La Chine se convertit au soft power (influence culturelle). Au premier trimestre 2012, la Chine est devenue le deuxième marché mondial du cinéma, devant le Japon, en termes de recettes cinématographiques en salle. Le groupe chinois Wanda occupe désormais le premier rang mondial, par le nombre de salles de cinéma. La Chine construit son Chinawood : l’heure est aux partenariats gagnant-gagnant avec les grands studios américains qui y sont déjà installés.
A la tête de Wanda, un important groupe immobilier (hôtels de luxe, centres commerciaux, salles de cinéma) installé à Dalian, dans l’est de la Chine, son propriétaire Wang Jianlin, sixième fortune du pays estimée à 5,7 milliards d’euros, s’est offert un passeport pour le marché américain en rachetant AMC (American MultiCinema), un réseau important de multiplexes. Pour la somme de 2,6 milliards de dollars, Wanda acquiert en mai 2012 le deuxième réseau de salles nord-américain qui vient compléter les 86 multiplexes, soit 730 salles, que le groupe détient déjà en Chine. Wanda devient ainsi le n°1 mondial des salles de cinéma. Ce rachat est le plus important jamais réalisé par une entreprise chinoise dans le secteur des industries culturelles aux Etats-Unis. Les autorités américaine et chinoise doivent encore donner leur accord.
Déficitaire pour la troisième année consécutive, ayant dû renoncer à lever 450 millions dollars sur le marché boursier en avril 2012, le réseau AMC totalise 346 multiplexes aux Etats-Unis et au Canada, soit plus de 5 000 écrans dont 2 336 écrans 3D et 128 salles équipées du système de projection IMAX (voir REM n°16, p.41). Fondé en 1920, propriété depuis 2005 d’un groupe d’investisseurs dirigé par les fonds Apollo Investment Fund et JP Morgan Partners, AMC est le deuxième réseau d’exploitation cinématographique américain, après Regal Entertainment Group. Avec un effectif de 18 500 salariés, AMC a réalisé un chiffre d’affaires de 1,9 milliard de dollars en 2011, affichant une perte de 83 millions de dollars due notamment aux investissements dans des équipements 3D et au rachat en mai 2011 du réseau de salles Kerasotes de Chicago. AMC a rassemblé dans ses salles environ 200 millions de spectateurs en 2011.
Né en 1998, le conglomérat privé chinois Wanda totalise, quant à lui, 35 milliards de dollars d’actifs et réalise un chiffre d’affaires annuel de 16,7 milliards de dollars. Présent dans l’industrie du cinéma depuis 2005, Wanda investira 500 millions de dollars dans sa nouvelle acquisition AMC, pour rembourser la dette et moderniser les installations. Son fondateur Wang Jianlin nourrit l’ambition de devenir, avec la bénédiction des autorités, « un exploitant de cinéma réellement mondial, doté d’une technologie et de salles portant plus haut l’expérience du public sur les deux premiers marchés du film de la planète ».
Généreux donateur pour des projets caritatifs, ancien militaire et membre du Parti communiste chinois (PCC), Wang Jianlin siège à la Conférence consultative politique du peuple de Chine qui établit, de manière symbolique, des relations entre le PCC et des personnalités du secteur de l’économie, des médias ou du sport. A l’instar des Etats-Unis, le cinéma est devenu pour la Chine un secteur d’influence à part entière. A travers les puissantes entreprises du secteur, les deux pays nouent de plus en plus de liens commerciaux. En 2009, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) avait appelé la Chine à assouplir sa réglementation protectionniste sur le marché du cinéma. Sous la pression américaine, le quota de films étrangers autorisés à sortir dans les salles chinoises a été relevé en 2012, passant de 20 à 34 par an. Avec un nombre de salles en forte augmentation (voir REM n°20, p.45) et grâce à la croissance rapide de la classe moyenne chinoise, les recettes du cinéma en Chine ont augmenté de 64 % en 2010, 33 % en 2011, pour atteindre 1,62 milliard d’euros. Les recettes du box-office chinois sont estimées à 3 milliards d’euros pour l’année 2012, en augmentation de plus de 40 % rien qu’au premier semestre.
