Réseaux sociaux : caractère public ou non public des messages mis en ligne

Cass. civ., 1re, 10 avril 2013, Sté Agence du Palais

Le droit français des médias, et particulièrement le régime de responsabilité pour abus de la liberté d’expression, est conditionné, dans la détermination même de son objet et dans son application, par la référence à la notion essentielle et néanmoins incertaine de « publication ». Un arrêt de la 1re chambre civile de la Cour de cassation, du 10 avril 2013, en constitue une illustration à propos de messages mis en ligne sur Internet, à travers l’un des « réseaux sociaux » : Facebook. Ayant ainsi été mis en cause par l’une de leurs salariés, les dirigeants d’une société avaient engagé, à son encontre, une action en justice pour « injures publiques ». La cour d’appel et la Cour de cassation retinrent, notamment en fonction du « nombre très restreint » de destinataires du message et de la « communauté d’intérêts » qui les unissait, le caractère « non public » des termes litigieux. Dans ces conditions, les faits reprochés auraient dû être différemment qualifiés, sur un fondement autre que les dispositions de la loi du 29 juillet 1881.

La cour d’appel de Paris avait retenu comme « exclusif de la notion de public » le fait que, compte tenu des conditions d’accès au site, les termes litigieux avaient été « diffusés à des membres choisis en nombre très restreint », et que les contacts désignés par la titulaire du compte émetteur « l’avaient été par affinités amicales ou sociales », dans des conditions constitutives d’une « communauté d’intérêts ». En conséquence, la demande avait été rejetée.

Pour contester cette analyse, le moyen au pourvoi faisait valoir que « les informations publiées sur un site de réseau social, qui permet à chacun de ses membres d’y avoir accès à la seule condition d’avoir été préalablement agréé par le membre qui les a publiées, sont publiques » et que « l’élément de publicité des infractions de presse » (telles que définies par la loi du 29 juillet 1881) « est constitué dès lors que les destinataires des propos incriminés, quel que soit leur nombre, ne forment pas entre eux une communauté d’intérêts ».

Pour la Cour de cassation, écartant cette argumentation, les propos litigieux ayant été diffusés dans des conditions qui faisaient qu’ils « n’étaient accessibles qu’aux seules personnes agréées » par la détentrice du compte, « en nombre très restreint », la cour d’appel a justement considéré qu’elles « formaient une communauté d’intérêts » et que les termes reprochés « ne constituaient pas des injures publiques ».

Non publiques, de telles injures sont cependant, sur le fondement d’autres textes (article R. 621-2 du code pénal, pour la définition de l’infraction et de la peine encourue, et règles de procédure de droit commun), susceptibles d’engager la responsabilité de leur auteur. La cour d’appel s’étant « bornée à constater que les propos litigieux ne constituaient pas des injures publiques », l’arrêt rendu est cassé et l’affaire renvoyée devant une autre juridiction. Bien plus qu’elles ne posent de nouveaux problèmes juridiques, jusque-là inconnus, les prétendues « nouvelles techniques d’information et de communication », Internet et, plus particulièrement encore, les « réseaux sociaux », accentuent et rendent plus sensibles quelques incertitudes et difficultés. Il en est ainsi de la notion essentielle de « publication ». Celle-ci conditionne toute l’application, dans sa spécificité, du droit des médias dans son ensemble, et du régime de responsabilité de la loi du 29 juillet 1881 particulièrement.

Sources :

  • « La notion de « publication » en droit de la communication », Emmanuel Derieux, Droit et actualité, Etudes offertes à Jacques Béguin, Litec, p. 275-309, 2005.
  • Réseaux sociaux en ligne. Aspects juridiques et déontologiques, Emmanuel Derieux et Agnès Granchet, Lamy, coll. Axe droit, 235 p., 2013.

Professeur à l’Université Paris 2

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