Le scandale News of the World menace le groupe News Corp. et la famille Murdoch

Il aura fallu deux semaines, entre les révélations du Guardian, le 4 juillet 2011, et l’audition devant les parlementaires britanniques de Rupert et James Murdoch, le 19 juillet, pour que l’ensemble des institutions du Royaume-Uni plonge dans une crise profonde. Pour Rupert Murdoch, qui a dû fermer News of the World, reporter le rachat de la totalité de BSkyB et verser des dividendes conséquents aux actionnaires de News Corp., la tâche reste immense : sauver son groupe News Corp., conserver le contrôle de News Corp., finaliser après l’avoir reporté le dossier BSkyB, préserver l’avenir de son fils James Murdoch.

En parvenant, en mars 2011, à éviter une saisie de l’autorité britannique de concurrence pour le rachat de la totalité du capital de BSkyB, moyennant quelques concessions sur Sky News afin de maintenir le pluralisme des médias (voir REM n°18- 19, p.21), le groupe News Corp. a fait la preuve, une fois encore, de sa capacité à se concilier les faveurs du monde politique britannique. En effet, si BSkyB est l’actif très rentable du groupe au Royaume-Uni, l’influence de News Corp. Outre-Manche dépend d’abord de son contrôle, à travers sa filiale News International, de deux tabloïds redoutés, News of the World et le Sun, ainsi que du très sérieux Times et de son édition dominicale Times on Sunday. C’est cette influence que vient de perdre le groupe News Corp. après les révélations du Guardian sur des écoutes illégales de messageries téléphoniques. Avec l’affaire News of the World, la presse britannique, ce « quatrième pouvoir » souvent montré en exemple, a découvert en son sein un ange noir : les pratiques des journalistes du tabloïd ont été cautionnées parce qu’elles reposaient sur une collusion d’intérêts avec le monde politique et la police.

Ecoutes téléphoniques et connivences : la police, le monde politique et la presse britannique, trois institutions en crise après l’affaire News of the World

L’affaire News of the World est ancienne, mais jusqu’ici elle avait suscité l’indulgence de l’opinion, qui se délectait des scoops du tabloïd. Ainsi, début 2005, News of the World (NoW) remportait les deux prix prestigieux de « journal de l’année » et du « scoop de l’année » après avoir révélé, en 2004, les infidélités de David Beckham puis de l’entraîneur de l’équipe de football d’Angleterre, Sven-Göran Eriksson. Il faudra attendre fin 2005 pour que la machine à scoops suscite pour la première fois des premières interrogations : surpris de la révélation par News of the World que le prince Williams est blessé au genou, Buckingham Palace saisit Scotland Yard pour rechercher l’origine de l’information. L’enquête conclut une première fois à l’existence d’écoutes téléphoniques : le journaliste Clive Goodman, spécialiste de la monarchie au News of the World, est accusé d’avoir recouru aux services du détective privé Glenn Mulcaire pour écouter 600 messages téléphoniques des employés de Buckingham Palace. Début 2007, les deux hommes sont condamnés à une peine de prison, ce qui conduit, dans la foulée, à la démission d’Andy Coulson, rédacteur en chef de News of the World depuis 2003. Après une enquête interne au sein de News of the World, cette première affaire d’écoutes est présentée comme un cas isolé. Les protagonistes au cœur du système qui fera pourtant exploser quatre ans plus tard le tabloïd sont déjà tous en place.

En juillet 2009, l’affaire des écoutes est relancée par le Guardian qui accuse News of the World d’avoir piraté, en 2006, les téléphones portables de milliers de personnalités. Interrogé par la Commission des médias de la Chambre des communes, l’ancien rédacteur en chef Andy Coulson, devenu depuis porte-parole du Premier ministre David Cameron, déclare le 21 juillet 2009, n’avoir « jamais toléré l’utilisation des écoutes illégales ». En août 2009, une seconde enquête interne au sein de News of the World conclut de nouveau à l’absence de preuves sur l’existence d’écoutes illégales. En septembre 2009, la Press Complaint Commission, l’autorité britannique de régulation de la presse, parvient aux mêmes conclusions. L’indulgence du public joue également en faveur de News of the World car l’affaire porte pour l’instant sur des stars et des responsables politiques dont le tabloïd relate les écarts croustillants.

