Les discussions amorcées entre La Voix du Nord et le groupe Centre France ont laissé penser que l’été 2011 serait l’occasion d’approfondir la consolidation du marché de la presse quotidienne régionale française. L’échec des discussions, les difficultés du Groupe Hersant, qui a mis en vente Paris Normandie mais dont la famille refuse de perdre son contrôle sur le groupe, laissent pour l’instant le champ libre au Crédit Mutuel qui conforte, après l’avis de l’Autorité de la concurrence, sa place de premier groupe français de presse quotidienne régionale.
Le désengagement partiel du groupe de presse belge Rossel du capital de La Voix du Nord, après la cession au Crédit Agricole Nord de France, en février 2011, de 25 % de Voix du Nord Investissement, la structure de contrôle du quotidien lillois (voir REM n°18-19, p.19), ne signifiait pas pour autant l’annonce d’un retrait du groupe belge du marché français de la presse quotidienne régionale. Le 14 juin 2011, Bernard Marchant, PDG du groupe, confirmait son intérêt pour la PQR : « C’est l’un des médias les plus performants, mais il faut qu’il y ait des effets de taille critique et des alliances. A terme, il faudrait deux ou quatre groupes en France, guère plus ». Son message fut entendu et, le 30 juillet 2011, La Voix du Nord et le groupe Centre-France annonçaient l’ouverture de discussions pour un rapprochement entre égaux des deux entités. En 2010, La Voix du Nord a en effet réalisé un chiffre d’affaires de 238 millions d’euros et Centre France un chiffre d’affaires proche de 220 millions d’euros. A défaut de synergies géographiques, l’alliance des deux groupes a été annoncée comme un moyen de mettre en œuvre des projets communs, notamment dans le numérique, avant d’espérer un jour mailler le territoire de Lille à Clermont-Ferrand. En effet, le groupe Rossel s’était porté acquéreur du Parisien avant que le groupe Amaury ne renonce à le céder (voir REM n°17, p.68).
Le projet d’union entre La Voix du Nord et le groupe Centre France a été présenté comme devant conduire à la création d’une holding commune, chaque partie y apportant ses participations, dont la part cessible du capital du groupe Centre France par la fondation Varenne, l’actuel actionnaire majoritaire, les 15 % environ du capital du groupe détenus par son dirigeant, Jean-Pierre Caillard, le groupe Rossel apportant de son côté sa participation dans La Voix du Nord. A terme, le groupe Rossel pouvait même envisager de prendre le contrôle du nouvel ensemble, en rachetant notamment les 12,5 % du capital de Centre France détenus par le Crédit agricole local. Le 1er septembre 2011, le groupe Centre France annonçait toutefois que le projet était abandonné, malgré la poursuite de discussions sur des partenariats entre les deux groupes. La possibilité d’une perte de contrôle de la Fondation Varenne sur le groupe a probablement joué contre la fusion. La Fondation, constituée dans les années 1980 pour éviter la revente des titres du groupe à la disparition de Margueritte Varenne, veuve d’Alexandre Varenne, le fondateur de La Montagne en 1919, aura sans doute souhaité faire durer l’héritage dont elle est le dépositaire. L’échec des négociations aura pour conséquence, à court terme, de limiter les moyens du groupe Centre France qui, après être monté à hauteur de 10 % au capital de La Nouvelle République du Centre Ouest (NRCO) en 2010, pourrait envisager une prise de contrôle totale du groupe.
A défaut d’une fusion qui aurait donné naissance au troisième groupe de presse quotidienne régionale en France, derrière l’ensemble contrôlé par le Crédit Mutuel et le groupe Ouest France, le groupe Rossel pourrait chercher à s’étendre au nord de l’Hexagone, notamment si le groupe Hersant Média lui cède Paris Normandie, mis en vente, et même L’Union. En effet, le groupe Hersant Média poursuit ses négociations avec les banques sur sa dette tout en restructurant la Comareg, en redressement judiciaire. Le plan social massif de la Comareg et de ses filiales repose sur 758 licenciements (30 % des effectifs) et se double d’un repositionnement de Paru Vendu sur Internet avec un modèle de petites annonces gratuites.
