Avec la vente en bloc de 10 titres de presse magazine, le groupe Lagardère confirme sa stratégie d’optimisation de ses actifs, et son retrait progressif de la presse, insuffisamment rentable. Les activités de distribution et d’édition n’en prennent que plus d’importance, seul l’audiovisuel témoignant aujourd’hui d’un vrai dynamisme au sein de Lagardère Active, la division médias du groupe.
Un recentrage du groupe dicté par une logique financière
Alors que le groupe Lagardère comptait parmi les conglomérats industriels français les plus puissants dans les années 1980, présent dans l’aéronautique, la défense, l’automobile et les médias, incontournable même avec sa participation au capital de La Cinq à la suite de la libéralisation de l’audiovisuel en France, il se recentre aujourd’hui sur ses activités les plus rentables et abandonne son statut de géant, faisant ainsi prévaloir la logique financière sur la logique industrielle. Opéré par Arnaud Lagardère, ce virage a d’abord consisté à recentrer le groupe sur les médias (voir REM n°16, p.36), la sortie définitive des anciennes activités industrielles et de défense remontant au 12 avril 2013 avec la vente des 7,4 % de capital que Lagardère détenait dans EADS. Et le recentrage s’accélère depuis la fin des années 2000, concernant également, désormais, les médias historiques quand ceux-ci voient leur rentabilité décliner, a fortiori quand ils ne parviennent pas à dégager des bénéfices.
Cette logique financière explique la revente par Lagardère de sa chaîne TNT Virgin 17 au groupe Bolloré, en 2010, Virgin 17 ne parvenant pas à être rentable du fait de ses obligations de programmation musicale (voir REM n°16, p.36). Elle explique également la stratégie de cession des participations minoritaires du groupe, lesquelles sont frappées de décote, et parallèlement la volonté du groupe de contrôler la totalité de ses actifs. Lagardère s’est ainsi séparé en 2013, à chaque fois après de longues négociations, de ses 25 % dans le groupe Amaury, puis de ses 20 % dans Canal+ France. Lagardère cherche par ailleurs à céder à un prix raisonnable les 42 % qu’il détient dans le Groupe Marie Claire. A l’inverse, dans la télévision où le groupe est positionné avec ses chaînes jeunesse CanalJ et Tiji, Lagardère a entamé des négociations avec France Télévisions afin de racheter au groupe audiovisuel public les 34 % que celui-ci détient dans leur coentreprise Gulli.
Mais la logique financière qui préside plus qu’auparavant aux destinées du groupe Lagardère se traduit également dans le nouveau tracé de son périmètre, y compris pour ses activités médias. Le groupe compte quatre grandes divisions, dont deux ne cessent de se développer, la distribution et l’édition. La première est Lagardère Services, le pôle distribution de presse et distribution spécialisée (travel retail), avec un réseau de points de vente dans les gares et dans les aéroports du monde entier. Cette activité internationalisée, réalisée aux trois quarts hors de France, représentait en 2012 quelque 3,8 milliards d’euros de chiffres d’affaires. Seul le travel retail est très rentable, ce qui conduit Lagardère à se retirer progressivement des activités de distribution de presse. Le groupe a ainsi cédé en 2011 sa participation de 49 % dans la messagerie française Presstalis pour 1 euro symbolique, et le Wall Street Journal a indiqué le 13 décembre 2013 que Lagardère cherchait à céder ses activités de distribution de presse en Europe et au Canada.
La deuxième division du groupe est la branche édition, avec Lagardère Publishing, qui représente 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2012, avec des positions fortes en Europe et aux Etats-Unis, Lagardère étant le numéro 3 mondial de l’édition grand public depuis le rachat de Time Warner Book en 2006. La troisième division du groupe, Lagardère Active, pèse 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2012 et fédère les activités presse, radio et télévision. C’est elle qui est d’abord concernée par le recentrage du groupe sur ses activités les plus rentables. Enfin, le marketing sportif, où le groupe entend se positionner avec Lagardère Unlimited, compte pour 470 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2012. Parmi ces quatre divisions, Lagardère Active, parce qu’elle fédère des médias historiques « chahutés » par le développement du numérique, est celle qui voit son importance, en termes de chiffre d’affaires, décliner rapidement à mesure que le groupe poursuit son recentrage sur les activités les plus rentables.
