En fermant brutalement l’audiovisuel public grec et en annonçant la création d’un nouveau groupe audiovisuel, aux moyens et aux effectifs réduits, mais avec des ambitions renouvelées, le gouvernement grec crée un précédent d’une ampleur inédite, à plusieurs égards : par la méthode choisie pour réformer une institution à bout de souffle, par le symbole que constitue la fermeture de chaînes et de radios publiques, enfin par la communication retenue, agressive vis-à-vis des ex-fonctionnaires grecs, qui ne peut laisser indifférents les bailleurs de fonds, notamment européens, poussant à de telles réformes sans toujours prendre en compte leurs conséquences politiques.
La crise grecque a conduit les gouvernements successifs à prendre des mesures douloureuses qui auraient été, sans cet état d’exception permanent lié à la pression des créanciers, considérées comme insupportables et autoritaires. Une limite a pu être franchie quand, le 11 juin 2013 à 23h11, sous la pression des bailleurs de fonds du pays, le gouvernement a pris la décision de fermer, l’ensemble des entreprises de l’audiovisuel public grec, mettant fin immédiatement à toute diffusion et au contrat de travail de 2 700 employés. Car ce sont bien les bailleurs de fonds qui ont conduit le gouvernement à ce geste spectaculaire, comme l’a reconnu ultérieurement Pantelis Kapsis, ministre chargé de la constitution du nouvel audiovisuel public : « Nous devions prouver à nos bailleurs de fonds, avant la fin du mois de juin, que nous avions licencié 2000 fonctionnaires, et le choix c’était de tailler dans les effectifs du personnel enseignant ou hospitalier ou chez les salariés d’ERT ».
En fait, en échange d’une tranche d’aide de 54 milliards d’euros, débloquée en janvier 2013, le gouvernement s’est engagé à supprimer 150 000 postes dans le secteur public à l’horizon 2015. Avec la fermeture brutale, par décret, de l’audiovisuel public grec, le gouvernement rappelle à ses bailleurs de fonds les conséquences de la rigueur sans exception : des sources d’information, des programmes culturels disparaissent des ondes, limitant de fait la pluralité des expressions, alors même que l’Union européenne reconnaît la « place essentielle » de l’audiovisuel public en démocratie, l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) ayant à cette occasion également rappelé « le rôle indispensable de l’audiovisuel public dans la démocratie d’un pays », quand Reporters sans frontières dénonçait des « méthodes hallucinantes, qui témoignent d’un mépris pour la liberté de l’information ». En même temps, le gouvernement profite de pressions extérieures pour se débarrasser d’un audiovisuel public grec à bout de souffle, gangréné par le non-professionnalisme et les sureffectifs, que seules donc de longues années de conflits et de négociations auraient pu éventuellement réformer. Une réforme avait d’ailleurs échoué en 2011 sous la pression des syndicats. L’audiovisuel public grec, baptisé ERT, compte 5 chaînes de télévisions, 7 radios nationales, 19 radios régionales, une chaîne internationale, un orchestre et une chorale. Il est apprécié par la population grecque parce qu’il diffuse notamment les matchs de la Ligue 1 et les cérémonies religieuses, programmes les plus suivis. Il reste que ses chaînes de télévision ne réalisent en tout que 13 % d’audience cumulée en Grèce, alors même qu’elles bénéficient de moyens et d’effectifs pléthoriques.
C’est ce qu’avancera le porte-parole du gouvernement pour expliquer la fermeture de l’ERT face aux syndicats et à la population, mobilisés dès le 12 juin : « L’ERT constituait un cas unique d’opacité et de gaspillage incroyable. L’organisme avait un coût de fonctionnement trois à sept fois plus élevé que les autres chaînes de télévision et employait de quatre à six fois plus de personnel, pour une très petite audience ».