Selon Screen Digest, les salles américaines ne représentent plus qu’un tiers du box office mondial, contre 40 % dix ans auparavant. Réalisées pour séduire les spectateurs du monde entier, les grosses productions américaines s’imposent sur le marché international, qui constitue quasiment les deux-tiers de leurs recettes, en Europe notamment (à l’exception relative de la France), mais n’ont pas encore envahi les marchés nationaux des pays émergents comme l’Inde et la Chine. L’Inde ne cède que 9 % de son marché intérieur, grâce au succès de son industrie locale baptisée Bollywood, et la Chine se protège de l’influence culturelle américaine en imposant son quota et ses propres codes de réalisation et de production qui freinent les ambitions des Occidentaux.
Néanmoins, lorsqu’ils passent les frontières, les films américains, essentiellement les superproductions en relief (dites en 3D, voir REM n°16, p.41), rencontrent un grand succès auprès du public chinois. Les films des majors sont en moyenne deux fois plus rentables pour l’Etat chinois que les films nationaux : ainsi, Avatar de James Cameron a dépassé 200 millions de dollars de recettes en salle et pour lequel les billets s’arrachaient au marché noir. Comme d’autres avant lui, le film a d’ailleurs été retiré des écrans traditionnels (hors 3D et IMAX) par le distributeur d’Etat, China Film Group, un mois après sa sortie début janvier 2010, sous prétexte que ces salles n’étaient pas assez remplies, pour céder la place aux productions made in China. Sur Internet, les internautes chinois délivrèrent à l’époque leur interprétation de l’affaire, selon eux liée à l’histoire même des personnages du film, les Na’vi s’opposant à la conquête de leur planète Pandora par les humains. Blogueur et journaliste sportif, Li Chengpeng l’explique en qualifiant Avatar de « manuel de classe épique pour les maisons clous », référence à ceux qui résistent en Chine aux expulsions immobilières et dont la maison se retrouve seule comme un clou au milieu d’un chantier.
La censure rend difficile le travail des cinéastes chinois dès lors que les films policiers peuvent eux- mêmes être considérés comme subversifs. A l’exception des œuvres de quelques réalisateurs connus comme Ang Lee, Zhang Yimou, Chen Kaige et même Jia Zhang-Ke (The World, Still Life), très incisif à l’égard du gouvernement chinois, le rayonnement cinématographique international de la Chine est proportionnel à l’ouverture de son marché aux œuvres étrangères. En octobre 2011, les autorités chinoises adoptent une directive visant à accroître l’influence de la culture de la deuxième puissance économique du monde, s’engageant à « protéger sa sécurité culturelle » et « à rehausser son soft power ».
2011, c’est aussi l’année pendant laquelle l’exploitation cinématographique américaine a enregistré ses plus mauvais résultats depuis seize ans. Avec 1,28 milliard d’entrées, elle réalise un chiffre d’affaires de 10,2 milliards de dollars. Les entreprises nord-américaines se tournent vers le marché chinois et s’y installent pour contourner le quota d’importation de films. Le récent rachat d’AMC par Wanda les aidera sûrement à pénétrer l’immense marché chinois, sous le regard bienveillant du gouvernement américain.
La société canadienne IMAX Corp., inventeur du procédé de projection du même nom, équipe déjà de nombreuses salles en Chine, à la faveur de partenariats avec des diffuseurs privés et des exploitants de salles, au nombre desquels figure Wanda. IMAX Corp. projette d’en installer 300 d’ici 2016. Certains studios américains y ont leur bureau depuis plus de dix ans. Les majors Warner Bros, Disney, Sony et Twentieth Century Fox, mais aussi des sociétés de production comme Relativity Media (The Social Network) et Legendary Entertainment, produisent des films en Chine, mais uniquement avec des partenaires locaux (les coproductions échappent au quota), et surtout bien souvent au prix de concessions sur le scénario. Le bureau du cinéma du Sarft (State Administration of Radio, Film and Television), veille à ce que les films coproduits ou distribués parlent bien de la Chine ou passent à côté des sujets en « T » (Tibet, Taïwan, Tian’anmen).