En mars 2010, le Guardian révèle que News of the World a dépensé des millions de livres pour éviter les procès que nombre de personnes écoutées ont voulu lui intenter. Scotland Yard rouvre l’enquête, qui n’aboutit pas, une fois de plus. C’est finalement News of the World qui va se trahir, le 5 janvier 2011, en licenciant Ian Edmonson, l’un de ses cadres, à la suite d’une enquête interne sur les écoutes. Le 17 janvier 2011, Glenn Muclaire, condamné en 2007 dans la même affaire, révèle qu’il recevait ses ordres d’Ian Edmonson. Une chaîne de commandement, donc une organisation des écoutes, commence à apparaître au grand jour. La presse britannique de gauche demande alors des comptes à Ian Coulson, qui était le supérieur d’Ian Edmonson à l’époque des faits, avant de rejoindre David Cameron. Embarrassé, Ian Coulson renonce, le 21 janvier 2011, à ses fonctions de porte-parole du Premier ministre.

La collusion entre News of the World et le monde politique commence à donner une nouvelle dimension à l’affaire, ce qui conduit la police à rouvrir le dossier des écoutes le 26 janvier 2011. Cette fois, l’enquête produit des résultats : la police découvre que les 11 000 pages remplies de numéros de téléphone, saisies chez Glenn Mulcaire en 2007 et jusqu’ici considérées comme inexploitables, renferment en fait entre 3000 et 4000 contacts ayant fait l’objet d’écoutes téléphoniques. En avril 2011, News of the World admet avoir recouru, entre 2004 et 2006, sous l’ère Coulson, à des écoutes téléphoniques de près de 3000 personnalités. En son sein, la police commence à s’interroger sur les résultats des précédentes enquêtes, restées sans suite alors que le document et les listings des personnes espionnées par News of the World étaient en sa possession depuis quatre ans. Finalement, il apparaît très vite que ces retards pourraient être liés au fait que de nombreux fonctionnaires de police ont été corrompus, aidant même News of the World dans ses enquêtes hors contrôle.

La machine va finalement s’emballer le 4 juillet 2011 avec la révélation, par le Guardian, que News of the World a piraté, après sa disparition le 21 mars 2002, la messagerie de Milly Doller, une fillette de 13 ans, enlevée et assassinée. Or, la messagerie étant saturée, les journalistes de News of the World ont supprimé des messages afin de pouvoir en recueillir de nouveaux : la police, constatant que certains messages avaient été supprimés, a penché pour une fugue, et l’enquête a été inévitablement retardée. Des stars et du monde politique, l’affaire des écoutes chute brutalement dans les faits divers criminels, révélant également que News of the World est prêt à tout pour un scoop, y compris auprès des victimes. Le 6 juillet 2001, David Cameron, Premier ministre britannique, se dit « absolument dégoûté » et demande d’une part une enquête parlementaire sur « la moralité et l’éthique journalistiques », qui devra conduire à une réforme de la Press Complaint Commission, voire à une refonte des lois anti-concentration et, d’autre part, une enquête sur les pratiques de News of the World pour faire toute la lumière sur le hacking scandal. David Cameron, l’un des alliés essentiels du groupe News Corp., commence alors à prendre ses distances. Le 7 juillet 2011, le Daily Telegraph révèle que le scandale des écoutes téléphoniques pourrait également concerner les proches des victimes des attentats du métro londonien en 2007, ainsi que les familles des soldats tués en Irak et en Afghanistan. En fin de journée, sur Sky News, James Murdoch, à la fois président de News International et de BSkyB, annonce la fermeture de News of the World.

