Malgré la croissance du marché du livre aux EtatsUnis, le succès du numérique et la course aux promotions dans les grandes chaînes américaines de librairies ont conduit à la faillite du deuxième plus grand réseau, Borders, qui laisse désormais seul Barnes & Noble disposer d’un réseau étendu sur tout le territoire américain. Ce dernier doit en partie son salut à son positionnement sur le marché du livre numérique, où Amazon et Apple sont ses nouveaux concurrents. En France, c’est le club de livres France Loisirs qui a été cédé par Bertelsmann, le groupe allemand s’étant déjà retiré du marché américain en 2010.
Le marché du livre américain sous influence numérique
Publié en août 2011, l’étude Book Stats réalisée par l’Association des éditeurs américains (AAP) et le Groupe d’étude de l’industrie du livre (GISG) confirme la bonne tenue du marché du livre américain qui, avec un chiffre d’affaires de 27,9 milliards de dollars en 2010, s’affiche en hausse de 5,6 % par rapport à 2008 même s’il est, sur le long terme, plutôt orienté à la baisse. Accompagnant la hausse du chiffre d’affaires, les ventes de livres augmentent également de 4,1 % sur deux ans, pour 2,57 milliards d’ouvrages vendus en 2010, tous supports confondus. Mais l’augmentation des ventes est notamment tirée par les livres au format numérique, dont le poids dans le chiffre d’affaires de l’édition américaine est passé de 0,6 % en 2007 à 6,4 % en 2010, pour 114 millions de livres numériques vendus. Pendant les mois de janvier et février 2011, selon l’AAP, la part des livres numériques s’est même élevée à 10 % des ventes pour un chiffre d’affaires de 160 millions de dollars. Les ventes de livres imprimés résistent toutefois et seuls les hard cover books, les livres à couverture rigide, par opposition aux livres de poche, ont vu leurs ventes baisser entre 2008 et 2010. Ce sont également les livres vendus au prix le plus élevé, ce qui entraîne notamment des difficultés chez les libraires confrontés à un marché où les marges s’amenuisent. Ces difficultés et l’absence de stratégie claire sur le livre numérique expliquent en grande partie la faillite de Borders en août 2011.
La faillite de Borders fait disparaître le deuxième réseau de librairies aux Etats-Unis
Le deuxième plus grand réseau de librairies aux Etats-Unis, Borders, a en effet tardé à se positionner sur le marché du livre numérique, avec une offre lancée en 2008 seulement et en partenariat avec son principal concurrent, Amazon. L’absence de stratégie claire dans le livre numérique et le choix fait de se diversifier dans les CD et DVD, alors que les autres acteurs ont tous joué la carte de l’alliance du terminal et de la plate-forme de vente de livres en ligne (Amazon et le Kindle, Apple et l’iPad, Barnes & Noble et le Nook), ont empêché Borders de limiter sa dépendance vis-à-vis du marché physique. Sur ce dernier, le coût élevé de location des emplacements des magasins et la concurrence sur le prix des livres, à défaut du prix unique du livre comme en France, ont conduit le libraire américain à se placer, le 16 février 2011, sous la protection du chapitre 11 de la loi sur les faillites aux Etats-Unis. Borders fait face en effet à une dette de 1,29 milliard de dollars, pour un chiffre d’affaires de 2,2 milliards de dollars en 2010. En se plaçant sous le chapitre 11, Borders a pu suspendre le remboursement de ses dettes le temps de se restructurer, en partie grâce à un apport en capital de 505 millions de dollars, financé par GE Capital, son principal créancier.
Après avoir déjà fermé 265 librairies depuis 2009 et supprimé 11 % de ses effectifs en 2010, Borders a donc poursuivi courant 2011 sa politique de fermeture de ses espaces de vente les moins rentables (237 librairies sur un total de 642 magasins). Il s’est également associé au fabricant canadien Kobo afin de proposer sa liseuse dans ses magasins. Mais ce repositionnement tardif n’aura pas suffi. Le 17 juillet 2011, date butoir à laquelle Borders devait trouver un repreneur, seule une proposition avait été avancée, celle du fonds d’investissement américain Najafi Companies. Cette offre, de 450 millions de dollars, a été rejetée par les créanciers de Borders, qui l’ont jugée insuffisante. Le 18 juillet 2011, la mise en liquidation de Borders était annoncée, entraînant la fermeture des 405 librairies restantes. 30 librairies plus 5 autres en option ont toutefois été rachetées fin juillet par la société Books-A-Million, permettant ainsi de sauver quelques emplois alors que la faillite de Borders signifie la fin de contrat pour ses 10 000 employés.
