Les difficultés de Paris Normandie, pourtant exclu de l’accord conclu entre le Groupe Hersant Média (GHM) et le groupe belge Rossel, auront eu raison de l’alliance qui devait donner naissance au troisième groupe de presse quotidienne régionale en France. En effet, à l’occasion d’une offre de reprise concernant Paris Normandie, conditionnée à la restructuration du pôle Champagne-Ardenne inclus dans l’accord Rossel–GHM, les conditions sociales dégradées au sein du Groupe Hersant Média, où la Filpac-CGT s’oppose à toute restructuration industrielle, ont fini par décourage Rossel. GHM se retrouve donc seul et, s’il est parvenu à se séparer de Paris Normandie, doit encore trouver le moyen d’éviter un dépôt de bilan concernant cette fois l’ensemble des titres du groupe – et de ses salariés.
Après l’annonce d’un accord avec le groupe belge Rossel le 11 octobre 2011 (voir REM n°21, p.20), le Groupe Hersant Média avait pu espérer échapper aux difficultés auxquelles il doit faire face. En effet, après s’être endetté pour racheter la Comareg, groupe de presse gratuite d’annonces, pour 135 millions d’euros en 2003, puis les journaux du sud de la France à Lagardère en 2007 pour 160 millions d’euros (voir REM n°5, p.10), le Groupe Hersant Média s’est retrouvé pénalisé par une dette qu’il est incapable de rembourser depuis que le marché des annonces de presse gratuite s’est effondré, en 2008, au profit des sites concurrents sur le Web (voir REM n°17, p.70).
Afin d’éviter le dépôt de bilan et trouver un accord avec les banques, le Groupe Hersant Média a donc dû perdre en grande partie son indépendance en s’alliant avec Rossel, avec lequel il devait mettre en commun les journaux du sud de la France (La Provence, Var Matin, Nice Matin, Corse Matin) et son pôle Champagne-Ardenne, le belge apportant ses journaux du nord de la France, notamment La Voix du Nord et le Courrier Picard (voir REM n°21, p.20).
Mais cette alliance était proposée sous condition par le groupe Rossel, qui a demandé au Groupe Hersant Média de régler la situation de ses titres déficitaires, notamment Paris Normandie, exclu pour cette raison de l’accord sur le rapprochement, quand les banques demandaient également au Groupe Hersant Média de se séparer de certains actifs pour récupérer une partie des sommes prêtées.
Ainsi, le 29 février 2012, la SNPEI, l’entité qui édite Paris Normandie, mais également Le Havre Libre, Le Havre Presse et Le Progrès de Fécamp, était-elle mise en dépôt de bilan afin de pouvoir restructurer l’ensemble, déficitaire, et de trouver un repreneur (voir REM n°22-23, p.26). Le projet de restructuration aura révélé au grand jour le poids des inerties au sein du groupe, qui doit affronter en interne une opposition forte du syndicat Filpac-CGT. Ainsi, le 15 mai 2012, trois offres de reprise ont été présentées qui mettaient chacune la question des emplois au cœur de leur proposition. Deux offres n’étaient pas financées tout en étant les plus généreuses sur le plan de l’emploi. La première, faite par Denis Huertas et Xavier Ellie, deux anciens du Dauphiné Libéré et du Progrès de Lyon, proposait 85 suppressions de postes sur 365 salariés. La deuxième, déposée par Jean-Charles Bourdier, qui dirigea Le Républicain Lorrain, tablait sur 120 suppressions de postes. Enfin, la troisième, la seule financée, était déposée par le groupe Rossel et s’inscrivait dans le cadre de l’accord plus large conclu avec le Groupe Hersant Média. Elle prévoyait également 120 suppressions de postes et ajoutait deux conditions suspensives : la finalisation de l’accord conclu avec le Groupe Hersant Média sur ses autres titres afin d’aboutir dans les meilleurs délais à une société commune, ainsi que la restructuration d’un des pôles de presse inclus dans l’accord, à savoir le pôle Champagne- Ardenne-Picardie (CAP), regroupant L’Union de Reims, L’Est Eclair, L’Alsace Nouvelle, Libération Champagne. S’ajoutait à ces exigences un ultimatum, fixé au 15 juin 2012.
De ce point de vue, l’avenir de Paris Normandie, exclu à l’origine de l’accord entre Rossel et le Groupe Hersant Média, s’est retrouvé au centre de celui-ci de manière indirecte, Rossel indiquant clairement au Groupe Hersant Média que la réalisation de la société commune devait passer par une restructuration des différents pôles du Groupe Hersant Média, quand ceux-ci sont déficitaires. Aux difficultés sociales à Paris Normandie se sont donc ajoutées celles du pôle Champagne-Ardenne.
