A l’image du pays tout entier, les médias espagnols sont touchés de plein fouet par la crise économique. Les restrictions budgétaires, assorties de divergences politiques, placent l’audiovisuel public dans la tourmente.
2012, les revenus publicitaires des médias espagnols ont chuté de 22 % pour la presse, 17 % pour la télévision et 11 % pour la radio. Tout le secteur s’enfonce dans une crise économique qui s’éternise. Depuis 2008, plus de 6 200 journalistes ont perdu leur emploi dans un pays qui connaît un taux de chômage supérieur à 20 %. Près de soixante entreprises de médias ont mis la clé sous la porte. Une vingtaine de plans sociaux ont été mis en œuvre.
Le chiffre d’affaires de la presse, qui frôlait les deux milliards d’euros en 2007, devrait être inférieur à 900 millions d’euros pour l’année 2012. Les deux plus grands quotidiens du pays, El Mundo et El País, ne sont plus épargnés. El Mundo a déjà annoncé aux syndicats son intention de supprimer 195 postes au minimum, entraînant le départ d’un journaliste sur trois. El País s’apprête à faire de même. Son concurrent, le quotidien Publico (voir REM n°4, p.15), qui s’est fait l’écho du mouvement des Indignés né en Espagne, en cessation de paiement depuis le 3 janvier, disparaît le 26 février 2012. Malgré une diffusion et une audience internet en hausse, Publico avait déjà supprimé 20 % de ses effectifs en septembre 2011. L’aggravation de la crise publicitaire le conduit cette fois-ci à mettre 160 journalistes au chômage. L’annonce de sa disparition a suscité de nombreuses réactions. En mai 2012, le tribunal de commerce a autorisé la reprise du site web du journal, dont l’édition en ligne avait été maintenue, par l’entreprise Display Connectors. Offrant un montant de 420 000 euros assorti de l’engagement de maintenir les vingt et un postes, d’anciens actionnaires de Publico l’ont ainsi emporté face au collectif MasPublico, composé d’anciens salariés du journal qui proposaient, quant à eux, une somme de 240 000 euros et le maintien de 12 salariés. Ces derniers ont exprimé leur déception en regrettant que le tribunal ait choisi l’offre de ceux ayant conduit le journal à la faillite.
Présidente de la Fédération des associations de journalistes d’Espagne (Fape) qui rassemble plus de 21 000 professionnels, Elsa Gonzalez décrit cette situation comme la plus grave jamais traversée par le journalisme espagnol. Aux pertes d’emplois, s’ajoutent des conditions de travail de plus en plus précaires. Les journalistes, moins nombreux, fournissent le même travail pour des salaires en baisse : ils doivent travailler plus pour gagner moins. Correspondante à Paris de Cadena Cope, deuxième radio espagnole, la journaliste Asuncion Serena a accepté une baisse de 8 % de son salaire. Elle s’estime pourtant privilégiée par rapport à ses collègues en Espagne. Pour échapper à un plan social, certains ont négocié de travailler moins avec une baisse de salaire allant jusqu’à 15 %, tandis que d’autres travaillent toujours autant pour un salaire tronqué, mais avec l’engagement pris par la direction d’un rattrapage quand les choses iront mieux. Pour Asuncion Serena, qui envoie en moyenne trois papiers par jour à Madrid, « la rigueur journalistique, ça a un prix ». Le surcroît de travail peut nuire à la qualité, explique-t-elle, notamment en incitant les journalistes à privilégier « l’enquête à domicile », la recherche d’information sur Internet, ou à ne pas recouper leurs sources d’information. Réduction des effectifs, salaire de 700 euros, remplacement par des stagiaires, ces entraves à l’exercice de leur métier ont décidé les journalistes à descendre dans la rue dans une cinquantaine de villes espagnoles à l’occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse, le 3 mai 2012, célébrée funestement au cri d’alarme de « sans journalisme, pas de démocratie ». Lu lors des rassemblements, le manifeste des organisateurs dénonce : « La liberté de la presse est une conquête de notre société démocratique, mais ces derniers temps, nous voyons une augmentation des restrictions […] et des initiatives de diverses institutions pour limiter le droit à l’information », une allusion au décret-loi que le gouvernement a promulgué le 21 avril 2012.
