Le Figaro se transforme progressivement en groupe internet

Depuis son arrivée en 2004 à la direction générale du groupe Figaro, Francis Morel a entrepris de transformer le groupe, identifié d’abord par son quotidien, en véritable groupe de presse et d’Internet. Cette stratégie bimédia est aujourd’hui poursuivie par Marc Feuillée, à la tête du groupe depuis janvier 2011. En effet, malgré les difficultés de la presse quotidienne nationale, le groupe Figaro ne cesse d’afficher de bons résultats.

2004 fut une année charnière pour le groupe Le Figaro. Racheté par Serge Dassault, le groupe a vu arriver à sa tête Francis Morel qui a immédiatement lancé une politique ambitieuse sur Internet, seul moyen de maintenir la croissance sur le long terme alors que la presse quotidienne imprimée connaît de nombreuses difficultés. La stratégie internet du groupe Figaro a eu très vite ceci de particulier qu’elle n’a pas consisté à seulement développer une stratégie dite bimédia, mais également à développer des activités en ligne distinctes du quotidien, même si des synergies ont été mises en œuvre par la suite. De ce point de vue, le groupe justifie ses investissements au nom d’une logique de marque qui fait de sa stratégie l’une des plus originales de la presse française.

La stratégie bimédia : une manière de décliner la marque Le Figaro

L’expression « stratégie bimédia » signifie simplement que le titre papier est complété d’une version électronique qui s’en distingue plutôt que d’en être la copie numérique. Les stratégies bimédias, qui se développent en France au milieu des années 2000, rompent de ce point de vue avec la logique du « site compagnon », copie numérique sur le Web de la version papier des titres, au demeurant souvent gratuite. Cette stratégie du site compagnon a totalement brouillé le message commercial de la presse au point de faire penser que la presse payante ne l’est que pour le prix de l’encre et du papier, l’information étant disponible ailleurs sans frais pour le lecteur. C’est pour éviter cette confusion que le groupe Figaro a, dès 2005, lancé une refonte de son site.

En proposant une approche différente du papier, le site a redonné à l’information du journal imprimé son autonomie et sa valeur, en même temps qu’il est devenu un support de plus déclinant la marque Figaro. Dans la mesure où l’identification de l’information à un support en particulier, et donc à une ligne éditoriale, est moins forte sur Internet, une partie non négligeable de l’audience étant apportée par les moteurs de recherche et les agrégateurs d’information, les audiences sont en général plus importantes sur Internet que sur le papier, lequel concerne d’abord des lecteurs fidélisés. Ainsi refondu, le site du Figaro a pu élargir son audience, bien au-delà de celle des lecteurs papier : entre les mois de mai 2005 et mai 2006, soit avant la refonte et un an après celle-ci, l’audience du site est passée de 600 000 visiteurs uniques à 3,3 millions de visiteurs uniques par mois.

Le site lefigaro.fr a donc eu très vite pour vocation de se transformer en portail et de fédérer sous sa marque un ensemble de déclinaisons éditoriales. Il a de ce point de vue répliqué dans l’univers numérique la stratégie développée autour du quotidien papier : la marque du quotidien est déclinée dans des magazines hebdomadaires, le Figaro Magazine et Madame Figaro, accessibles également depuis le site web du quotidien. Ce dernier s’est enrichi dès 2007 de pages culture disponibles sous la rubrique figaroscope puis, en 2008, d’une programmation vidéo qui a transformé le site en véritable support multimédia : en juin était lancé « Le Talk Orange-Le Figaro », une interview vidéo quotidienne sur les sujets de politique et d’information générale, puis en août le « Buzz Média Orange-Le Figaro » qui accueille chaque jour un responsable des médias pour parler des enjeux du secteur. La même année, en octobre 2008, lefigaro.fr devenait pour la première fois le premier site d’information en France avec 5,38 millions de visiteurs uniques selon Médiamétrie, devançant le site du Monde. Depuis, le site du Figaro a conservé cette place de leader et rassemblait en 2011 en moyenne près de 7 millions de visiteurs uniques chaque mois.