Moins de presse, plus d’internet et de télévision pour Lagardère Active
Autrefois premier éditeur de presse magazine dans le monde, la division qui s’appelle aujourd’hui Lagardère Active reste marquée par cette activité : sur le milliard d’euros de chiffre d’affaires réalisé en 2012, la moitié dépend de la presse magazine. Le reste est apporté par la radio, l’un des médias les plus rentables (Europe 1), la télévision (chaînes jeunesse), enfin la production audiovisuelle où Lagardère est leader en France. Le pôle audiovisuel bénéficie des complémentarités entre médias historiques et internet, qui finalement parviennent ensemble à stabiliser, et même parfois à accroître les audiences et les recettes publicitaires sur un marché tendu. A l’inverse, la presse, parce qu’elle dépend à la fois des ventes et de la publicité, est beaucoup plus fragilisée. L’internet, avec le modèle de gratuité qui s’y est imposé, a eu pour effet de faire plonger les ventes, en même temps que la publicité papier recule, voire chute depuis le début de la crise du marché publicitaire fin 2008. Dès lors, la presse est doublement pénalisée et nécessite des investissements très élevés en matière éditoriale et dans le numérique afin d’aller chercher sur l’internet les recettes perdues avec le papier. En l’absence d’investissements, sa rentabilité n’est plus garantie à terme. Cette tendance, et le refus du groupe Lagardère d’investir massivement dans la relance de la totalité de ses titres, a finalement conduit à la cession de la plus grande partie des activités presse du groupe, un processus qui se poursuit aujourd’hui.
Dans un premier temps, Lagardère s’est défait de ses titres de presse magazine hors de France, cédés au groupe américain Hearst en 2011, Lagardère indiquant déjà à l’époque ne pouvoir investir suffisamment dans tous les titres, un ensemble qui représentait alors 40 % du chiffre d’affaires de Lagardère Active et 710 millions d’euros de chiffre d’affaires (voir REM n°17, p.31). Puis ce furent les activités françaises qui ont été concernées par la politique de cession des titres les moins rémunérateurs. Dès juin 2013, le pôle « art de vivre » a été mis en vente, lequel regroupe les titres Mon jardin & ma maison, Maison & Travaux, Le Journal de la Maison, Campagne Décoration. Mais ces titres restaient spécialisés et ne concernaient pas le cœur de l’activité presse magazine de Lagardère Active. En revanche, l’annonce, le 17 octobre 2013, de la mise en vente de 10 titres sur les 39 que conservait encore le groupe a bien signifié un désengagement massif de la presse magazine en France pour Lagardère.
Parmi ces 10 titres, on trouve les 4 du pôle art de vivre et certaines marques fortes, sur lesquelles le groupe a le plus investi et communiqué ces dernières années, comme Be, le magazine féminin et people du groupe à destination des jeunes femmes actives, concurrent direct de Grazia en France. S’ajoutent à Be les titres Première et Pariscope, pour lesquels Lagardère souhaite conserver les activités numériques déjà intégrées à son offre de divertissement en ligne. Ces titres, autrefois étendards de l’information culturelle dans la presse magazine, sont parmi les plus frappés par le développement de l’information pratique et de divertissement en ligne : entre 2007 et 2012, les ventes de Première ont reculé de 20 % et celles de Pariscope de 35,7 %. Enfin, deux autres marques fortes sont cédées, le magazine Auto Moto (ventes en baisse de 17,3 % en cinq ans), lui aussi durement frappé par le développement de l’information pratique en ligne sur le segment de marché où il a prospéré, ainsi que le magazine Psychologies, plus grosse diffusion du pôle cédé, avec 335 900 exemplaires payés en 2012 selon l’OJD, et une diffusion stable durant les cinq dernières années, alors même que le marché est partout en repli. S’ajoute le magazine de charme Union, plus confidentiel.