Avec au total la disparition de près de 900 librairies Borders ces dernières années, c’est le réseau local de distribution qui s’amenuise aux Etats-Unis, faisant ainsi disparaître un intermédiaire essentiel sur le marché du livre, le libraire, dont la fonction de conseil et de sélection des livres permettait jusqu’ici à l’éditeur de ne pas avoir à traiter directement avec le consommateur.
Dernier grand libraire américain, Barnes & Noble fait entrer Liberty Media à son capital
Concurrencé par Amazon qui, après avoir développé la vente de livres papier à distance, a dessiné les contours du marché du livre numérique aux Etats-Unis avec le succès de son Kindle, Barnes & Noble, le premier réseau américain de librairies, a su se transformer à temps, à l’inverse de son concurrent Borders. En novembre 2009, il a lancé sa propre liseuse, le Nook, directement en concurrence avec le Kindle d’Amazon. Début 2011, Barnes & Noble était ainsi parvenu à conquérir 25 % du marché du livre numérique aux Etats-Unis, occupant la deuxième place derrière Amazon. Cette position est stratégique car, dans l’univers numérique, seuls quelques services parviennent à survivre sur un même segment de marché et la prime au leader y joue un rôle déterminant.
Fort de ce succès, les actionnaires de Barnes & Noble ont mis en vente le réseau de librairies en août 2010 pour lui donner les moyens de se développer grâce à un nouvel investisseur, à défaut d’être parvenus à s’entendre sur une recapitalisation. En effet, Leonard Riggio, le fondateur de Barnes & Noble, premier actionnaire avec 30 % du capital, s’oppose à Ron Burkle, deuxième actionnaire avec 19,7 % du capital, mais qu’une clause votée en 2009 interdit de monter au-delà de 20 % du capital du libraire américain.
A la suite de la mise en vente et pendant un an, les rumeurs de fusion avec Borders ont alimenté le processus de cession. Finalement, une semaine après que Borders se fut mis sous la protection du chapitre 11, Liberty Media s’est porté candidat au rachat de Barnes & Noble avec une offre d’un milliard de dollars pour 70 % du capital du libraire américain. Une prime de 20 % par rapport au cours de Bourse de Barnes & Noble au moment de la proposition n’a pas suffi à convaincre les actionnaires de céder leurs participations, d’autant que la proposition de reprise de Liberty Media, spécialisé dans le rachat des groupes sous-évalués, indique en creux qu’une valorisation supérieure du réseau de librairies est envisageable.
Depuis, la fin des activités de Borders, qui laisse Barnes & Noble quasiment seul sur le marché américain des réseaux de librairies, et la crise financière de l’été 2011, qui a conduit Liberty Media à ne plus proposer qu’une prise de participation minoritaire, ont conduit Barnes & Noble à jouer la carte de l’attentisme. Le cours de l’entreprise a chuté en suivant la tendance globale des Bourses. Finalement, le 21 août 2011, Liberty Media a opté pour une prise de participation de 16,6 % dans le capital de Barnes & Noble. L’apport de capital sera financé par une émission d’actions préférentielles au cours de 17 euros, soit la prime de 20 % déjà proposée lors de la première offre publique d’achat, mais qui met désormais fin au processus de cession de Barnes & Noble. L’investissement de Liberty Media se limite donc à 204 millions d’euros, qui financeront le développement de l’activité numérique du libraire américain. L’arrivée de Liberty Media au capital de Barnes & Noble valorise ainsi d’1 milliard de dollars le réseau américain de librairies qui, avec ses 1 354 points de vente, a réalisé un chiffre d’affaires annuel de 7 milliards de dollars pendant l’exercice 2010-2011.