Cette logique bimédia a sans aucun doute profité au quotidien papier et au site internet. En devenant leader sur le Web, lefigaro.fr a revalorisé la marque Figaro dans l’univers papier, le quotidien occupant également la première place pour la diffusion papier avec 316 852 exemplaires France payée en 2010 selon l’OJD. C’est pour renforcer cet effet d’entraînement que les rédactions web et papier du groupe ont fusionné au mois d’août 2011. En effet, depuis 2010 le site internet est rentable alors que le quotidien papier est le seul foyer de pertes du groupe, une évolution qui a naturellement conduit à repenser l’organisation entre les deux supports, le premier s’appuyant sur une rédaction de 50 journalistes quand le second en dispose de 250 qui seront invités à collaborer plus souvent à l’édition numérique et notamment à la mise à jour permanente de l’information qu’elle requiert. La répartition des rôles entre Web et papier a d’ailleurs été précisée à cette occasion par Etienne Mougeotte, le directeur des rédactions : « Le passage à l’information en continu, le « Web first », conduit à un autre traitement dans le journal papier, dont le rôle va être davantage d’expliquer, de mettre en perspective et de donner du sens à l’information ». Parallèlement à cette stratégie bimédia, le groupe a également annoncé un investissement de 10 millions d’euros sur deux ans lors d’une conférence de presse le 9 septembre 2011, notamment pour développer le numérique. La manière de caractériser les activités numériques du groupe est intéressante, Marc Feuillée qualifiant à cette occasion Le Figaro de « groupe plurimédia proposant informations, services et réseaux 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 », autant dire que l’information – donc la marque Le Figaro – sert de porte d’entrée dans un univers plus large où se réalisent les bénéfices. C’est d’ailleurs fort de cette logique que le groupe va multiplier les déclinaisons qu’il appelle « verticales », à l’instar du site consacré au golf lancé en avril 2011 (golf.lefigaro.fr).

A chaque fois, un site ciblé s’insère dans le portail lefigaro.fr, complété éventuellement d’un supplément papier, mais également d’un réseau social, afin d’amener l’internaute ou le lecteur à se tourner vers le commerce électronique ou à participer à des manifestations. Ainsi, pour le Figaro Golf, un événement annuel a été lancé, le « Trophée Figaro Madame ». En septembre 2011, « L’avis du vin » (lefigaro.fr/ lavisduvin) propose aux internautes d’adhérer à un club et de partir en croisières œnologiques. Le même mois, lefigaro.fr/encheres était inauguré en partenariat avec the-saleroom.com, qui offre un service d’enchères en ligne pour des œuvres d’art. Le 17 octobre 2011, lefigaro.fr/sante était lancé moyennant un investissement d’un million d’euros. Il s’agit d’un concurrent du site Doctissimo, propriété du groupe Lagardère, puisque Le Figaro Santé proposera, outre le traitement de l’actualité liée à ce secteur, un ensemble de 35 000 fiches réalisées par des professionnels de la santé et surtout des services personnalisés (coaching, régime, programme de remise en forme). Cette offre de services complète sur Internet le supplément Figaro Santé du quotidien papier lancé en 2010 et, à partir d’un lectorat fidélisé par l’actualité, cherche à le conduire vers des services qui seront immanquablement facturés.