A l’exception de Be et de Psychologies Magazine, titres qui bénéficient d’une image moderne d’un point de vue éditorial, les titres mis en vente par Lagardère sont représentatifs du marché historique de la presse magazine : segmenté, organisé autour de centres d’intérêt, avec pour chaque segment et sous-segment, quelques titres prospérant à l’abri de la concurrence, des barrières que l’internet a fait sauter. Le groupe a d’ailleurs indiqué, au moment de l’annonce de mise en vente, que les titres cédés étaient en retard dans leur développement numérique, faisant certes une exception pour Be, le seul titre non rentable à être cédé, car en phase d’investissements. Quant à Psychologies Magazine, celui-ci n’entre pas, malgré ses performances, dans la stratégie du groupe. Cette dernière, en effet, est double. Elle repose d’abord sur une rationalisation des coûts : les titres cédés représentent 10 % du chiffre d’affaires de Lagardère Active, mais 240 emplois (20 % des effectifs) sur les 1 200 que compte Lagardère Active. Et l’annonce de cession s’est doublée d’un plan de réduction des effectifs sur les titres conservés : 110 postes seront supprimés, notamment à Elle et Paris Match.
Ces magazines, qui restent à l’intérieur du groupe, s’inscrivent quant à eux dans la nouvelle stratégie de l’éditeur, lequel cherche à s’appuyer sur des marques fortes avec un grand potentiel numérique, afin de concentrer ses efforts d’investissements sur un nombre limité de titres. La branche magazine de Lagardère Active va ainsi être restructurée en cinq pôles : féminin haut de gamme (Elle et ses déclinaisons), actualité (Le Journal du Dimanche, Paris Match, Version Femina), grand public (France Dimanche, Ici Paris, Télé 7 Jours, Télé 7 Jeux), divertissement (Public, les versions numériques de Première et Pariscope), enfin le pôle familial (Doctissimo, Infobébés et Parents), renforcé en décembre 2013 avec le rachat du site de prise de rendez-vous médicaux mondocteur.fr. Il reste que ces marques, comme les titres mis en vente, n’échapperont pas aux turbulences du marché publicitaire français et à la baisse tendancielle des exemplaires vendus, ce qui conduira immanquablement le groupe Lagardère à reconsidérer l’intérêt qu’il y a à rester aujourd’hui un éditeur de presse. D’autres avant lui ont eu cette démarche, où la logique financière l’emporte, tel Time Warner qui s’est séparé de l’essentiel de Time Inc. pour se concentrer sur l’audiovisuel et le cinéma (voir REM n°26-27, p.34), ou le groupe allemand Springer qui mise sur le numérique au détriment de ses activités historiques de presse.
Pour le groupe Lagardère, une stratégie du type Time Warner n’est pas à exclure, car c’est bien cette logique qui semble dominer. Les activités internationalisées sont conservées et développées, comme Lagardère Services et Lagardère Publishing. Quant à Lagardère Active, le pôle médias stricto sensu, les activités audiovisuelles et de production y prennent une place de plus en plus importante. A côté de son vaisseau amiral, Europe 1, Lagardère Active se développe notamment dans la production audiovisuelle où le groupe, numéro 1 en France, joue la carte de l’internationalisation à l’occasion du développement des coproductions européennes. En l’occurrence, c’est Lagardère Entertainment qui a cofinancé la série Les Borgia. En même temps, Lagardère Entertainment continue de se renforcer en France avec le rachat, en novembre 2013, de Réservoir Prod, la société de production fondée par Jean-Luc Delarue.
Sources :
- « Lagardère cède ses 25 % dans Amaury », Alexandre Debouté, Le Figaro, 3 avril 2013.
- « Lagardère fait le ménage dans ses titres », Fabienne Schmitt, Les Echos, 18 octobre 2013.
- « Lagardère vend la moitié de ses magazines », Alexandre Debouté, Le Figaro, 18 octobre 2013.
- « Première et Pariscope bientôt cédés », Fabienne Schmitt, Les Echos, 23 octobre 2013.
- « Denis Olivennes : « Nous avons déjà reçu une vingtaine d’offres pour nos magazines » », Interview de Denis Olivennes, président de Lagardère Active, par Enguérand Renault, Le Figaro, 28 octobre 2013.
- « 70 acheteurs pour les magazines de Lagardère », Enguérand Renault, Le Figaro, 29 novembre 2013.
- « Lagardère s’offre la société de production de Jean-Luc Delarue », Fabienne Schmitt, Les Echos, 2 décembre 2013.
- « Lagardère Active ajoute Mondocteur à Doctissimo », A.C., Les Echos, 13 décembre 2013.
- « Lagardère céderait la distribution de presse en dehors de la France », Alexandre Debouté, Le Figaro, 17 décembre 2013.