Le budget annuel de l’audiovisuel grec, quelque 300 millions d’euros de redevance, est en effet deux fois supérieur à la recette de la totalité des chaînes privées réunies. Le gouvernement a donc les moyens de réinventer de toutes pièces un groupe capable de faire mieux avec moins, notamment sur le plan des effectifs. C’est ce qu’il a annoncé à la suite de la fermeture de l’ERT, proposant de créer à l’automne 2013 un groupe audiovisuel public baptisé Nerit, « moderne, non étatique, ni contrôlé politiquement », c’est-à-dire une société anonyme de droit privé, comptant en tout 1000 salariés, plus de deux fois moins que l’ERT.
En attendant, les salariés de l’ERT, brutalement mis à pied, ont décidé de poursuivre leur activité, avec le soutien notamment de l’UER (Union européenne de radiotélévision) qui a rediffusé sur ses réseaux les émissions produites par les anciens de l’ERT. Ils ont aussi été indirectement soutenus dans leur démarche par le Conseil d’Etat qui, le 17 juin 2013, a condamné le décret gouvernemental et demandéla réouverture des antennes publiques le temps que le nouveau groupe audiovisuel public soit constitué. Mais le gouvernement du Premier ministre grec Antonis Samaras n’aura pas cédé à la justice de son propre pays, ni aux pressions de la rue. Le 19 juin, il précisait les contours du nouvel audiovisuel public grec, nommant un vice-ministre de la communication chargé de sa constitution, Pantelis Kapsis, et indiquant que la nouvelle loi audiovisuelle serait soumise au Parlement. Des gages de l’indépendance politique de Nerit étaient également donnés, le conseil d’administration, élu pour cinq ans renouvelables, ne comptant que deux représentants du gouvernement, le ministre des finances et du tourisme, ainsi que le ministre chargé des médias.
Enfin, pour répondre aux demandes du Conseil d’Etat sans y céder véritablement, des films et des documentaires anciens sont diffusés en boucle sur les trois chaînes nationales de l’ERT depuis le 10 juillet 2013. Le nouvel audiovisuel public a pris forme de manière transitoire une première fois le 21 août 2013 avec la diffusion d’une émission d’information présentée par deux journalistes vedettes de l’ex-ERT sur la nouvelle chaîne publique baptisée DT. Ces derniers annonçaient à cette occasion la reprise d’une tranche d’information quotidienne. Le même jour, la diffusion de la Ligue des champions reprenait également. Il s’agit en fait d’une programmation transitoire, les programmes étant réalisés par des anciens de l’ERT recrutés en CDD. Une liste de 577 personnes provisoirement recrutées a d’ailleurs été publiée le 13 août 2013, en même temps qu’était annoncé le recrutement de 1400 personnes pour le futur Nerit, le gouvernement ayant toutefois précisé, par l’intermédiaire de Pantelis Kapsis, que « les anciens ne seront pas forcément repris. Pour le nouvel audiovisuel, nous accepterons des candidatures de toute la Grèce sur des critères objectifs. La nouvelle procédure de recrutement récompensera le mérite ». Quoi qu’il arrive, la reprise des émissions d’information aura suffi pour que l’UER mette fin à la rediffusion des programmes que les anciens de l’ERT avaient décidé de continuer à produire bénévolement, signant ainsi définitivement la fin de l’ex-ERT, y compris dans sa version alternative.
Sources :
- « L’Etat grec ferme brutalement l’intégralité de son audiovisuel public », Alexia Kefalas, Le Figaro, 12 juin 2013.
- « La fermeture de la télévision grecque crée une onde de choc », Catherine Chatignous, Les Echos, 13 juin 2013.
- « Les Grecs se révoltent contre le « black-out » de la télévision publique », Alexia Kefalas, Le Figaro, 13 juin 2013.
- « L’Etat grec maintient les écrans noirs », Alexia Kefalas, Le Figaro,19 juin 2013.
- « Télévision publique grecque : l’impasse politique persiste », lemonde.fr, 20 juin 2013.
- « La télévision grecque renaît avec des vieux films en noir et blanc », Alexia Kefalas, Le Figaro, 12 juillet 2013.
- « Après sa fermeture en juin, l’audiovisuel public grec reprend dans la confusion », Adéa Guillot, Le Monde, 26 août 2013.
- « Grèce : la nouvelle télévision publique émet son premier direct », lemonde.fr, 21 août 2013.