Etats-Unis : la tendance au cord-cutting se confirme

La quasi-totalité des foyers américains souscrivent un abonnement de 45 à 100 dollars par mois auprès d’un opérateur du câble, du satellite ou d’Internet pour recevoir un bouquet de plusieurs centaines de chaînes. Depuis fin 2012, la start-up Aereo leur offre la possibilité de regarder en direct une trentaine de chaînes hertziennes commerciales (ABC, CBS, NBC, Fox News, Bloomberg TV…) grâce à une application à installer sur un ordinateur, un smartphone ou une tablette, contre un abonnement de 8 dollars seulement par mois. Contrairement aux opérateurs traditionnels qui paient des droits de diffusion, Aereo ne reverse aucune commission aux chaînes (dont la principale source de revenus reste la publicité). Accessible uniquement à New York et à Boston, le service de la start-up, financée par le magnat des médias Barry Diller, devrait couvrir 22 villes américaines avant la fin 2013.

Redoutant cette concurrence qu’ils estiment injuste, les groupes de médias Disney, News Corp, CBS n’ont pas obtenu gain de cause devant la cour d’appel de New York en avril 2013. Le tribunal a en effet estimé qu’Aereo reprenait en toute légalité le signal hertzien émis par les stations locales gratuites relayant les programmes des networks, ce que tout le monde peut faire en installant une antenne sur un toit. La chaîne ABC a riposté en lançant sa propre application internet pour diffuser en direct ses programmes sur tous les terminaux, tandis que le groupe News Corp. menace d’interrompre la diffusion hertzienne de ses chaînes.

Le taux d’abonnement des foyers américains à la télévision par câble ou par satellite a chuté de 87 % à 84 % ces deux dernières années. Les câblo-opérateurs sont les plus touchés. Le nombre de foyers qui ont résilié leur abonnement à une offre de télévision payante, en coupant le cordon (cord-cutting), est passé de 2 millions en 2007 à 5 millions en 2012, selon l’institut Nielsen. Ils devraient être 5 millions supplémentaires en 2013. Deux tiers d’entre eux suivent désormais leurs programmes sur l’écran d’un ordinateur (37 %), sur un téléviseur connecté (16 %), sur un smartphone (8 %) ou sur une tablette (6 %). Plus de 44 % ont moins de 34 ans. Ce phénomène de désaffection s’explique en partie par un rapport qualité/prix que les Américains jugent désormais insuffisant face aux alternatives qui leur sont proposées sur Internet. Le service de vidéo à la demande par abonnement (VADA) Netflix, qui occupe le tiers de la bande passante du réseau Internet en soirée, totalise près de 30 millions de clients américains en mai 2013, soit 50 % de plus que le premier câblo-opérateur Comcast et davantage encore que la chaîne HBO du géant Time Warner, pourtant célèbre productrice de séries télévisées. Au premier trimestre 2013, les grands réseaux CBS, ABC, NBC et Fox ont perdu 6 % de leur audience par rapport au premier trimestre 2012, une baisse record pour les six dernières années. Ils militent pour obtenir des mesures d’audience qui tiennent compte de la consommation de leurs programmes sur Internet, à la demande et en différé, afin de redorer leur blason aux yeux des annonceurs. Ces derniers se tournent de plus en plus souvent vers les pure players Amazon, Apple, Netflix, Hulu, YouTube, ou encore Twitter, qui font exploser la consommation de vidéo en ligne (voir REM n°17, p.34).

La télévision continue à recueillir deux fois plus d’investissements publicitaires qu’Internet : 64 milliards contre 36 milliards de dollars en 2012. Les Américains n’ont jamais autant consommé de programmes, passant plus de cinq heures par jour devant leur téléviseur. Mais la multiplicité des écrans, accompagnée du développement des services over the top (OTT, voir REM n°24, p.50), révolutionne le modèle économique de la télévision américaine qui a jusqu’ici fait la fortune des networks, des câblo-opérateurs et des majors. Dorénavant, les acteurs internet diffusent des programmes qu’ils cofinancent ou produisent eux- mêmes, à l’instar de YouTube, filiale de Google, qui a lancé en partenariat une cinquantaine de chaînes en mai 2013, au prix moyen d’abonnement de 2,99 dollars par mois, et de Netflix, dont la première série House of Cards et la prochaine Hemlock Grove – savamment conçues avec des spécialistes du marketing à partir de données fournies par les habitudes de consommation de ses abonnés –, lui assurent déjà un avenir commercial très prometteur, avec notamment plus de 7 millions d’abonnés hors des frontières et un chiffre d’affaires total qui a dépassé le milliard de dollars fin 2012, engendrant désormais un résultat net positif (voir REM n°25, p.43).

Encore émergente il y a à peine deux ans, la diffusion délinéarisée des programmes prend sérieusement le pas sur la « télé ». L’américain Intel, numéro 1 mondial des microprocesseurs, s’installe sur ce nouveau marché, en lançant très prochainement un service équipé d’un décodeur maison permettant de recevoir des films et d’autres programmes audiovisuels via Internet. La bataille des contenus est lancée pour séduire les internautes tout comme les annonceurs.

Sources :

  • « Les Américains délaissent leur écran de télévision », Lucie Robequain, Les Echos, 10 avril 2013.
  • « Aux Etats-Unis, la start-up Aereo bouscule le modèle des TV traditionnelles », Quentin Thomas, Le Monde, 11 avril 2013.
  • « Vidéo à la demande : Netflix dépasse HBO aux Etats-Unis et bondit en Bourse », Clémence Dunand, Les Echos, 24 avril 2013.
  • « YouTube lance son modèle payant », N. Ra. et Karl de Meyer, Les Echos, 13 mai 2013.
  • « Télévision : chronique d’une mort annoncée », Lucie Robequain, Les Echos, 15 mai 2013.
  • « Internet bouscule la télévision américaine », Lucie Robequain, Les Echos, 15 mai 2013. »

Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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