La décision de mettre un terme à News of the World constitue en elle-même un geste symbolique très fort. News of the World est d’abord le premier titre de la presse britannique avec un tirage hebdomadaire de 2,6 millions d’exemplaires. C’est aussi un titre ancien, fondé en 1843, et sur lequel News Corp. s’est appuyé pour commencer sa conquête du marché britannique. Racheté en 1969, News of the World est paru une dernière fois le 10 juillet 2011 avec, pour une, un « Merci et au revoir » en pleine page. Pour News Corp., la fin de News of the World est une perte économique toute relative : si le titre, bénéficiaire, tire les résultats de News International, la division presse du groupe au Royaume-Uni, il demeure que celle-ci ne contribue qu’au quart des bénéfices de News Corp. dans la presse, qui se sont élevés à 530 millions de dollars sur l’exercice 2009-2010, soit une petite part du bénéfice annuel du groupe dans son ensemble, qui s’élève à 3,96 milliards de dollars. En mettant fin à News of the World, News Corp. prend surtout acte de sa perte d’influence au Royaume-Uni. Il donne en même temps astucieusement le change face à ses détracteurs qui considèrent que le rachat de la totalité de BSkyB par le groupe serait une menace au pluralisme des médias : la perte de News of the World sauve peut-être à terme la prise de contrôle de BSkyB et évite à coup sûr des pertes sur le marché publicitaire, les annonceurs ayant commencé, dès la révélation du Guardian sur Milly Doller, à reprendre leurs budgets de communication.

Reste au groupe News Corp. à faire oublier ses pratiques s’il compte revenir en grâce au Royaume- Uni, où il fait désormais face à la fronde du monde politique, avec lequel pourtant il a tissé des liens très étroits, et finalement dangereux. Chaque parti, chaque grand dirigeant, a en effet entretenu des rapports avec le groupe News Corp. et cherche désormais à les rompre. Ainsi, le 8 juillet 2011, soit le lendemain de l’annonce de la fermeture de News of the World, David Cameron a été contraint d’organiser une conférence de presse pour rendre compte de ses liens avec Andy Coulson, arrêté le jour même par la police. L’ancien rédacteur du News of the World, sitôt renvoyé, avait été recruté en 2007 par David Cameron, alors dans l’opposition, qui souhaitait lui donner une seconde chance. Il s’agissait également pour David Cameron de se rapprocher du groupe News Corp., capable de faire une élection au Royaume-Uni, ce que l’intéressé a reconnu en parlant de relations trop « cozy », trop proches donc, entre le monde politique et la presse. Or Andy Coulson fut ensuite promu porte-parole de David Cameron, une fois celui-ci au pouvoir, alors même que le Guardian avait informé le Premier ministre des risques liés à cette amitié. La démission d’Andy Coulson en janvier 2011 n’aura donc pas suffi à faire taire les inquiétudes autour de possibles conflits d’intérêts entre David Cameron et le groupe de Rupert Murdoch : il est vrai que ce dernier fut parmi les premiers à être invités par David Cameron au 10 Downing Street, quelques heures à peine après sa prise de fonction ; il est vrai également que David Cameron avait l’habitude de passer ses week-ends avec Rebekah Brook, qui a précédé Andy Coulson à la tête de News of the World entre 2000 et 2003, au moment de l’affaire Molly Dowler, avant de prendre la direction générale de News International.

