Ce rapport est consacré aux mutations en cours dans notre société qui sont liées au développement rapide des technologies numériques. Il est le fruit d’une démarche pluridisciplinaire menée par une équipe de quatorze spécialistes de l’internet (professeurs, maîtres de conférences, directeurs de recherche, chefs de projet…). Chacun d’entre eux aborde une thématique particulière au regard de sa discipline de prédilection : l’environnement technologique et ses ruptures (Daniel Kofman) ; l’interaction avec et via le numérique (Françoise Détienne et Michael Baker) ; la valeur sur le web (Laurent Gille) ; protection de la vie privée (Patrick Waelbroeck) ; le lien social (Antonio Casilli), espace et mobilité (Jacques-François Marchandise) ; croissance et développement (Gérard Pogorel) ; innovation et régulation (Pierre-Jean Benghozi) ; les données et leurs traitements (Charles Népote et Daniel Kaplan) ; le savoir et sa transmission (Valérie Beaudouin) ; Etat, puissance administrative et politique (Jacques- François Marchandise) ; travail et entreprise (Amandine Brugière).
L’internet, c’est une courte histoire. La troisième révolution industrielle fondée sur la maîtrise de l’information a débuté dans les années 1960 aux Etats-Unis et en Europe. Né de l’association du protocole IP et du lien hypertexte, l’internet que nous connaissons aujourd’hui date du début des années 1990. Néanmoins, cette jeune industrie est à l’origine de « ruptures d’échelle » qui sont autant de défis à relever pour la société tout entière, dans les domaines de la technologie, de l’information et du savoir, de l’économie et de la régulation. Ces « ruptures » sont déjà, et risquent de l’être encore davantage à l’avenir, à l’origine de « tensions possibles » sur le plan humain et sur le plan de la société, pour les citoyens comme pour les entreprises, comme pour les pouvoirs publics. Faisant le tour de la « question internet », cette étude présente toutes les applications innovantes liées aux technologies numériques et à l’internet qui se propagent dans tous les pans de notre société. Il y a urgence à en évaluer les perspectives et à en mesurer les enjeux.
Des expressions relevées au fil de la lecture de cette étude, comme autant de mots clés reflets de son contenu, montrent à la fois l’originalité et la richesse de ce travail, qui décrit la diversité et la complexité des systèmes et des effets numériques existants : internet des objets, cloud computing, Big data, web sémantique, filter bubble, enjeu des identifiants, e-secret et e-réputation, e-learning, prosumer, produser, crowdsourcing, crowdfunding, cybercriminalité, règle du « best effort », web sciences, hyper-connexion, wearable computing, brain computer interfaces, protection de la vie privée, dépendance, computational thinking, illusion de la « big picture », FabLabs, ACA (agents conversationnels autonomes), environnements virtuels collaboratifs, quantified self (mesure de soi), VRM (vendor relationship management), technologies persuasives, ubiquité, empowerment, travail open source, hacker, slasher, multitasking, NBIC, data mining, small boxes vs networked individualism, MOOC, knowledge management, travailleur nomade, burn out, open gov…
Ces nouvelles techniques, ces nouveaux services, ces nouveaux usages doivent être mieux compris et analysés dans le but d’anticiper leurs « incidences sur les mécanismes économiques » et leurs « interférences avec le fonctionnement social » dans un monde peuplé, demain, de machines « intelligentes » et « communicantes ». « Internet est à une période de son histoire où chacun, et la société, se posent la question de la balance entre ses bienfaits et ses méfaits. Internet est-il « capacitant » ou asservissant, internet débride-t-il l’accès à la connaissance et au savoir ou dissout-il les notions mêmes de connaissance et de savoir désormais contrôlés par quelques-uns, internet augmente-t-il ou diminue-t-il la vie « réelle« , internet favorise-t-il le lien social ou le dilue-t-il, internet protège-t-il la vie privée de chacun ou l’ouvre-t-il à tous vents, internet conforte-t-il les territoires ou les fragilise-t-il, internet est-il un vecteur de démocratie ? » : des questions parmi d’autres auxquelles les auteurs de cette étude nous invitent à réfléchir.
« Internet irrigue, irradie pourrait-on même dire, l’ensemble de l’économie et de la société. Phénomène marginal il y a encore peu de temps, internet pouvait prétendre se développer hors des règles les régissant. Son emprise irréversible sur l’économie et la société impose désormais partout à la puissance publique de s’intéresser à son développement et à ses effets. Les stratégies publiques sont à réinventer, pour certaines en urgence, pour à la fois canaliser certains effets et en stimuler d’autres », avertissent les auteurs qui rappellent que ce qui nous sépare de 2030 est à peu près ce qui nous sépare des fondations de l’internet. Constatant les manquements de l’action publique, ce rapport fait un certain nombre de recommandations pour « consolider internet », prônant notamment la création d’une structure permanente consacrée au numérique et à l’internet, ayant une fonction de veille, de recherche, de formation et de recommandation.
La dynamique d’internet. Prospective 2030, Commissariat général à la stratégie et à la prospective, étude réalisée sous la direction de Laurent Gille et Jacques-François Marchandise, strategie.gouv.fr, mai 2013.