Le quota sur les films ne s’appliquant pas à la télé- vision, la Warner Bros (groupe Time Warner) a conclu en juin 2011 le premier accord d’un studio américain avec une plate-forme de distribution pour l’ensemble de la Chine. Ses films deviennent accessibles, via le service de vidéo à la demande chinois You On Demand, sur le câble ou par Internet, pour 200 millions de foyers chinois. Quant à la Twentieth Century Fox (groupe News Corp.), en mai 2012, elle a pris une participation de près de 20 % dans Bona Film Group, la plus importante société privée chinoise de distribution. En avril 2012, le groupe Disney, qui construit son premier parc d’attractions à Shangai, s’associe au géant internet Tencent et au groupe public China Animation, dépendant du ministère chinois de la culture, afin de réaliser un projet de développement de films d’animation chinois.
A la suite de l’entrevue du vice-président chinois Xi Jinping, lors d’une visite aux Etats-Unis en févier 2012, avec le patron de la Motion Picture Association of America, Christopher Dodd, est annoncée la construction prochaine d’un studio de production cinématographique à Shanghai, baptisé Oriental DreamWorks, déclinaison chinoise de DreamWorks Animation dirigé par Jeffrey Katzenberg. DreamWorks Animation est le producteur des célèbres dessins animés Shrek, Madagascar, Dragons et surtout Kung Fu Panda, dont le premier opus fut le film d’animation le plus rentable sur le marché chinois pour l’année 2008 et dont le second est devenu en 2011 le film d’animation le plus rentable de toute l’histoire du cinéma du pays, avec près de 100 millions de dollars de recettes. Trois sociétés chinoises, China Media Capital, Shanghai Media Group et Shanghai Alliance Investment, sont les actionnaires majoritaires (53 %) d’Oriental DreamWorks qui représente un investissement initial de 300 millions de dollars. C’est également à la suite de cette rencontre diplomatique de février 2012 que la Chine a accepté de relever son quota d’importation de quatorze films supplémentaires, tout en manifestant sa préférence pour des œuvres au format 3D, IMAX ou pour des films d’animation. Elle s’est également engagée à ce que la part des recettes reversée aux distributeurs étrangers passe de 13 % à 25 %. Les premières productions de films d’animation ou en prises de vue réelles d’Oriental DreamWorks sortiront en 2016 et seront distribuées en Chine et dans le monde entier. La coentreprise Oriental DreamWorks sera également présente dans les parcs à thème, la téléphonie mobile, l’Internet, le jeu vidéo et le spectacle vivant. Selon Rance Pow, président du cabinet de consultants sur le cinéma asiatique, Artisan Gateway, « pour les partenaires chinois, s’adosser à DreamWorks offre une plate- forme de partage du savoir-faire et de la technique ainsi que l’accès aux capacités de distribution et de marketing dont DreamWorks bénéficie déjà à l’échelle internationale ».