A la suite de cette conférence de presse, tenue le vendredi après l’annonce du Guardian le lundi de la même semaine, David Cameron a franchi le pas et abandonné le groupe News Corp. Le 12 juillet 2011, David Cameron se mettait d’accord avec son vice-premier ministre libéral, Nick Clegg, et l’opposant travailliste Ed Miliband, pour une union sacrée des trois partis au sein du Parlement afin de demander un réexamen de l’autorisation donnée au groupe News Corp. de s’emparer de la totalité du capital de BSkyB. David Cameron a cédé ici à la campagne anti-concentration lancée par Ed Miliband, lui aussi proche du groupe News Corp., mais qui fut l’un des premiers, dès les révélations parues, à prendre ses distances avec Rupert Murdoch. En fin tacticien, Rupert Murdoch a préféré ne pas attendre le vote de la mention par le Parlement et News Corp. Par l’intermédiaire de son directeur général, Chase Carey, il a annoncé, dès le 12 juillet 2011, renoncer au rachat des 61 % de BSkyB qu’il ne détenait pas encore et soumettre au préalable l’opération à l’examen de la Competition Commission, l’autorité britannique de concurrence. Outre le monde politique, l’affaire News of the World aura également ébranlé la police britannique. Parallèlement aux pots-de-vin versés par News of the World à certains enquêteurs de Scotland Yard entre 2003 et 2007, une pratique révélée par des courriels transmis par Rebekah Brooks elle-même aux enquêteurs, ce sont également les deux principaux dirigeants de l’élite de la police britannique qui se sont révélés très proches du groupe News Corp. En effet, dans l’enquête sur News of the World apparaît le nom de Neil Wallis, qui a travaillé au journal de 2003 à 2009 comme rédacteur en chef adjoint. Neil Wallis, arrêté le 14 juillet 2011, est soupçonné « d’avoir conspiré en vue d’intercepter des communications ». Or, ce même Neil Wallis est l’ami de John Yates, numéro 2 de Scotland Yard, et il fut recruté comme conseiller en communication du patron de Scotland Yard, Paul Stephenson, entre octobre 2009 et septembre 2010. Parce qu’il a tenu l’information secrète lors des enquêtes successives sur l’affaire des écoutes, Paul Stephenson a préféré démissionner le 17 juillet 2011. John Yates démissionnait à son tour le lendemain. De son côté, John Stevens, le prédécesseur de Paul Stephenson à la tête de Scotland Yard entre 2000 et 2005, est devenu chroniqueur pour News of the World après son départ de la police. Andy Hayman, le policier chargé de la première enquête sur News of the World, en 2006, a depuis été recruté au Times, qui appartient au groupe News Corp. Ces liens incestueux entre le groupe News Corp. et la police britannique seront sans aucun doute également au cœur de l’enquête publique sur l’éthique de la presse, demandée par David Cameron au juge Leveson.

Le rachat de BSkyB reporté

En annonçant le 12 juillet 2011 soumettre à l’Autorité britannique de concurrence le projet de rachat de la totalité du capital de BSkyB, un jour avant le vote du Parlement qui l’y aurait probablement contraint, News Corp. s’est en fait donné du temps pour mener à bien son projet. En effet, à condition de céder le contrôle de Sky News, la chaîne d’information du groupe, News Corp. devait être autorisé à s’emparer de la totalité de BSkyB par le ministre de la Culture, Jeremy Hunt, donc par le gouvernement de David Cameron. Politiquement, donner une telle autorisation était impossible et Jeremy Hunt aurait dû reporter sa décision. Pour se prémunir, Jeremy Hunt a d’ailleurs saisi, dès le 11 juillet 2011, les deux instances de régulation susceptibles de s’opposer au rachat de BSkyB pour leur demander si l’opération suscitait des « inquiétudes supplémentaires », au vu du contexte lié à l’affaire des écoutes. Il a demandé, d’une part, à la Competition Commission son avis sur le contexte concurrentiel et d’autre part, à l’Ofcom, le régulateur des communications, son avis sur le contrôle de 39 % du capital de BSkyB par News Corp. et ses conséquences sur le pluralisme des médias, qui pourra être considéré du point de vue de l’ensemble des actifs du groupe, presse et audiovisuels inclus, et non par type de médias. L’Ofcom, qui avait déjà été consulté sur le projet de rachat de BSkyB et avait donné un avis négatif en invoquant une atteinte au pluralisme des médias, devra toutefois se prononcer sur le nouveau contexte médiatique à l’issue de la fermeture de News of the World. Par ailleurs, dès le 8 juillet 2011, l’Ofcom a lancé une enquête sur la nature du groupe News Corp., la loi britannique indiquant que la prise de contrôle d’un média, ici BSkyB, doit être autorisée uniquement pour des groupes « aptes et convenables ». A vrai dire, cette dernière enquête sur la nature « convenable » du groupe a peu de chances d’aboutir car elle suppose au préalable une condamnation criminelle d’un cadre de News Corp., qui nécessitera au moins deux ans, le temps pour la justice de parvenir au terme d’un éventuel procès.

