Microsoft poursuit sa conquête du Web en repensant ses logiciels historiques

Distancé sur le Web par Google et sur le marché des terminaux mobiles par Apple et Google, Microsoft opte pour l’innovation afin de s’imposer comme l’un des trois éditeurs mondiaux de systèmes d’exploitation pour smartphones et tablettes. Avec Windows 8, Microsoft joue la carte de la convergence entre les différents terminaux du foyer, espérant aussi convaincre les utilisateurs grâce à une ergonomie repensée. Sur le marché professionnel, c’est le nouvel Office, pensé pour le cloud computing (informatique en nuage), qui doit garantir l’avance de Microsoft sur ses concurrents.

En annonçant, lors de la présentation de ses résultats le 19 juillet 2012, sa première perte trimestrielle depuis 25 ans, Microsoft a confirmé sa difficulté à s’imposer dans l’univers du Web face à la concurrence des nouveaux géants du logiciel que sont Apple et Google. Cette perte s’explique en effet par la dépréciation, annoncée dès le 2 juin 2012, des actifs de sa division Internet, baptisée Online Services, à hauteur de 6,2 milliards de dollars. Cette dépréciation revient à annuler la valeur d’aQuantive lors de son rachat, la régie publicitaire dont Microsoft s’était emparé en 2007 pour 6 milliards de dollars avec pour objectif de réaliser à terme 25 % de son chiffre d’affaires dans la publicité en ligne (voir REM n°6-7, p.48). Depuis, les choses ont changé, d’abord parce que les investissements publicitaires sur Internet ont ralenti leur croissance, ensuite parce que le ciblage des messages rend de plus en plus difficile la valorisation des espaces des sites pris en charge par les régies display comme aQuantive, notamment en ce qui concerne les fonds de site. Dès lors, Microsoft ne fait plus de la publicité sur Internet son relais de croissance, mais considère que ses activités internet sont au cœur de sa stratégie d’innovation, un enjeu essentiel pour garantir à ses prochains systèmes d’exploitation et autres services dédiés à son cœur de métier, l’univers des terminaux interconnectés, leur attrait auprès des entreprises et  grand public. Sans surprise donc, la première perte trimestrielle de Microsoft depuis vingt-cinq ans ne s’est pas traduite par une sanction en Bourse, car elle s’est accompagnée de l’annonce d’un renouvellement en pro- fondeur de sa gamme de produits pour la fin 2012 et l’année 2013. Microsoft, qui s’est renforcé sur le Web grâce au succès de Bing (voir REM n°22-23, p.55), même s’il reste loin derrière Google, et qui a retrouvé un profil d’entreprise innovante avec le lancement de la Kinect en novembre 2010 (voir REM n°16, p.32), va donc renouveler son cœur de métier, le système d’exploitation Windows et la suite bureautique Office.

Windows 8 ou la convergence selon Microsoft

Le système d’exploitation de Microsoft, baptisé Windows, a été ces dernières années décliné en différentes versions adaptées soit aux ordinateurs personnels, le fameux système d’exploitation Windows qui équipe près de 90 % des ordinateurs de la planète, soit aux téléphones mobiles avec cette fois-ci Windows Mobile. Or Microsoft, sur ce dernier marché, a manqué la rupture profonde constituée par l’arrivée des téléphones intelligents, ou smart- phones, connectés à Internet, popularisés par l’iPhone d’Apple et, en matière de système d’exploitation, désormais dominés par Google avec son système d’exploitation Android (voir REM n°18-19, p.68).

Pour tenter de revenir sur ce marché des terminaux connectés, qui se substitue progressivement à celui des PC, Microsoft a donc dû innover avec le lance- ment d’un système d’exploitation pour smartphone complètement repensé. Commercialisé depuis octobre 2010, Windows Mobile 7 a été la première brique du déploiement du nouvel univers Windows sur lequel Microsoft compte s’appuyer pour s’imposer de nouveau sur le marché des smartphones, mais également sur le marché des tablettes, les deux principaux terminaux qui offrent une connexion mobile.

Pour répondre aux innovations proposées par les systèmes d’exploitation mobiles d’Apple et de Google, Microsoft a proposé, avec Windows Mobile 7, une interface nouvelle faite d’icônes carrées que l’on peut déplacer et manipuler à souhait pour personnaliser son écran. Ces icônes cachent en fait des services d’un genre nouveau et ne sauraient être confondues avec les applications de l’iPhone ou des téléphones sous Android : les icônes Microsoft font partie du système d’exploitation et l’information vers laquelle elles renvoient est mise à jour en permanence. Ainsi, Microsoft propose au cœur de son système les services de Facebook ou de Twitter, dont l’activité (nouveaux tweets, commentaires sur Facebook) apparaît immédiatement à l’écran du smartphone, sans avoir à être téléchargée, comme sur un iPhone, à l’occasion de l’ouverture de l’application Facebook ou Twitter.