Le leader de la presse quotidienne régionale, l’ensemble contrôlé par le Crédit Mutuel, consolide quant à lui ses positions. Aux deux pôles contrôlés en propre, L’Alsace et Le Républicain Lorrain d’une part, les titres acquis à la Socpresse de l’autre (Le Bien Public, Le Dauphiné, Le Journal de Saône- et-Loire, Le Progrès), s’ajoute désormais le pôle constitué par L’Est Républicain, Dernières Nouvelles d’Alsace et Vosges Matin.
Après avoir racheté à Hersant Média les 27 % du capital qu’il détenait dans l’ensemble de presse en octobre 2010, le Crédit Mutuel a obtenu, en novembre 2010, un vote favorable du conseil d’administration pour la cession de la participation de 43 % détenue par la famille Lignac dans le groupe Est Républicain (voir REM n°17, p.70). Restait au Crédit Mutuel à obtenir l’aval de l’Autorité de la concurrence pour s’emparer définitivement du groupe Est Républicain. L’Autorité a donné son accord le 12 juillet 2011, sous conditions toutefois. Identifiant des problèmes de concurrence, tout en notant que « les zones de diffusion » des différents titres du nouvel ensemble « ne se recoupent que sur des zones limitées », l’Autorité de la concurrence a demandé au Crédit Mutuel de « ne pas procéder à l’harmonisation des contenus entre L’Est Républicain et Le Pays d’une part, et Dernières Nouvelles d’Alsace et L’Alsace d’autre part », afin de préserver la diversité de l’information proposée aux lecteurs sur les zones concernées. En conséquence, les différents titres doivent conserver une rédaction en chef dédiée et seules « les informations par nature indifférenciées », comme la météo, les programmes de télévision, pourront être mutualisées. Enfin, l’Autorité de la concurrence demande au Crédit Mutuel de maintenir « la diffusion des Dernières Nouvelles d’Alsace et de L’Alsace dans le département du Haut-Rhin et dans l’arrondissement de Sélestat (Bas-Rhin) et de L’Est Républicain et du Pays dans le Territoire de Belfort ». Il s’agit là des rares régions de France où plusieurs titres de presse quotidienne régionale se partagent encore le marché. Les synergies entre L’Est Républicain et Le Républicain Lorrain, le quotidien de Metz, logiques sur le plan géographique, pourraient également ne pas être à l’ordre du jour, mais essentiellement pour des raisons sociales. A la suite d’une grève, une menace de cession a été formulée en février 2011 par Michel Lucas, le patron du Crédit Mutuel, qui a confirmé, en août 2011, que Le Républicain Lorrain pourrait être cédé et que six candidats, dont deux américains, avaient d’ores et déjà fait part de leur intérêt.
Sources :
- « La Comareg dévoile le plan de sauvetage de Paru Vendu », Anne Feitz, Marie-Annick Depagneux, Les Echos, 9 mai 2011.
- « Mariage en vue pour La Voix du Nord et La Montagne », Anne Feitz, Les Echos, 30 juin 2011.
- « La Voix du Nord et La Montagne s’unissent », Alexandre Debouté, Le Figaro, 1er juillet 2011.
- « La Voix du Nord parle fusion avec le groupe Centre France », Xavier Ternisien, Le Monde, 1er juillet 2011.
- « Le nouveau papivore », Xavier Ternisien, Le Monde, 8 juillet 2011.
- « Hersant Média est prêt à ouvrir son capital », interview de Dominique Bernard, directeur général de GHM, par Philippe Larroque et Alexandre Debouté, Le Figaro, 11 juillet 2011.
- « Feu vert sous conditions au rachat de L’Est Républicain par le Crédit Mutuel », AFP, 12 juillet 2011.
- « L’Autorité de la concurrence autorise sous conditions le rachat de L’Est Républicain par le Crédit Mutuel donnant naissance au premier groupe de presse quotidienne régionale français », La Correspondance de la Presse, 13 juillet 2011.
- « Six candidats pour le Républicain Lorrain », Les Echos, 18 juillet 2011.