Les autorités chinoises ont manifesté à maintes reprises leur agacement face aux coproductions américaines qu’ils jugent factices, « pas assez chinoises » dans leur contenu et réclament des partenariats sino-américains plus « win-win ». Comme celui, par exemple, que la société chinoise DMG Media, coproductrice du film de science-fiction à succès Looper de Rian Johnson sorti aux Etats-Unis en septembre 2012, a réussi à passer avec la société américaine Endgame Entertainment, afin qu’elle tourne une partie du film en Chine (plutôt qu’en France d’ailleurs). Coproduit par Disney, le prochain Iron Man 3 qui sortira en 2013 est une coproduction sino-américaine, également avec DMG Media. La société Beijing Galloping Horse, qui travaille notamment avec le réalisateur sino-américain John Woo, a investi depuis son bureau de Los Angeles dans une coentreprise avec Digital Domain, l’une des sociétés américaines les plus en vogue pour les effets spéciaux. Un projet commun d’un film d’animation est en cours. Vice-directeur du marketing de Beijing Galloping Horse, Guan Yadi explique les deux axes stratégiques de l’entreprise : « Investir dans les meilleurs projets d’Hollywood, même s’ils n’ont rien à voir avec la Chine. Et investir dans les effets spéciaux pour nos films en Chine ». Les gouvernements locaux chinois ont pour instruction d’investir dans l’innovation et la formation. En août 2012, grâce à des partenariats publics et privés, James Cameron a créé une filiale chinoise de Cameron Pace Group dans la municipalité de Tianjin pour assurer la formation des réalisateurs chinois à la 3D.
La France, quant à elle, a signé un accord de coproduction avec la Chine en 2010, lui garantissant de contourner le quota d’importation chinois. Les producteurs français espèrent y trouver les financements manquants, quand les professionnels chinois du cinéma attendent d’en tirer des enseignements d’ordre technique ou économique. Premier producteur de films de l’Union européenne, la France totalise près d’1,4 milliard d’euros de recettes en salle pour 2011, soit deux fois moins que la Chine.
Si un marché pirate incommensurable permet aux cinéphiles chinois de voir les films nationaux ou étrangers interdits dans leur pays, il constitue la bête noire des studios américains qui somment la Chine, à travers l’OMC, d’adhérer au système de copyright. Une révision de la loi chinoise sur le droit d’auteur est en cours… Le quotidien Le Monde du 23 mai 2012 rapporte une interview de Wang Jianlin, PDG de Wanda, accordée au site Global Blue, dans laquelle ce dernier explique que « si la Chine disposait d’un Etat de droit semblable à celui en vigueur dans les pays occidentaux, sa croissance ne dé- passerait pas 3 % et les opportunités y seraient moindres ». Le patron du premier réseau de salles au monde serait intéressé par des investissements en Europe.
Sources :
- « Record et problèmes pour « Avatar » en Chine », Brice Pedroletti, Le Monde, 23 janvier 2010.
- « Warner Bros signe un accord de distribution en Chine », La Correspondance de la Presse, 20 juin 2011.
- « Le cinéma chinois peine à rayonner au-delà de ses frontières », AFP, tv5.org, 8 novembre 2011.
- « Que mille écrans fleurissent ! », Juliette Bénabent, Télérama, n°3236, 18 janvier 2012.
- « Etats-Unis : DreamWorks Animation crée un studio en Chine avec des groupes locaux », AFP, tv5.org, 17 février 2012.
- « Hollywood à la conquête de l’Est », Claudine Mulard et Harold Thibault, Le Monde, 21 février 2012.
- « News Corp investit dans un distributeur de films chinois », La Correspondance de la Presse, 18 mai 2012.
- « La Chine se toque de copyright », Sophian Fanen, Libération, 13 juin 2012.
- « Le chinois Wanda négocie la reprise des cinémas AMC aux Etats-Unis », Pierre de Gasquet, Les Echos, 10 mai 2012.
- « Le groupe chinois Wanda devient le n°1 mondial des salles de cinéma », AFP, tv5.org, 21 mai 2012.
- « Un Chinois s’offre le premier réseau américain de salles de cinéma », Julie Desne, Le Figaro, 22 mai 2012.
- « Wang Jianlin fait du groupe chinois Wanda le n° 1 mondial du cinéma », Harold Thibault, 23 mai 2012.
- « Les tycoons de « Chinawood » s’imposent comme partenaires d’Hollywood », Brice Pedroletti, Le Monde, 2-3 septembre 2012.