Cette interface, nommée « Metro » par Microsoft, annonçait en fait, dès Windows Mobile 7, le souhait d’une intégration plus poussée entre terminaux, système d’exploitation et services, souhait que le lancement de Windows 8 vient incarner. Ce lance- ment se sera toutefois échelonné sur plus d’un an. En juillet 2011, Microsoft présentait Windows Store, la boutique d’applications en ligne dédiée au système d’exploitation Windows 8 avec, pour attirer les développeurs tentés par les succès de l’iPhone et d’Android, des conditions particulièrement avantageuses. En effet, au-delà d’un chiffre d’affaires de 25 000 dollars généré pour une application, la clé de répartition de 70 % pour le développeur et de 30 % pour Microsoft, comme le font également Apple et Google, est modifiée et ce sont en tout 80 % des revenus qui sont reversés au développeur.

Le 29 février 2012, à l’occasion du congrès du mobile de Barcelone, Microsoft présentait la version test de Windows 8 et révélait sa stratégie d’ensemble pour les systèmes d’exploitation : à la différence de ses concurrents, Google et surtout Apple, Microsoft propose désormais un système d’exploitation unique décliné sur les différents terminaux, les PC, mais également les tablettes et smartphones. Il s’agit d’une véritable innovation, l’iPhone et l’iPad d’Apple fonctionnant par exemple avec le système d’exploitation de l’Iphone, et les Mac avec le système d’exploitation OS X. Cette innovation permet à Microsoft de proposer une offre logicielle intégrée pour l’ensemble des terminaux connectés, qui approfondit ainsi la convergence telle que le groupe la conçoit, à savoir un ensemble de terminaux interopérables et interconnectés. Dès lors, l’expé- rience des utilisateurs est identique, quel que soit le terminal utilisé, et il est possible de basculer d’un terminal à l’autre sans difficulté, les documents étant stockés à distance, grâce au service de cloud computing (informatique en nuage, voir REM n°9, p.43) de Microsoft baptisé Sky Drive.

Avec cette innovation, qui s’ajoute à Metro, la nouvelle ergonomie des écrans tactiles de Microsoft, le groupe espère enfin parvenir à s’imposer sur le marché des systèmes d’exploitation pour smart- phones, mais également sur celui des systèmes d’exploitation pour tablettes où, selon Gartner, Apple contrôlera encore les deux tiers du marché mondial avec son iPad en 2012. Et c’est justement pour s’imposer comme alternative crédible face à l’iPad que Microsoft a tout à la fois investi dans l’activité numérique de Barnes&Noble et présenté deux tablettes à sa marque.

Le 1er mai 2012, Microsoft a en effet annoncé reprendre 17,6 % de Newco, la filiale de Barnes&Noble qui commercialise la liseuse Nook et distribue des ouvrages universitaires en format numérique. Pour 300 millions de dollars, suivis dans les années à venir d’un investissement supplémentaire de 305 millions de dollars, Micro- soft s’offre la possibilité de faire basculer le Nook, qui utilise Android, dans l’univers Windows 8. Si cette opération ne concerne pas stricto sensu le marché des tablettes multimédias, il reste que Microsoft prend pied sur le marché des liseuses électroniques dont l’évolution permet à ses leaders de concurrencer l’iPad, comme Amazon qui, avec 60 % du marché des liseuses aux Etats-Unis, a propulsé le Kindle Fire face à la tablette d’Apple. Le Nook occupe quant à lui la deuxième position sur ce marché, avec 27 % de parts de marché, devant l’iPad d’Apple (10-15 % du marché). Par ailleurs, Barnes&Noble a lancé en février 2012 une tablette multimédia, la Nook Tablet, similaire dans ses performances au Kindle Fire d’Amazon, estompant ainsi la frontière entre liseuses électroniques et tablettes.

