Canal+ relance son internationalisation avec TVN en Pologne

En s’emparant de N, la plate-forme de télévision payante de TVN, propriété du premier groupe privé de télévision en Pologne, Canal+ relance son inter- nationalisation grâce à l’une de ses dernières filiales héritées de son passé de grand acteur européen de la télévision payante. Cette opération passe également par la montée du groupe Canal+ au capital de TVN, par l’intermédiaire de sa maison mère N-Vision, au sein de laquelle Vivendi a vocation à rester minoritaire tout en renforçant ses liens avec ITI Group, l’un des plus grands conglomérats de médias en Pologne.

Parmi les principaux acteurs de la télévision en Europe au début des années 2000, le groupe Canal+, fragilisé par les difficultés de Vivendi et une politique d’internationalisation à marche forcée, avait dû procéder après 2002 à des sessions d’actifs pour faire face à une dette de 5,1 milliards d’euros. Redevenu bénéficiaire sous la direction de Bertand Méheut, le groupe a relancé sa politique d’internationalisation, d’abord avec StudioCanal, devenu l’un des premiers producteurs et distributeurs de films en Europe, ensuite avec Canal Overseas, présent au Maghreb, où l’offre n’a pu se développer du fait du piratage, dans les Dom-Tom et au Vietnam, où le groupe dispose de 250 000 abonnés. Le groupe Canal+ avait également conservé comme une entité indépendante, à défaut de repreneur, sa plate-forme de télévision payante en Pologne, Cyfra+, qui s’appuie aujourd’hui sur une base de 1,55 million d’abonnés. Aujourd’hui bénéficiaire, avec 350 millions de chiffre d’affaires en 2010, Cyfra+ aura permis au Groupe Canal+ de relancer sa politique d’internationalisation en s’alliant avec le premier groupe privé de télévision en Pologne, TVN Group. Ce dernier détient la première chaîne privée du pays, TVN, dont l’audience (20 % de parts de marché) croît sans cesse et se situe depuis 2009 juste derrière la première chaîne publique TVP1, mais devant TVP2. TVN Group dispose en tout de 11 chaînes, payantes et gratuites, dont TVN 24, la première chaîne d’information en continu du pays, ainsi qu’une plate-forme de télévision payante, N, qui dispose d’un million d’abonnés. Enfin, le groupe TVN est présent sur Internet avec son portail Onet qui revendique 14 millions de visiteurs uniques par mois.

Contrôlé par ITI Group, TVN est fragilisé par une dette de 700 millions d’euros, pour un chiffre d’affaires 2010 de 600 millions d’euros. Valorisé en Bourse 1,2 milliard d’euros, TVN cherchait un partenaire pour se refinancer. Le 27 octobre 2011, il est entré en négociations exclusives avec le groupe Canal+, au détriment de Time Warner ou de Bertelsmann, également intéressés. Le rapprochement de Cyfra+ et de N, qui devrait permettre aux deux groupes de bénéficier d’économies d’échelles importantes, aura probablement contribué à convaincre ITI Group d’opter pour une alliance avec le groupe français.

Ainsi, le 19 décembre 2011, le groupe Canal+ a pu annoncer un rapprochement stratégique avec TVN, qui s’effectuera en deux temps. Dans un premier temps, Canal+ va fusionner sa filiale Cyfra+ avec le bouquet N. A l’issue de la fusion, Canal+ sera majoritaire au sein de la nouvelle plate-forme qui réunira en tout 2,5 millions d’abonnés et fédérera les deux offres les plus chères du pays, l’abonne- ment moyen se situant entre 15 et 17 euros par mois pour Cyfr + et N, quand le leader sur le secteur est Polsat, avec 3,5 millions d’abonnés à son offre bon marché de chaînes à 8 euros par mois. Le nouvel ensemble sera détenu à 51 % par le groupe Canal+, 32 % par TVN et 17 % par UPC, présent aux côtés de Canal+ au capital de Cyfra+ (75 % du capital détenu par Canal+ avant la fusion, contre 25 % pour UPC). Canal+ dispose en outre d’une option d’achat à trois ou quatre ans sur les 32 % du capital de la nouvelle plate-forme encore détenus par TVN.

Dans un deuxième temps, le groupe Canal+ apporte également 230 millions d’euros en numéraire pour s’emparer de 40 % de N-Vision, qui contrôle 51 % du capital de TVN par l’intermédiaire de Polish Television Holding. ITI Group conserve donc 60 % du capital de N-Vision, mais dispose d’une option de vente exerçable sur deux ans de 9 % supplémentaires de capital, ce qui permettra à terme à Canal+ de contrôler jusqu’à 49 % du capital de N-Vision. Non majoritaire au sein de TVN, le groupe Canal+ évite ainsi d’avoir à consolider la dette de TVN, alors qu’il consolidera les bénéfices de la nouvelle plate-forme issue de la fusion de N et de Cyfra+.

De ce point de vue, l’opération permet d’abord au groupe Canal+ de se renforcer dans la télévision payante en Pologne, un secteur qui offre de belles perspectives de croissance. En effet, entre 2006 et 2010, le nombre d’abonnés à une offre de télévision payante est passé de 6 millions à 10,98 millions selon le cabinet Mintel et devrait monter à 23,47 millions d’abonnés d’ici à 2015, soit une croissance de 17,8 % par an. Avec Cyfra+ et N fusionnées, Canal+ sera en outre en position de force pour recruter de nouveaux abonnés, la hausse du niveau de vie en Pologne devant permettre au groupe, dont l’offre est « haut de gamme » par rapport à celle de ses concurrents, de répondre à une demande de plus en plus exigeante. Ainsi, les deux plates-formes fusionnées espèrent atteindre 3 millions d’abonnés en 2015, pour des revenus avant impôts (Ebitda) supérieurs à 137 millions d’euros par an. Ces reve- nus seront générés par la hausse des abonnements, mais également par les synergies qui devraient s’élever à 55 millions d’euros par an, trois ans après la fusion. Concernant TVN, le groupe Canal+ bénéficiera, par l’intermédiaire de sa participation minoritaire au sein de N-Vision, du dynamisme du marché, également en phase de rattrapage par rapport à l’Europe occidentale. Le marché publicitaire de la télévision en Pologne croît de 5 à 7 % par an et plus d’un million de nouveaux foyers se sont raccordés en 2010 au réseau gratuit de télévision (4,63 millions de foyers en 2010 contre 3,4 millions en 2009).

Grâce à cette opération, le groupe Canal+ diminue également son exposition aux aléas du marché français (voir infra) en réalisant désormais 30 % de son chiffre d’affaires sur la scène internationale, contre 25 % précédemment.

Sources :

  • « Canal+ teste son modèle gratuit – payant », Paule Gonzalès, Le Figaro, 28 octobre 2011.
  • « Canal+ négocie le rachat de TVN, premier groupe de médias polonais », Les Echos avec Reuters, 29 octobre 2011.
  • « Les groupes Canal+, ITI et TVN finalisent un partenariat stratégique en Pologne », Communiqué de presse, Canal+ Groupe – ITI Group – TVN, 19 décembre 2011.
  • « Pologne : Cana + entre au capital de TVN et devient acteur majeur de télévision », La Correspondance de la Presse, 20 décembre 2011.
  • « Avec TVN, Canal+ va chercher des relais de croissance en Pologne », Fabienne Schmitt, Le Figaro, 20 décembre 2011.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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