Ce dernier, concerné par un plan social prévoyant la suppression de 270 postes sur 650 employés, a été bloqué par les représentants du syndicat Filpac- CGT du Comité d’entreprise qui ont obtenu, dans un premier temps, de réduire le plan social à 225 suppressions de postes. Mais les exigences se sont envolées et la Filpac-CGT aura défendu jusqu’au bout un plan de départs ramené à 125 salariés. Cette ligne rouge, inacceptable pour le groupe Rossel, qui n’a pas voulu investir dans une activité où la masse salariale trop élevée interdit tout retour à l’équilibre, aura donc eu raison de l’accord entre Hersant Média et Rossel. Pourtant, les conditions proposées par Rossel pour le pôle Champagne-Ardenne étaient avantageuses : à la condition d’un plan de départs, le groupe belge s’engageait à investir 20 millions d’euros dans l’entreprise pour moderniser son imprimerie et accompagner dans de bonnes conditions les salariés licenciés. Cette proposition avait d’ailleurs reçu, le 25 juin 2012, le soutien de la moitié des salariés, dont le Syndicat national des journalistes (SNJ). Car, sans accord, le dépôt de bilan du pôle Champagne-Ardenne, qui a prévu une perte d’exploitation de 6 millions d’euros en 2012, est inévitable. Le 27 juin 2012, le groupe Rossel et le Groupe Hersant Média annonçaient, par des communiqués séparés, renoncer à leur alliance, le Groupe Hersant Média parlant de « gâchis industriel ».
Pour le Groupe Hersant Média, le risque de dépôt de bilan concerne donc désormais la totalité des titres et ce sont donc, à terme, des plans sociaux probablement beaucoup plus lourds qui s’annoncent. En effet, l’accord avec Rossel avait permis au Groupe Hersant Média de s’entendre avec ses banques, ce qui n’est désormais plus le cas. Et s’ajoutent aux dettes bancaires (200 millions d’euros) les pertes d’exploitation que continuent de générer Paris Normandie et le pôle Champagne-Ardenne, au risque d’entraîner avec elles les titres encore bénéficiaires, à savoir les journaux du sud et le pôle France-Antilles. Ainsi, la vente confirmée de La Dépêche de Tahiti, pour environ 7 millions d’euros, suffit seulement à éponger les pertes d’exploitation du pôle Champagne-Ardenne en 2012, laissant intacte la dette du groupe.
Le Groupe Hersant Média s’est toutefois séparé d’un premier foyer de pertes, le 20 juillet 2012, avec l’acceptation, par le tribunal du Havre, du plan de reprise de Paris Normandie par Xavier Ellie et Denis Huertas. Le projet de reprise prévoyant le moins de suppressions de postes, le seul à rester en lice après que les deux hommes eurent trouvé un plan de financement de 500 000 euros, l’a donc emporté. Mais cela ne suffira pas, le SNJ ayant sollicité le Président de la République le 19 juillet 2012, indiquant que, « derrière l’affaire Paris Normandie, c’est tout le château de cartes GHM qui menace aujourd’hui de s’écrouler ». Et pour les titres qui échappent au dépôt de bilan, une hémorragie de compétences n’est pas à exclure, les journalistes bénéficiant de la clause de cession en cas de changement de propriétaire. Ainsi, pour Paris Normandie, le plan de départs volontaires concernant 12 journalistes a suscité une vingtaine de candidatures, dont la rédactrice en chef, un rédacteur en chef adjoint et trois chefs de service. Les indemnités de départ sur ces postes à responsabilités devraient donc être élevées et fragiliser le redressement souhaité de Paris Normandie.
Sources :
- « L’avenir de Paris Normandie s’assombrit », Anne Feitz, Les Echos, 18 mai 2012.
- « Les difficultés de Hersant compromettent le mariage avec Rossel », Alexandre Debouté, Le Figaro, 16 juin 2012.
- « Le groupe Hersant Média sous la menace d’un dépôt de bilan », Anne Feitz, Les Echos, 25 juin 2012
- « Rossel laisse Hersant seul face à ses lourdes difficultés », Anne Feitz, Les Echos, 28 juin 2012.
- « La chute de la maison Hersant », Anne Feitz, Les Echos, 3 juillet 2012.
- « Jour J pour Paris Normandie », Alexandre Debouté, Le Figaro, 20 juillet 2012.
- « L’avenir de Paris Normandie se jouera avec Xavier Ellie et Denis Huertas », Anne Feitz, Les Echos, 23 juillet 2012.