En France, le fonds américain Najafi Companies rachète France Loisirs à Bertelsmann
Le succès du livre numérique, le développement annoncé de nouvelles pratiques de lecture et, parallèlement, l’apparition de nouvelles offres, sous forme d’abonnement, pour l’accès au livre numérique, font sans doute partie des considérations stratégiques du fonds américain Najafi Companies qui rachète progressivement les clubs de livres du groupe allemand Bertelsmann. Après un exercice 2007 en fort repli, marqué par la baisse importante des résultats de Direct Group, sa division historique de vente à distance de livres et de DVD, le groupe Bertelsmann a en effet entrepris, sous la présidence d’Hartmut Ostrowski, qui a pris ses fonctions début 2008, de se débarrasser de ses activités les moins rentables, au premier rang desquelles figurent les clubs de livres. Ainsi Hartmut Ostrowski annonçait-il, juste après son arrivée à la tête du groupe allemand, la mise en vente de Direct Group North America (voir REM n°6-7, p.22), racheté en 2008 par le fonds Najafi Companies et rebaptisé depuis Direct Brands. Cette structure aurait d’ailleurs pu intégrer le réseau de librairies de Borders si l’offre de rachat du fonds de Jahm Najafi avait été acceptée.
La branche française de Direct Group, qui compte notamment le club de livres France Loisirs et le Grand Livre du mois, ainsi que les librairies Chapitre.com, a pu un temps être épargnée après une première tentative de vente, sans succès, en 2008. Finalement, la France n’aura pas échappé au mouvement de cessions et Bertelsmann s’est de nouveau mis d’accord en mai 2011 avec Najafi Investments pour lui céder l’ensemble de ses activités francophones, les clubs de livres français, mais également ses activités en Belgique, en Suisse et au Québec. Le prix de cession n’a pas été communiqué, l’ensemble racheté par le fonds américain représentant 600 millions d’euros de chiffre d’affaires et 4 600 employés. Ce rachat permet à Najafi Investments d’entrer sur le marché européen, où il compte soutenir le développement de l’activité, les ventes en ligne étant le seul secteur en croissance du groupe quand l’activité club de livres et les librairies voit son chiffre d’affaires reculer.
Pour Bertelsmann, la cession de Direct Group France ampute sa division Direct Group de 50 % de son chiffre d’affaires, lequel s’est élevé à 1,2 milliard d’euros en 2009. Le seul grand club de livres encore contrôlé par Bertelsmann est celui de Direct Group en Allemagne, la division conservant aussi des activités en Espagne et dans les pays de l’Est. Autant dire que le poids de Direct Group dans le chiffre d’affaires de Bertelsmann est désormais très réduit et que cette cession signe l’abandon, par Bertelsmann, de son activité historique, au profit de ces nouvelles activités que sont l’audiovisuel (RTL Group), l’édition avec Random House et Grüner & Jahr, et, enfin, les services (Arvato).
Sources :
- « Le libraire américain Barnes & Noble se met en vent », C.L., La Tribune, 5 août 2011.
- « Vente de France Loisirs : Bertelsmann en négociations exclusives avec Najafi », AFP, 8 février 2011.
- « Le libraire américain Borders au bord du dépôt de bilan », N.S., Les Echos, 14 février 2011.
- « Le libraire américain Borders se met en faillite », Pierre de Gasquet, Les Echos, 17 février 2011.
- « Liberty Media a offert 1 milliard de dollars pour Barnes & Noble », Virginie Robert, Les Echos, 23 mai 2011.
- « Le club de livres France Loisirs passe sous pavillon américain », J-Philippe Lacour, Les Echos, 23 mai 2011.
- « Semaine décisive pour Borders, proche de la faillite », I.T., Les Echos, 18 juillet 2011.
- « Le libraire Borders est mis en liquidation », I.T., Les Echos, 19 juillet 2011.
- « Le marché américain n’acceptera plus qu’une seule grande chaîne de librairies », Virgine Robert, Les Echos, 19 juillet 2011.
- « Aux Etats-Unis, le marché du livre continue de croître », N.S., Les Echos, 10 août 2011.
- « Liberty considers range of options for Barnes & Noble », Michale, J. de la Merced, New York Times, 17 août 2011.
- « Un nouvel investisseur, mais pas de repreneur pour Barnes & Noble », I.T., Les Echos, 22 août 2011.