Outre la possibilité de faire basculer le Nook dans l’univers Windows, Microsoft pourra également intégrer dans son système d’exploitation une appli- cation Nook afin d’enrichir son offre de services en ligne. Pour Barnes&Noble, l’entrée de Microsoft au capital de sa division numérique lui permet de sortir par le haut des difficultés rencontrées sur son marché historique, les librairies, où Borders a fait faillite, faute d’avoir pris correctement le virage du numérique (voir REM n°20, p.43). A l’investissement dans le Nook de Barnes&Noble s’ajoute également, pour Microsoft, l’annonce du lancement, le 19 juin 2012, de deux tablettes tactiles conçues par le groupe et dont la fabrication sera confiée à un sous-traitant taïwanais, Pegatron. Baptisées Surface, avec une version dédiée aux particuliers et l’autre aux professionnels, ces tablettes sont surtout pour Microsoft la preuve que Windows est capable de devenir le système d’exploitation des nouveaux terminaux connectés, et donc de s’affranchir du seul univers du PC, Gartner estimant qu’il se vendra plus de tablettes en 2016 que de PC dans le monde. Microsoft ne cherche pourtant pas à faire de ses tablettes Surface un produit commercialisé à grande vitesse, puisqu’elles ne seront vendues qu’en ligne ou dans les magasins Microsoft aux Etats-Unis. En revanche, elles attestent des possibilités offertes par Windows 8 et doivent inciter les constructeurs à l’adopter pour leurs tablettes. La tablette dédiée aux particuliers fonctionne par exemple avec les puces du britannique ARM, quand Windows était jusqu’ici adapté aux seuls processeurs Intel et AMD. Or les technologies d’ARM sont justement celles qui ont permis à l’iPad de s’allumer rapidement, à l’inverse des netbooks pénalisés par un temps d’allumage très long. La Surface dédiée aux professionnels fonctionnera en revanche avec une puce Intel.

En plus de cette ouverture technologique, les Surface proposent, à l’inverse de l’iPad, un stylet et une housse devenant un clavier tactile « clipsable », ce qui permet de transformer la tablette en une sorte de mini-PC d’un nouveau genre – Microsoft parlant d’ailleurs de PC et non de tablettes dans ses communiqués de presse. Ce nouveau terminal est adapté à la création de contenus pour les particuliers, et à la bureautique pour les professionnels. Et c’est d’ailleurs en direction des professionnels que le lancement de Surface a été imaginé car Windows 8 permettra demain de faire fonctionner de manière synchronisée à la fois le PC, la tablette et le smart- phone d’un employé, une solution appréciée par les entreprises. Or le marché professionnel reste, pour Microsoft, l’essentiel de son activité avec les ventes de Windows et surtout de la division Business, qui édite Office. Cette dernière représente la première source de revenus du groupe, avec un chiffre d’affaires 2011 de 6,3 milliards de dollars, contre 4,7 milliards de dollars pour la division Windows et 4,7 milliards de dollars également pour la division Server & Tools.

La sortie des tablettes Surface devrait coïncider avec le début de la commercialisation de Windows 8, le 26 octobre 2012. Elle sera suivie du lancement de Windows Phone 8 qui reprend, outre l’architecture de Windows 8, des éléments propres à la navigation en mobilité, notamment la géolocalisation synchronisée avec le système de cartographie Nokia Map. Et Microsoft compte sans aucun doute sur le succès de Windows 8 dans les PC, voire les tablettes, pour revenir ensuite sur le marché des smartphones où son système d’exploitation n’équipe plus que 2,7 % des smartphones vendus dans le monde au deuxième trimestre 2012, contre encore 3,4 % fin 2010, malgré l’alliance passée avec Nokia (voir REM n°22-23, p.68). A cette date, Android équipait 64,1 % des smartphones vendus dans le monde et l’iPhone représentait 19 % des ventes.

L’enjeu est décisif pour Microsoft qui, outre son alliance avec Nokia – le constructeur finlandais devant sortir son premier téléphone sous Windows 8, le Lumia 920, pour les fêtes de Noël 2012 – devra compter également sur l’aide des constructeurs asiatiques qui proposeront également des smart- phones sous Windows 8. HTC a d’ailleurs été le premier à présenter, dès le 21 septembre 2012, soit un jour avant la sortie de l’iPhone 5, sa nouvelle gamme de terminaux sous Windows Phone 8. Ces partenariats sont cruciaux car Microsoft ne peut manquer ce virage sauf à perdre le contrôle du marché des systèmes d’exploitation : ainsi, selon le cabinet IHS iSupli, qui prend en compte les PC, les smartphones et les tablettes, la part de marché de Microsoft sur les systèmes d’exploitation dans le monde n’était plus que de 44 % en 2011 et chutera à 33 % en 2016 grâce aux succès des terminaux mobiles où Microsoft est très peu présent.