Afin d’éviter une enquête commanditée par le monde politique, il a donc suffi à News Corp. de revenir sur son engagement de céder SkyNews pour gagner du temps. La cession de SkyNews avait en effet été imaginée pour répondre à l’avis négatif de l’Ofcom et permettre au ministre de la Culture, Jeremy Hunt, de ne pas saisir l’Autorité de concurrence. En refusant de céder SkyNews, News Corp. met fin à l’accord conclu avec Jeremy Hunt et doit donc soumettre son projet à l’Autorité de concurrence. C’est ce que déclarait le groupe le 12 juillet 2011 : « News Corp. continue de croire qu’en se basant sur les critères légaux pertinents, son offre ne va pas affecter le pluralisme dans les médias ». L’examen du projet de rachat par la Competition Commission devant prendre au moins six mois, News Corp. s’assure ainsi que le traitement de l’affaire se fera dans un cadre plus apaisé, au moins une fois l’affaire des écoutes réglée.

En soumettant à la Competition Commission le projet de prise de contrôle de BSkyB, News Corp. envoie également un message à ses actionnaires qui, s’ils tolèrent ses investissements dans la presse, veulent d’abord s’assurer de la capacité du groupe de Rupert Murdoch à « sanctuariser » les bénéfices procurés par les activités audiovisuelles. Et si l’opération suscite des inquiétudes, News Corp. pourra toujours céder News International, les titres de presse du groupe étant tous fragilisés par l’affaire des écoutes, le Sun et le Sunday Times étant également suspectés, après des révélations, le 11 juillet 2011, de la BBC et de The Independent, d’avoir consulté illégalement des documents sur l’ancien Premier ministre Gordon Brown. L’implication du management de News International dans le scandale des écoutes laisse d’ailleurs penser à un système organisé de grande ampleur. En effet, Rebekah Brooks, directrice générale de News International, a démissionné de ses fonctions le 15 juillet 2001 avant d’être arrêtée le 17 juillet 2011, au beau milieu d’un week-end.

Le démantèlement de News International n’est toutefois pas à l’ordre du jour, malgré les demandes des travaillistes emmenés par Ed Miliband qui espèrent, à l’issue de l’enquête publique sur l’éthique des médias, obtenir une modification des lois anti- concentration. En attendant, le Néo-Zélandais Tom Mockridge a remplacé Rebekah Brooks et devra relever News International, les titres du groupe étant boycottés par les annonceurs.

La gouvernance du groupe News Corp. remise en question

L’affaire des écoutes qui, partie de News of the World, a éclaboussé ensuite le Sun et le Sunday Times, est en train de faire trembler l’ensemble du groupe News Corp., bien au-delà de ses seules activités britanniques.

