Ce rapport pointe les évolutions ayant marqué la production d’information au cours de la première décennie du XXIe siècle dans huit pays (Allemagne, Brésil, Etats-Unis, Finlande, France, Inde, Italie et Royaume-Uni) et il en tire les conséquences pour l’avenir du journalisme, et, plus généralement, pour celui de la démocratie. « Dans les démocraties contemporaines, personne n’a fait autant pour maintenir les gens au courant des affaires publiques que les journalistes », affirme l’auteur, qui s’interroge sur l’impact de la révolution numérique sur la capacité des journalistes à informer.
Les médias en ligne et les médias « mobiles » ont inventé de nouveaux modes de communication interpersonnelle et de nouvelles façons de produire, partager, recomposer les «contenus ». A ce jour, Internet n’a pas vraiment contribué à favoriser le professionnalisme du journalisme. Si les nouvelles formes de production et de distribution de contenus se sont considérablement multipliées, la fourniture d’information reste l’apanage des médias traditionnels. Les grands journaux sont encore les principaux producteurs d’information, tandis que les grandes chaînes de télévision sont toujours les principaux diffuseurs. Ces « vieux » médias ont aussi trouvé une large audience sur Internet, bien que peu rentable. Le phénomène majeur de ces dix dernières années réside dans la multiplication continue des choix offerts au public comme aux annonceurs, conséquence directe de l’accélération des évolutions techniques, économiques et politiques. Cette tendance à la multiplication des choix est née au cours des décennies 1980 et 1990 avec la « dérégulation » ou la déréglementation du secteur des médias dans de nombreux pays, entraînant un nombre croissant de chaînes de télévision, le lancement d’un nombre incroyable de journaux gratuits et la généralisation des premiers accès à Internet. Elle s’est accélérée dans les années 2000, avec la télévision numérique, le haut débit et l’Internet mobile.
Cette multiplication des offres a conduit à l’érosion de l’audience quotidienne de la plupart des médias, réduisant leurs revenus de la vente et de la publicité, particulièrement sur les marchés matures ; allant, dans certains cas, jusqu’à mettre en péril leur existence ou provoquer des réductions de coûts drastiques. Des journaux et des chaînes de télévision ont déjà disparu et nombreux, parmi ceux qui restent, connaissent une situation économique difficile. Un petit nombre d’acteurs, opérateurs intermédiaires de télécommunications, télévisions payantes, moteurs de recherche, réseaux sociaux, ont acquis une position qui leur permet d’exercer un certain pouvoir sur le marché, tout en engendrant des profits considérables, tandis que les entreprises de médias créatrices de contenus font face à une compétition croissante et ont souvent des marges réduites. Essayant de rester fidèles à elles-mêmes et fidèles aux attentes de leur public, elles doivent relever un double défi, d’un côté résister au nombre croissant d’alternatives qui séduisent leur audience et d’un autre côté, maintenir la qualité de leurs contenus malgré leurs contraintes budgétaires.
Cette tendance se retrouve partout dans le monde, néanmoins ses implications varient d’un pays à l’autre, en fonction du contexte médiatique. Ainsi, parmi le pays riches et démocratiques, les médias aux Etats-Unis sont dans une situation particulièrement grave : les principaux fournisseurs d’information, à l’exception de quelques télévisions locales et chaînes câblées, ont vu leur chiffre d’affaires chuter, leur marge fondre ou s’annuler et ils ont coupé leurs investissements dans le journalisme. Dans une grande partie de l’Europe, les médias du secteur public sont également confrontés au défi que représente « l’hyperchoix », associé à la forte concurrence sur les parts d’audience, même si leur modèle économique demeure fondamentalement solide. Dans les pays du nord de l’Europe, y compris la Finlande et l’Allemagne, les médias privés traditionnels, nés de l’écrit et de l’audiovisuel, ont jusqu’à présent réussi à se maintenir, malgré le développement des nombreuses chaînes de télévision numérique et le taux élevé de pénétration de l’Internet haut débit. Dans le sud de l’Europe, les éditeurs de chaînes conservent leur position, tandis que de nombreux quotidiens doivent affronter Internet qui menace leur rentabilité déjà faible, les contraignant à développer des sources de revenus annexes hors médias, sans compter les nombreuses recapitalisations par leurs propriétaires. Au Brésil, et plus encore en Inde, la croissance économique et l’avènement d’une classe moyenne ont été le moteur du développement du secteur des médias, notamment des médias d’information, bien que nombre d’entre eux demeurent soumis aux réseaux d’influence politique et économique. Si cette tendance de « l’hyperchoix » se confirme, les démocraties risquent de voir :
- leurs médias connaître une érosion continue de leur audience, au profit d’une multiplication de niches ; la poursuite du déclin de l’industrie de la presse, bien que celle-ci ait bénéficié, dans certains pays, d’une rente de situation durant plusieurs décennies, alors que dans de nombreux autres, elle se meurt déjà depuis longtemps ;
- une fracture grandissante entre une minorité qui sera mieux informée que jamais et la majorité qui trouvera de moins en moins d’information à son intention.
Le risque est de voir réapparaître des médias inféodés à des lobbies économiques ou politiques. Le rapport conclut que la demande d’information de la population dans son ensemble est encore largement satisfaite aujourd’hui par la télévision. Néanmoins, la multiplication des offres de médias, dont la plupart ne concerne pas l’information, favorise des modèles de consommation principalement basés sur les centres d’intérêt individuels. Dans un pays comme les Etats-Unis, où l’intérêt pour l’information est faible et inégal au sein de la population, une petite minorité consomme de plus en plus d’information, tandis que la majorité en consomme peu, voire pas du tout. En revanche, dans les pays où l’intérêt est plus grand et mieux réparti, le besoin d’information peut se maintenir, en dépit de la fragmentation de l’offre. Au Brésil et en Inde, le développement de médias populaires a conduit à étendre la demande d’information bien au-delà de l’élite urbaine, éduquée et aisée.
Ten Years that Shook the Media World. Big Questions and Big Trends in International Media Developments, Rasmus Kleis Nielsen, Reuters Institute for the Study of Journalism, University of Oxford, 73 p., reutersinstitute.politics.ox.ac.uk, october 2012