Office et le cloud computing

Si le système d’exploitation est au centre de la bataille opposant Microsoft à Apple et Google sur le marché des smartphones et tablettes, la suite bureautique Office et les services aux professionnels sont en revanche les secteurs où Microsoft conserve d’importants atouts et doit conserver son avance. De ce point de vue, le lancement d’Office 2013 est au moins aussi important que la sortie du nouveau système d’exploitation Windows 8. En effet, la division Businness, avec Office en produit phare, génère 26 % des revenus du groupe et 42 % de son résultat opérationnel.

A ce jour, Office n’a pas d’équivalent, malgré l’existence de suites bureautiques concurrentes comme celle éditée par Google. Mais le risque, pour Office, est de manquer le développement du cloud computing (informatique en nuage, voir REM n°9, p.43) qui fait quitter des disques durs des ordinateurs les logiciels bureautiques que Microsoft y a historique- ment installés. Aussi Office 2013 renforcera-t-il la stratégie déployée par Microsoft depuis 2009 qui consiste à faire migrer son offre de services dans le cloud computing. Après le lancement d’Office Web Apps en juin 2010, qui proposait une version en ligne gratuite mais dégradée d’Office, Office 2013 va donc proposer une offre bureautique complète en ligne, les documents utilisés étant stockés directe- ment sur le service de cloud computing Sky Drive de Microsoft. Cette évolution complète en outre les choix opérés pour Windows 8 qui, en organisant l’interopérabilité entre les différents terminaux que sont le PC, les smartphones et les tablettes, devrait s’accompagner d’un espace commun de stockage où accéder à ses fichiers Office, quel que soit le terminal utilisé.

En plus du lancement d’Office 2013, Microsoft pourra enfin faire valoir auprès de ses clients professionnels les performances du réseau social professionnel Yammer, fondé en 2008 et que Microsoft a racheté le 26 juin 2012 pour 1,2 milliard de dollars. Ce réseau social, adopté par 200 000 entreprises et comptant 5 millions d’utili- sateurs, répond au besoin de proposer des fonc- tionnalités alternatives à l’échange de mails (courriels) au sein de l’entreprise, un service proposé historiquement par Microsoft avec sa mes- sagerie Outlook (suite Office). En effet, les réseaux sociaux professionnels sont un moyen nouveau de partager l’information au sein de l’entreprise tout en évitant l’envoi et le stockage des mails. Ils renfor- cent encore l’importance du cloud computing dans les offres à destination des professionnels, Microsoft proposant également des serveurs à distance avec sa plate-forme Azure d’infrastructure à la demande (Infrastructure as a Service – IaaS), en plus des logiciels à la demande avec Office 2013 (Software as a Service – SaaS ).

Sources :

  • « Microsoft dévoile sa future boutique d’applications en ligne », Laurent Pericone, latribune.fr, 7 décembre 2011.
  • « Le Windows Phone, une réussite qui ne trouve pas son public », Nick Wigfield, Le Figaro – The New York Times, 20 janvier 2012.
  • « Microsoft dévoile les dessous de Windows 8 », Marc Cherki, Le Figaro, 1er mars 2012.
  • « Microsoft investit 300 millions de dollars pour se rattraper dans les tablettes », Sandrine Cassini, latribune.fr, 30 avril 2012.
  • « Microsoft s’allie à Barnes&Noble dans l’univers numérique », Pierre-Yves Duga, Le Figaro, 2 mai 2012.
  • « Microsoft veut rivaliser avec Apple et Amazon dans l’e-book », Virginie Robet, Les Echos, 2 mai 2012.
  • « Microsoft lance deux tablettes pour contrer Apple », Elsa Bembaron, Le Figaro, 20 juin 2012.
  • « Avec sa tablette Surface, Microsoft veut « vendre » son Windows 8 », Maxime Amiot, Les Echos, 20 juin 2012.
  • « Microsoft acquiert le « Facebook » de l’entreprise », R.G., Les Echos, 27 juin 2012.
  • « Microsoft mobilise ses partenaires pour réussir le lancement de Windows 8 », Romain Gueugneau, Les Echos, 16 juillet 2012.
  • « Microsoft accuse la première perte trimestrielle de son histoire », latribune.fr, 20 juillet 2012.
  • « Nokia joue son va-tout avec sa gamme de Windows Phone 8 », G. de C., Les Echos, 6 septembre 2012.
  • « Microsoft se prépare à vivre une année charnière », Romain Gueugneau, Les Echos, 19 septembre 2012.
  • « HTC et Microsoft présentent deux nouveaux smartphones », Lesa Bembaron, Le Figaro, 20 septembre 2012.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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