Aux Etats-Unis, Les Hinton, directeur général du groupe Dow Jones, qui édite notamment le Wall Street Journal, a démissionné le 15 juillet 2011, non pas parce que le groupe Dow Jones se porte mal, mais parce qu’il présidait News International entre 1995 et 2007, quand le système des écoutes s’était mis en place. Cette démission doit notamment contribuer à protéger les titres de presse américains de News Corp., soupçonnés d’appliquer aux Etats-Unis les mêmes méthodes qu’au Royaume-Uni. En effet, le FBI a ouvert une enquête, confirmée le 14 juillet 2011 par le ministre américain de la Justice, Eric Holder, pour déterminer si News Corp. a cherché à récupérer auprès de la police des enregistrements téléphoniques, notamment sur les familles des victimes des attentats du 11 septembre 2001, afin d’alimenter son tabloïd le New York Post, ou encore sa chaîne Fox News. En cas de condamnation aux Etats-Unis, le groupe News Corp. serait très menacé : en effet, il pourrait perdre les 27 licences d’exploitation des chaînes du réseau Fox qui, avec les studios de cinéma, assurent 75 % des revenus du groupe.

En Australie, berceau historique du groupe, News Corp. est également confronté à l’inquiétude des politiques. Le 20 juillet 2011, le Premier ministre australien Julia Gillard a indiqué que le groupe News Corp., qui contrôle 70 % de la presse nationale avec sa branche News Ltd., devra répondre aux interrogations légitimes sur le traitement de l’information que suscite l’affaire News of the World. Pour News Corp., accusé par le ministre des Communications, Stephen Courroy, de militer pour un « changement de régime » et de proposer une information partiale, il sera donc également difficile de faire avancer ses dossiers australiens, en particulier dans la compétition opposant Sky News Australia et ABC pour diffuser un futur bouquet australien de télévision par satellite en Asie et dans le Pacifique, un marché évalué à 168 millions d’euros.

Enfin, outre le report de la prise de contrôle de l’ensemble du capital de BSkyB au Royaume-Uni, l’affaire News of the World menace James Murdoch lui-même, fils et dauphin de son père Rupert Murdoch, et elle a entraîné dans son sillage une remise en question de l’ensemble du management du groupe, y compris pour son fondateur. Auditionnés le 19 juillet 2011 par une commission d’enquête parlementaire sur l’affaire News of the World, Rupert et James Murdoch ont indiqué chacun n’avoir jamais été au courant du système des écoutes et se mobiliser pour mettre un terme à ces pratiques. De ce point de vue, la démission de Rebekah Brooks a protégé James Murdoch du scandale des écoutes et lui a permis, grâce aux bons résultats obtenus avec BSkyB, de conserver la présidence de la chaîne, son conseil d’administration lui ayant renouvelé sa confiance le 28 juillet 2011. A vrai dire, BSkyB est très performante et justifie par ses résultats tout l’intérêt que lui porte le groupe News Corp. : pour son exercice 2010 clos fin juin 2011, BSkyB a recruté 426 000 nouveaux abonnés pour passer le cap des 10 millions de clients ; son chiffre d’affaires, en hausse de 16 % sur un an, s’est élevé à 6,6 milliards de livres, et ses bénéfices ont franchi le cap du milliard de dollars en affichant une hausse vertigineuse de 23 % sur an. Les actionnaires représentés au sein du conseil d’administration de la chaîne auront donc su reconnaître les performances de James Murdoch, malgré le scandale qui a fait chuter de 15 % le cours de l’action depuis le début des révélations, le 4 juillet 2011. La chute de la valorisation de BSkyB, une perte pour les actionnaires de 2,5 milliards de livres fin juillet 2011, a toutefois été compensée par un dividende en hausse de 20 % et un programme de rachat d’actions de 750 millions de livres. Comme News Cop. est le principal actionnaire de BSkyB, il sera donc le principal bénéficiaire de ces mesures. Reste toutefois à James Murdoch à répondre devant la commission d’enquête parlementaire de ses premières déclarations, où il a clamé n’avoir jamais été au courant des écoutes, ce que démentent d’anciens cadres de News of the World.

