Après l’échec de la fusion des activités du groupe La Voix du Nord et du groupe Centre France (voir REM n°20, p.24), le belge Rossel, qui contrôle La Voix du Nord, parvient enfin à constituer le troisième groupe de presse quotidienne régionale en France en s’alliant avec le Groupe Hersant Média.
L’échec, pendant l’été 2011, du rapprochement entre le groupe Centre France et le groupe la Voix du Nord aura sans aucun doute permis de sauver le Groupe Hersant Média (GHM) d’un possible dépôt de bilan. En effet, le groupe belge Rossel, majoritaire au sein de Voix du Nord Investissement, la structure de contrôle du groupe La Voix du Nord (voir REM n°18-19, p.19), cherchait depuis deux ans à s’étendre en France. Après s’est porté acquéreur, sans succès, du Parisien (voir REM n°17, p.68), puis avoir cherché à s’allier avec le groupe Centre France, Rossel ne pouvait finalement plus compter que sur un rapprochement avec le Groupe Hersant Média. Celui-ci, fortement endetté, avait déjà opté pour une cession d’une partie de ses titres : après avoir cédé au Crédit Mutuel les 27 % du capital qu’il détenait dans le groupe Est Républicain en octobre 2010, Hersant Média avait mis en vente Paris Normandie, déficitaire, et négociait avec le groupe Rossel la cession de ses titres en Champagne-Ardenne, L’Union, L’Est Eclair et L’Ardennais. Finalement, la pression de la dette fut telle que l’accord avec le groupe Rossel fut bien plus ambitieux, marquant l’amorce d’un retrait de la famille Hersant du paysage de la presse quotidienne régionale française.
Officialisé le 11 octobre 2011, le projet d’accord entre le Groupe Hersant Média et le groupe La Voix du Nord permet en effet au premier de se désendetter et au second de constituer le troisième groupe de presse quotidienne régionale en France. L’accord prévoit la constitution d’une holding détenue à parité, Rossel apportant ses actifs français, soit les parts qu’il détient dans La Voix du Nord et Le Courrier Picard, le Groupe Hersant Média apportant de son côté les titres de son pôle Champagne–Ardenne et ceux de la région PACA (La Provence, Nice Matin, Corse Matin). Le pôle Paris Normandie, déficitaire, est inclus dans l’accord, mais rejoindra la holding après sa restructuration, laquelle pourrait passer par un dépôt de bilan. En revanche, l’accord laisse au Groupe Hersant Média son contrôle total sur le pôle France Antilles et sur sa filiale de presse gratuite, la Comareg, à l’origine des déboires du groupe familial. Autant dire que l’accord entre le groupe Hersant Média et Rossel fédère les filiales les plus saines du Groupe Hersant Média – sauf cas particulier de France Antilles – avec les actifs français du groupe belge. A charge pour Hersant Média de régler le problème de sa dette et celui de la Comareg. L’accord a été conditionné à l’aval préalable des 17 banques créancières du Groupe Hersant Média, Rossel indiquant qu’il ne saurait « être adossé à un partenaire qui soit sous pression financière ». Le rapport de force en faveur de Rossel se retrouve d’ailleurs dans la gouvernance de la holding, la présidence du directoire, donc les fonctions opérationnelles, revenant à Rossel, quand le Groupe Hersant Média aura celle du conseil de surveillance.
Sans surprise, les discussions avec les banques auront été ardues et la date butoir à laquelle expiraient les négociations exclusives entre le Groupe Hersant Média et Rossel, fixée au 10 novembre 2011, jamais respectée. Une première étape fut franchie par le Groupe Hersant Média le 3 novembre 2011, jour de la mise en liquidation judiciaire, par le tribunal de commerce de Lyon, du pôle de presse gratuite regroupant la Comareg et Hebdo Print. Lourdement déficitaire, en redressement judiciaire depuis novembre 2010, la Comareg continuait à perdre de l’argent. Les offres de reprise, toutes insuffisantes, n’auront donc pas empêché la fermeture de l’activité sur laquelle le Groupe Hersant Média avait pourtant misé pour financer le remboursement de sa dette lors de l’achat de son pôle sud de PQR au groupe Lagardère en 2007 (voir REM n°5, p.10). A l’évidence, l’accord conclu avec Rossel aura dissuadé le Groupe Hersant Média de proposer un plan de continuation pour la Comareg et ses 1650 salariés. Ce plan aurait, selon le groupe, mis « en péril la situation de ses activités dans la presse quotidienne régionale et donc des 4 500 salariés travaillant dans ce secteur ». Restait alors au Groupe Hersant Média à se mettre d’accord avec le pool de 17 banques lui ayant prêté 190 millions d’euros en 2007 pour racheter son pôle sud de PQR, la dette étant montée depuis à 215 millions d’euros.
