur le marché, avec un résultat d’exploitation de 0,8 million d’euros pour un chiffre d’affaires de 49,3 millions d’euros. La reprise du marché en 2010 s’est traduite par une politique agressive de conquête des audiences avec, pour stratégie, la multiplication des éditions : Nice, Grenoble, Montpellier et Rennes. A cela s’ajoute le développement du site internet et des applications mobiles, une stratégie multimédia qui a permis au site de 20 Minutes de réaliser en 2010 un chiffre d’affaires de 4 millions d’euros, en hausse de 77 % par rapport à 2009, d’atteindre quasiment l’équilibre et de devenir le troisième site d’information en France, derrière Le Figaro, qui reste leader, suivi du Monde. Fin 2010, tiré par la reprise du marché publicitaire, 20 Minutes multipliait ainsi son résultat d’exploitation par trois, à 3 millions d’euros, pour un chiffre d’affaires en hausse de 6,4 % à 52,4 millions d’euros. Et 2011 s’annonce comme l’année du changement d’échelle : depuis le 16 mars, 20 Minutes, jusqu’alors présent dans 12 agglomérations, est distribué dans 20 villes supplémentaires, soit 32 villes au total, ce qui lui permet d’atteindre une diffusion d’un million d’exemplaires chaque jour, contre 770 000 auparavant, soit une hausse de 30 % du nombre d’exemplaires mis à disposition. Mais cette course à l’audience oblige 20 Minutes à se positionner sur des territoires où la démographie est moins porteuse que les grandes agglomérations, comme les éditions lancées à Caen, Dijon, Nancy ou Tours. A terme, 20 Minutes envisage même d’être distribué dans des villes de moins de 100 000 habitants comme Pau, ou de moins de 50 000 habitants comme Bayonne, pour y distribuer jusqu’à 2 000 exemplaires par jour. Les coûts structurels sont dans ce cas plus élevés, inconvénient que 20 Minutes compte transformer en avantage en garantissant aux annonceurs une couverture de 98 % des actifs urbains en France, selon Pierre-Jean Bozzo, son président. En s’installant sur tout le territoire, 20 Minutes captera également une audience pour son site internet, la « mise en main » d’un gratuit dans la rue constituant également une campagne de communication pour le gratuit et sa marque.
Face à l’offensive de 20 Minutes, Direct Matin, détenu par le groupe Bolloré, s’est lui aussi lancé dans une course à la diffusion, mais avec une stratégie différente. Sur Internet, Direct Matin est peu présent, les agglomérations moyennes ou de petites tailles n’étant pas non plus le seul moyen d’augmenter l’audience, malgré le lancement, en 2011, de nouvelles éditions à Rennes, Aix-en-Provence, Avignon, Toulon et Rennes. Direct Matin privilégie en effet les grands centres urbains, qui sont très bien couverts, en y augmentant régulièrement sa diffusion, notamment sur les dix principales agglomérations dont la population est supérieure à 500 000 habitants (dont Paris, Marseille, Lyon, Nice, Lille, Bordeaux, Toulouse). Direct Matin s’appuie dans ces agglomérations sur des partenariats avec la presse quotidienne régionale (La Provence à Marseille, Le Progrès à Lyon, Midi Libre à Montpellier, Sud Ouest à Bordeaux, La Voix du Nord à Lille ou La Dépêche à Toulouse). Direct Matin a également un partenariat avec Le Monde et Courrier International, qui lui fournissent chaque jour entre 6 et 8 pages éditorialisées. Enfin Direct Matin bénéficie à Paris d’une exclusivité sur la distribution de son gratuit dans le métro, grâce à son partenariat avec la RATP. Avec cette stratégie de renforcement sur les zones fortement peuplées, le titre a atteint une diffusion d’un million d’exemplaires au printemps 2011. Mais ses résultats sont encore négatifs : en 2010, Direct Matin a affiché une perte de 10 millions d’euros pour un chiffre d’affaires de 25 millions d’euros. Si les montants sont sans commune mesure avec ceux de son concurrent 20 Minutes, la comparaison n’est toutefois pas pertinente car les structures de coûts des deux groupes sont radicalement différentes : en effet, Direct Matin délègue à la presse quotidienne régionale les frais d’impression et de distribution, en échange d’un partage des recettes publicitaires. Enfin, le groupe a, depuis décembre 2010, arrêté la distribution de son gratuit du soir Direct Soir, qui n’a pas trouvé sa place sur le marché, les pics d’affluence du matin dans les grandes agglomérations étant notamment sans commune mesure avec les retours du travail le soir, beaucoup plus étalés.