Le groupe s’appuie donc sur la marque Figaro pour explorer ensuite de nouveaux territoires. Cela explique sans doute pourquoi lefigaro.fr a été l’un des sites de presse à ne pas favoriser le développe- ment de son offre payante, lancée le 15 février 2010 et qui ne cumulait, début 2011, que 7000 abonnés 100 % numériques. En effet, le rayonnement de la marque et le recrutement des internautes sont essentiels pour le développement des activités de services en ligne, ce qui passe par une audience élargie au maximum, donc un accès gratuit avec financement publicitaire. Celui-ci est d’ailleurs suffisant, dès lors que l’audience est au rendez-vous et constitue une ressource qui s’inscrit dans une stratégie d’ensemble : les recettes publicitaires sont toujours le reflet du dynamisme des audiences, donc par ricochet du dynamisme des services qui seront ensuite facturés à l’internaute. En même temps, le développement des thématiques, parce qu’il permet un meilleur ciblage des internautes selon leurs centres d’intérêt, et même parce qu’il en offre une connaissance approfondie quand des services personnalisés sont proposés comme sur Le Figaro Santé, constitue en soi un « piège à pub », un support suffisamment ciblé pour attirer les annonceurs spécialisés. Ceux-ci paient en général leurs encarts plus chers dès lors que leur cible est identifiée.

S’emparer de marques phares du Web et créer un écosystème avec l’univers Figaro

A côté du portail lefigaro.fr, le groupe Le Figaro a également une stratégie de développement de ses activités numériques autour de services disposant de leur propre marque et de leur propre notoriété. En 2007, le groupe a pris 20 % du capital de Bazarchic, site de ventes privées de luxe, avec la volonté d’organiser des passerelles entre son lectorat et les internautes du site de e-commerce. La même année, le groupe Le Figaro s’est également emparé du site culturel Evene. Il l’utilise comme un moyen de ramener vers le portail lefigaro.fr les internautes conquis par cette marque, en même temps qu’il développe les synergies entre Evene et ses propres pages culture. Le groupe possède également le site de ventes de billets de spectacles TickeTac, où les synergies sont évidentes avec Evene et les pages culture du Figaro. Il possède depuis 2008 La Chaîne Météo, qui constitue à elle seule l’une des plus fortes audiences du Web mobile (3 millions d’applications téléchargées fin 2011). Enfin, en septembre 2011, Le Figaro a pris le contrôle total du service Vodeo.tv, dont il était actionnaire depuis 2008. L’objectif revendiqué est, ici encore, d’apporter aux sites du groupe Figaro, dont lefigaro.fr et Evene, les vidéos disponibles sur le portail Vodeo.tv et à terme d’intégrer la vidéo dans l’offre plurimédia du portail lefigaro.fr.

A cet ensemble de sites reposant soit sur du contenu éditorialisé, soit sur le commerce en ligne, s’ajoute également Adenclassifieds, une société spécialisée dans les petites annonces en ligne dont le groupe Figaro contrôle 53,6 % depuis son introduction en Bourse en 2007. Grâce aux performances d’Adenclassifieds et de ses différents sites (emploi, immobilier), le groupe a déjà réalisé, en 2010, 20 % de son chiffre d’affaires dans le numérique, 10 % dans les activités de diversification (croisières, livres, etc.). Dans deux ou trois ans, le groupe espère monter à 50 % la part de chiffre d’affaires générée par les activités numériques et de diversification, ce qui fera de lui un groupe internet autant qu’un groupe de presse.

Sources :

  • « La marque est plus fondamentale sur le Net que sur le papier », interview de Francis Morel, directeur général du groupe Le Figaro, Frédéric Roy et Didier St Amour, CB News, 16 juillet 2007.
  • « Le Figaro marie ses rédactions Web et papier et accélère ses diver- sifications », Anne Feitz, Les Echos, 3 mai 2011.
  • « Rentrée 100 % convergente pour Le Figaro », Philippe Larroque, Le Figaro, 10 septembre 2011.
  • « Le Figaro continue d’investir lourdement dans son avenir », Anne Feitz, Les Echos, 12 septembre 2011
  • « Le Figaro lance une série de sites thématiques sur Internet », Xavier Ternisien, Le Monde, 13 septembre 2011.
  • « Le Figaro est désormais propriétaire à 100 % de Vodeo.tv », Hugo Sedouramane, Le Journal du Net, 27 septembre 2011.
  • « Francis Morel, nouveau patron du groupe Les Echos », Philippe Larroque et Enguérand Renault, Le Figaro, 30 septembre 2011.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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