Les déboires de News Corp. au Royaume-Uni, parce qu’ils ont eu pour conséquence de bloquer la prise de contrôle de BSkyB, véritable pépite jugée stratégique par les actionnaires après les dépenses et les pertes générées par le rachat du groupe Dow Jones (voir REM n°4, p.27) et l’échec de MySpace (voir infra), ont immédiatement menacé Rupert Murdoch lui-même. Le 8 juillet 2011, un groupe d’investisseurs américains, emmenés par Amalgamated Bank, introduisait un recours devant le tribunal du Delaware pour dénoncer la gouvernance de News Corp., notamment la montée en puissance des intérêts familiaux après le rachat, pour 675 millions de dollars, de Shine Group, la société de production d’Elisabeth Murdoch, fille de Rupert Murdoch, dont l’entrée au conseil d’administration du groupe est programmée. Enfin, les actionnaires du groupe ont toujours préféré les activités audiovisuelles très rentables de News Corp., BSkyB, mais surtout, pour les filiales intégrées, le réseau de télévision Fox et le studio 20th Century Fox. En revanche, la passion de Rupert Murdoch pour la presse, si elle donnait jusqu’alors un pouvoir d’influence la rendant tolérable, à défaut d’être très rentable, se retourne désormais contre les intérêts du groupe et cette inclination est de plus en plus remise en question. Ainsi, une semaine après la révélation du 4 juillet 2011 sur l’affaire Milly Doller, le cours de News Corp. en Bourse avait déjà chuté de 14 %, obligeant Rupert Murdoch à annoncer, le 12 juillet 2011, une augmentation de 3,2 milliards de dollars de son plan de rachat d’actions, ce qui le porte à 5 milliards de dollars, afin de soutenir le cours du groupe en Bourse.

Malgré les critiques des actionnaires, News Corp. reste fondamentalement le groupe de son fondateur, Rupert Murdoch. Ainsi, avec ses deux fils Lachlan et James, qui siègent également au conseil d’administration, Rupert Murdoch bénéficie de 3 des 17 sièges au conseil, et d’un droit de vote de 40 %, alors que la famille ne contrôle que 12 % du capital de News Corp. Quant aux neufs administrateurs indépendants, ils sont tous très proches de Rupert Murdoch, au point que leur indépendance est parfois contestée. Le contrôle du groupe est donc encore entre les mains de Rupert Murdoch qui, le 10 août, à l’occasion de la publication de ses résultats annuels, a dénoncé toutes les critiques sur la gouvernance et rappelé qu’il était « le seul à pouvoir nettoyer tout ça ». Il conserve donc à la fois les fonctions de chief executive officer (CEO) et de président. Sa seule concession fut de reporter l’entrée de sa fille Elisabeth Murdoch au conseil d’administration du groupe et, pour rassurer ses actionnaires, de témoigner de sa totale confiance en son vice- président, Chase Carey, au cas où ce dernier devrait organiser sa succession en urgence, Rupert Murdoch ayant 80 ans. Enfin, les actionnaires bénéficieront d’un dividende en hausse de 25 %, les résultats sur l’exercice 2010-2011 du groupe étant bons, avec un chiffre d’affaires en hausse de 2 % à 33,4 milliards de dollars et un résultat en hausse de 7,9 % à 2,74 milliards de dollars. Au dernier trimestre 2010-2011, les déboires britanniques et la revente à perte de MySpace ont en revanche fait plonger le bénéfice : avec un chiffre d’affaires en hausse de 11 %, à 8,97 milliards de dollars sur le quatrième trimestre 2010-2011, le bénéfice net recule pourtant de 22 %, à 683 millions de dollars. News Corp. a dû en effet verser une indemnité de 63 millions de dollars à BSkyB pour avoir renoncé à la transaction, mais a dû surtout enregistrer dans ses comptes une perte de 254 millions de dollars sur la vente de MySpace.