Cette course à la diffusion entre 20 Minutes et Direct Matin, si elle augmente les coûts pour les deux groupes, ne devrait pas pour autant modifier significativement la part de marché publicitaire allouée par les annonceurs à la presse gratuite. Les performances des uns pénalisent donc les résultats des autres, au premier rang desquels ceux du groupe Metro. Le groupe, dans lequel TF1 a pris, pour 12 millions d’euros, une participation de 34,3 % depuis septembre 2003 aux côtés du suédois Metro International, a ainsi affiché 1,2 million d’euros de déficit d’exploitation en 2010 pour un chiffre d’affaires de 32 millions d’euros. Il s’agit d’un véritable retournement de situation car Metro avait été le premier gratuit français à afficher des bénéfices dès 2005, puis en 2006, 2007 et 2009. Au premier trimestre 2011, les pertes se sont encore accrues, avec un déficit de 2,06 millions d’euros. Metro France est ainsi devenu le maillon faible du groupe Metro International, qui a pour stratégie de se débarrasser de ses éditions déficitaires sur les marchés où la concurrence entre plusieurs gratuits interdit à terme une rentabilité pérenne. Après la cession, le 7 juin 2011, de sa version hongroise, Metro International a donc mis en vente sa filiale française. Le 30 juin 2011, TF1 a fait jouer son droit de préemption, obtenu lors de sa prise de participation, et a donc annoncé être entré en négociations exclusives pour le rachat des 63,7 % du capital de Metro France détenus par Metro International. Le 26 juillet 2011, à l’occasion de la présentation des résultats semestriels de TF1, Nonce Paolini, PDG du groupe, confirmait avoir dû faire jouer son droit de préemption à la suite de l’offre de reprise d’un tiers, le quotidien La Tribune indiquant qu’il s’agirait du groupe Bolloré. TF1 a donc pu prendre le contrôle de Metro au prix proposé lors des négociations entre le tiers et Metro International pour une valorisation « très attractive » selon Nonce Paolini, à savoir quelques dizaines de millions d’euros et moins probablement que la valorisation de 35 millions d’euros du groupe Metro France lors de l’entrée de TF1 dans son capital en 2003. Reste désormais à TF1 à relancer le titre face à la concurrence de Direct Matin et de 20 Minutes. Le groupe TF1 compte pour cela s’appuyer sur les synergies avec ses autres médias afin de proposer une offre à 360° aux annonceurs. La force de frappe de la première chaîne, mais également le pôle numérique de TF1 sont en effet un atout de taille pour Metro, son concurrent 20 Minutes ne pouvant espérer de grandes synergies avec Ouest France et Direct Matin devant, à terme, ne plus bénéficier des synergies de groupe mises en place avec Direct 8 et Direct Star. Les deux chaînes du groupe Bolloré sur la TNT ont en effet été cédées au groupe Canal+ le 8 septembre 2011, avec une valorisation de 465 millions d’euros pour Direct 8 et Direct Star réunies qui, à l’avenir, pourront être des déclinaisons de la marque Canal plutôt que de la marque Direct.
Sources :
- « 20 Minutes France en ordre de bataille pour 2010 », A.F., Les Echos, 22 février 2010.
- « 20 Minutes a amélioré sa rentabilité l’an dernier », Nicolas Rauline, Les Echos, 21 février 2011.
- « Bolloré espère rentabiliser Direct Matin en 2011 », Jean-Christophe Féraud, Les Echos, 4 mars 2011.
- « 20 Minutes affiche de grandes ambitions », A.F., Les Echos, 9 mars 2011.
- « Journaux gratuits : la course à la diffusion s’intensifie entre Direct Matin, 20 Minutes et Metro », Xavier Ternisien, Le Monde, 11 mars 2011.
- « Un million d’exemplaires de Direct Matin dès juin », interview de Jean-Christophe Thierry, président de Bolloré Média, P/L/, Buzz Media Orange Le Figaro, 24 mars 2011.
- « TF1 va prendre 100 % du quotidien gratuit Metro », A.F. et N.S., Les Echos, 1er juillet 2011.
- « TF1 va racheter la totalité du capital du gratuit Metro en France », Guy Dutheil, Le Monde, 2 juillet 2011.
- « TF1 court-circuite Bolloré pour le rachat de Metro », Jamal Henni, La Tribune, 27 juillet 2011.