Accompagné par le Comité interministériel de restructuration industriel (Ciri), le Groupe Hersant Média a dans un premier temps échoué à convaincre les banques d’abandonner 100 millions d’euros de créances. Passé le délai du 10 novembre 2011, le Groupe Hersant Média a, dès le 21 novembre 2011, revu ses ambitions à la baisse, proposant un abandon de créance limité à 60 millions d’euros, un apport de dette de 50 millions d’euros à la holding créée avec Rossel, ainsi qu’un programme de cession de ses autres activités pour financer le remboursement de sa dette, notamment la cession de certains titres du pôle France Antilles. Les banques ont d’abord refusé, les actifs du Groupe Hersant Média, estimés aux environs de 200 millions d’euros, permettant de couvrir la dette en totalité.
Finalement, le 1er décembre 2011, le Groupe Hersant Média a trouvé un accord avec les banques, ouvrant la voie au rapprochement d’une partie de ses actifs avec La Voix du Nord, un rapprochement qui donnera naissance à un groupe employant 800 journalistes, diffusant 900 000 exemplaires chaque jour et réalisant 500 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel. Mais le Groupe Hersant Média a dû céder encore aux banques. Ces dernières acceptent d’abandonner 50 millions de créances. En contrepartie, 50 millions d’euros de dettes sont logées dans la holding commune avec Rossel. Le Groupe Hersant Média et la famille Hersant s’engagent à rembourser le reste de la dette par des cessions d’actifs et en reversant aux banques les bénéfices qu’ils retireront de la holding. Ainsi, le Groupe Hersant Média va se séparer de ses titres en Nouvelle-Calédonie et à Tahiti, ce qui rétrécit le périmètre de France Antilles. Il va se séparer de son service d’hébergement de sites SDV. Enfin, la famille Hersant va racheter en propre certains des actifs du groupe : Philippe Hersant rachète seul la participation de 22 % du groupe dans plusieurs journaux suisses et, allié au reste de sa famille, rachète le golf familial de Nantilly (Eure) jusqu’alors appartenant au groupe. Dernière concession faite aux banques, la dette restante, soit 100 millions d’euros environ, sera reconvertie en ORA (obligations remboursables en actions), a échéance 2019. Autant dire que, si le Groupe Hersant Média ne parvient pas à rembourser sa dette, les banques prendront le contrôle de 25 % de la holding constituée par les journaux du Groupe Hersant Média et de La Voix du Nord. Quant au groupe Rossel, il attend de ce rapprochement des économies d’échelle sur les investissements dans le numérique et, en matière de complémentarité géographique, des synergies entre ses quotidiens du Nord et ceux de Champagne-Ardenne, apportés par le Groupe Hersant Média.
Sources :
- « Mariage en vue entre Hersant et La Voix du Nord », Anne Feitz, Les Echos, 12 octobre 2011.
- « Le belge Rossel devient un poids lourd de la presse régionale », Alexandre Debouté, Le Figaro, 12 octobre 2011.
- « Faute de repreneurs, la Comareg va être mise en liquidation judiciaire », Marie-Annick Depagneux, Les Echos, 31 octobre 2011.
- « La fin du premier gratuit d’annonces Paru Vendu », A.D., Le Figaro, 1er novembre 2011.
- « Clap de fin pour la Comareg, éditeur de Paru Vendu, et ses 1 650 salariés », Anne Feitz, Les Echos, 4 novembre 2011.
- « Hersant Média : la perspective d’un dépôt de bilan se rapproche », Sandrine Bajos et Jamal Henni, La Tribune, 18 novembre 2011.
- « Jour J pour le Groupe Hersant Média », Alexandre Debouté et Philippe Larroque, Le Figaro, 21 novembre 2011.
- « Hersant – Rossel : réunion cruciale au Ciri aujourd’hui », Anne Feitz, Les Echos, 21 novembre 2011.
- « Presse : accord trouvé entre Hersant et ses banques », AFP, 1er décembre 2011.
- « Hersant trouve enfin un accord avec ses banques », Sandrine Bajos, La Tribune, 2 décembre 2011.
- « Les TV locales visent le million de téléspectateurs », interview de Jacques Hardoin, directeur général du groupe La Voix du Nord, par Hélène Reitzaum et Philippe Larroque, Le Figaro, 5 décembre 2011.
- « Hersant Média réussit à restructurer sa dette », Anne Feitz, Les Echos, 5 décembre, 2011.