Sources :

  • « Les tabloïds de Murdoch sur le fil », Senia Delesalle-Stolper, Libération, 11 juillet 2009.
  • « Tabloïd : révélations potentiellement accablantes pour le groupe de Murdoch », Nicolas Madelaine, Les Echos, 6 juillet 2011.
  • « Un journal de Rupert Murdoch visé par une enquête parlementaire », Tristan de Bourbon, La Tribune, 7 juillet 2011.
  • « L’affaire des écoutes révèle les failles de l’empire Murdoch », Chris Hugues, Reuters – Le Monde, 7 juillet 2011.
  • « Rupert Murdoch fragilisé par le scandale des écoutes du News of the World », Virginie Malingre, Le Monde, 8 juillet 2011.
  • « Face à un torrent de révélations, Murdoch ferme son tabloïd News of the World », Nicolas Madelaine, Les Echos, 8 juillet 2011.
  • « La chute de News of the World menace le rachat de BskyB par News Corp. », Tristan de Bourdon, La Tribune, 10 juillet 2011.
  • « News of the World met un point final à son histoire », Constance Jamet, Le Figaro, 10 juillet 2011.
  • « Le scandale des écoutes téléphoniques ébranle David Cameron », N.M., Les Echos, 11 juillet 2011.
  • « Le rachat de BSkyB par Murdoch s’éloigne encore », Cyrille Vanlerberghe, Le Figaro, 12 juillet 2011.
  • « Scandale Murdoch : le rachat de BSkyB se complique », Nicolas Madelaine, Les Echos, 12 juillet 2011.
  • « L’empire Murdoch peine à arrêter l’onde de choc », Guy Dutheil et Xavier Ternisien, Le Monde, 12 juillet 2011.
  • « Ce fâcheux monsieur Murdoch », Virginie Malingre, Le Monde, 13 juillet 2011.
  • « Murdoch bat en retraite face à la fronde des politiques », Rose Claverie, Le Figaro, 13 juillet 2011.
  • « Gordon Brown accuse Murdoch de méthodes criminelles », Rose Claverie, Le Figaro, 13 juillet 2011.
  • « Lâché par Cameron, News Corp. doit soutenir son cours de Bourse », Nicolas Madelaine et Pierre de Gasquet, Les Echos, 13 juillet 2011.
  • « Rupert Murdoch sous la pression des politiques et de ses actionnaires », Nicolas Madelaine, Les Echos, 15 juillet 2011.
  • « Rebekah Brooks arrêtée, l’empire Murdoch aux abois », Nicolas Madelaine, Les Echos, 18 juillet 2011.
  • « L’affaire des écoutes, le scandale qui menace m’empire Murdoch », lemonde.fr, 18 juillet 2011.
  • « Scotland Yard, so shocking », Virginie Malingre, Le Monde, 19 juillet 2011.
  • « L’empire médiatique de Murdoch vacille un peu plus », Tristan de Bourbon, La Tribune, 19 juillet 2011.
  • « Rupert Murdoch : « Les choses vont changer » », La Tribune, 20 juillet 2011.
  • « Rupert Murdoch : “Jamais je ne me suis senti aussi humble” », Nicolas Madelaine, Les Echos, 20 juillet 2011.
  • « James Murdoch conserve la présidence de BSkyB », Philippe Larroque, Le Figaro, 29 juillet 2011.
  • « Murdoch refuse de modifier la gouvernance de son empire », Jamal Henni, La Tribune, 11 août 2011.
  • « Rupert Murdoch défend ses positions à la tête du groupe News Corp. », Laurence Girard, Le Monde, 12 août 2011.
  • « Malgré les bons résultats de News Corp., les doutes planent sur la stratégie de Murdoch », Paule Gonzalès, Le Figaro, 12 août 2011.
  • « Murdoch préfère Chase Carey pour sa succession », Pierre de Gasquet, Les Echos, 12 août 2011.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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