Depuis la démission de son président en juillet 2011, la radio-télévision publique espagnole connaît, chaque mois, un nouveau président. Cette direction par intérim est le résultat d’une absence de consensus parlementaire qui permettrait de dégager la majorité des deux tiers nécessaire à l’élection du président de la RTVE. Pour mettre fin à cette situation de blocage qui paralyse la gestion de l’organisme public, le gouvernement dirigé par Mariano Rajoy a modifié ce mode de nomination mis en œuvre par le gouvernement socialiste de José Luis Rodríguez Zapatero en 2006, à la faveur d’une loi qui, notamment, soumet le fonctionnement et les programmes de la RTVE au contrôle parlementaire. Il suffira désormais, en cas de désaccord des groupes parlementaires, d’une majorité absolue au Parlement pour désigner le président de l’audiovisuel public, majorité dont dispose pour l’heure le Parti populaire. En outre, le décret adopté en conseil des ministres diminue le nombre des membres du conseil d’administration de la RTVE de douze à neuf, en supprimant les sièges occupés par les syndicats.
L’opposition et les syndicats ont qualifié cette mesure gouvernementale de « retour en arrière en termes de démocratie, de pluralisme et de liberté d’expression », fustigeant une reprise en main de la radio-télévision publique par le pouvoir. La presse et les réseaux sociaux se sont emparés de cette polémique, certains pour se féliciter de la fin du blocage, d’autres pour décrier la renaissance d’une RTVE gouvernementale.
Avec cinq chaînes de télévision, – deux généralistes, une d’information, une de sport et une pour enfants -, plusieurs antennes régionales et cinq radios, la RTVE domine depuis deux ans le marché de la télévision espagnole en termes d’audience, dépassant les chaînes commerciales Telecinco, propriété de Silvio Berlusconi, et Antenna 3. La chaîne généraliste TVE1 est parmi les plus regardées, avec régulière- ment 15 % de part d’audience. Les journaux télévisés de La Primera caracolent en tête de l’audimat depuis plus de quatre ans et demi.
Malgré ses bons résultats auprès du public, la RTVE doit s’attendre à subir une cure d’austérité, à l’instar de toutes les entreprises publiques, afin de réduire de moitié le déficit de l’Etat évalué à 30 milliards d’euros, soit 8 %, objectif réclamé par Bruxelles. La RTVE voit déjà son budget réduit de 200 millions d’euros pour l’année 2012, une diminution de 16,7 %, ramenant celui-ci à un milliard d’euros. Les coupes budgétaires envisagées pour 2013 devraient être encore plus sévères. Pour la première fois depuis sa création en 1956, le service public de l’audiovisuel va connaître une baisse de 40 % de sa programmation. Les documentaires, les jeux culturels, les émissions pour enfants ou encore les reportages consacrés aux sports peu médiatiques seront les premiers à disparaître. Ces restrictions de programmation ne seront pas sans conséquences sur les résultats d’audience. Avec un effectif de 6 400 salariés, la RTVE est sommée de faire également des économies de gestion, à commencer par une vingtaine de dirigeants licenciés, les émoluments des présentateurs vedettes réduits d’un quart et certains avantages matériels supprimés. Pour l’opposition, cette rigueur budgétaire cache la volonté gouvernementale d’asphyxier la télévision publique, accusée par le Parti populaire au pouvoir de soutenir les revendications du Parti socialiste.
Une réouverture des antennes de la RTVE à la publicité dont elles sont exemptées depuis 2010 permettrait de consolider son budget. L’idée soutenue par le conseil d’administration serait de réintroduire trois minutes de publicité par heure d’antenne, afin de compenser pour moitié le montant des restrictions budgétaires prévues pour 2012. Cette solution n’est pas d’actualité pour le gouvernement espagnol, alors même qu’elle est maintenant envisagée en France. En octobre 2011, la RTVE a remporté le Global Media Award, une récompense attribuée en vertu de « la rigueur, l’exactitude et la diversité » de ses journaux télévisés.
Sources :
- « La publicité pourrait être réintroduite à la télévision publique espagnole », N.RA., Les Echos, 5 janvier 2012.
- « Espagne : Publico, en difficultés financières, cessera de paraître dimanche », AFP, tv5.org, 24 février 2012.
- « La télé publique espagnole se prend un direct de la droite », François Musseau, Libération, 13 mars 2012.
- « Le gouvernement espagnol accusé de vouloir reprendre en main la TV publique », AFP, tv5.org, 21 avril 2012.
- « Dans l’Espagne en crise, des milliers de journalistes en moins », AFP, tv5.org, 2 mai 2012.
- « Liberté de la presse : quand la crise joue les prédateurs », Matthieu Vendrely, L’Œil de la rédaction, TV5 Monde, tv5.org, 3 mai 2012.
- « Espagne : manifestation pour défendre la presse « menacée par la crise » », AFP, tv5.org, 3 mai 2012.
- « Espagne : le site internet du quotidien Publico repris par ses anciens actionnaires », La Correspondance de la Presse, 25 mai 2012.