Ce rapport recueille et analyse les différentes options pour un système d’autorégulation des médias à la française. Partant du constat quasi unanime de l’existence d’une crise des médias d’information en France, l’auteur du rapport a tenté de comprendre comment la déontologie pourrait s’appliquer de manière plus uniforme dans l’Hexagone afin de redonner confiance aux Français dans leurs médias, tout en renforçant la qualité de l’information. Après avoir interviewé les principaux acteurs concernés et décrypté les différents modèles mis en place à l’étranger, cette première conseillère à la cour administrative d’appel de Paris suggère trois pistes de réflexion et de travail.
Une première piste serait de renforcer les mécanismes existants d’autorégulation : chartes, assises, médiateurs, etc. C’est de loin l’option la plus facile à mettre en place en France mais également la moins ambitieuse. Pas besoin ici de consensus national. Il suffirait d’encourager l’adoption de mécanismes d’autorégulation au sein de chaque entreprise de presse, tout en améliorant l’enseignement de la déontologie dans les écoles de journalisme. Cette option pourrait s’appuyer sur le développement de l’Observatoire de la déontologie de l’information qui, sans devenir une instance de traitement des plaintes, pourrait élaborer un système d’alertes au non-respect de la déontologie par les médias. En somme, on retiendrait ici les éléments qui ne rencontrent aucune opposition au sein de la profession des journalistes en France.
Une deuxième piste suggérée par l’auteur du rapport serait de créer une instance d’autorégulation globale, pour tous les acteurs du « système médiatique », tant pour la presse que pour l’audiovisuel, au niveau national. Cette option est, à l’inverse de la première, extrêmement difficile à mettre en œuvre, puisqu’elle ne pourrait résulter, aujourd’hui en France, que d’une initiative publique contraignante, obligeant les médias à adhérer au système. Ce cadre juridique pour l’autorégulation abrogerait alors le principe d’adhésion volontaire et inscrirait ce système dans un cadre coercitif ou corégulationniste. Alors que ce modèle existe dans quelques pays européens comme le Danemark, l’auteur rappelle que nombre de documents internationaux soulignent « qu’une autorégulation ne peut être véritablement légitime et incontestable que si elle est entièrement spontanée ».
Reste alors, à mi-chemin, la piste envisageant la mise en place d’une autorégulation volontaire qui serait, dans le cas français, automatiquement partielle au regard de l’étendue des divergences entre les professionnels du secteur sur le sujet. Marie Sirinelli explique les divergences qui existent entre les différents acteurs concernés en France et insiste sur la position des adversaires du système d’autorégulation. Selon eux, la création d’un conseil de presse ajouterait un nouveau type de pression, tout à la fois inutile et inefficace, sur le travail des journalistes, sans pour autant régler les problèmes déontologiques résultant du phénomène économique de concentration et de la fragilisation du statut des journalistes. Les détracteurs du système insistent, en outre, sur le fait que la loi de 1881 encadre déjà suffisamment le travail du journaliste.
Marie Sirinelli rapporte cependant que l’idée d’un conseil de presse commence à fédérer un nombre grandissant d’acteurs, ce qui a d’ailleurs permis la création de structures spécialement consacrées à la question, notamment l’Association de préfiguration d’un conseil de presse en France établie en 2006. Pour l’auteur du rapport, la création d’un conseil de presse paraît chose envisageable dans la mesure où une majorité des acteurs concernés semble favorable ou, à tout le moins, non opposée, à la création d’une telle instance.
Enfin, l’expert considère divers moyens qui permettraient de limiter le nombre de médias souhaitant s’exclure du système. La mise en place d’un système d’incitations avec des leviers suffisamment pertinents pour amener les acteurs des médias à adhérer au conseil de presse est ainsi évoquée : « Pourrait être imaginée la création d’une sorte de taxe (pour les non-adhérents) ou de déduction fiscale (pour les adhérents) qui présenterait l’avantage de pouvoir associer plus simplement au dispositif les médias de l’audiovisuel et de l’internet ». Outre des avantages fiscaux, des avantages légaux ou procéduraux sont aussi envisageables, à l’exemple de ceux prévus pour les médias en Irlande qui adhérent au conseil de presse et sont impliqués dans des affaires d’insulte ou de diffamation. Une labellisation des médias adhérant aux principes éthiques pourrait aussi être mise en place. Enfin, un autre moyen serait de permettre au conseil de presse de rendre public le choix fait par les acteurs du système médiatique de ne pas adhérer au conseil de presse, une solution choisie par la Belgique et l’Autriche.
Resterait cependant un grand nombre de décisions à prendre en matière de fonctionnement d’une éventuelle instance d’autorégulation. A cet égard, le rapport met en lumière la complexité des choix, même si l’auteur évoque « suffisamment de points de rencontre entre les acteurs favorables à un conseil de presse pour imaginer les grands axes du fonctionnement d’une telle instance ». Pour beaucoup d’interlocuteurs, une question centrale en France réside dans la nécessité ou non d’adopter un texte déontologique transversal, commun à toute la profession, concomitamment ou préalablement à la création d’une instance d’autorégulation. Il est en effet étonnant de constater la grande dispersion des textes relatifs à la déontologie journalistique dans l’Hexagone. Il y a actuellement cinq documents négociés au niveau de l’ensemble de la profession (la Charte d’éthique professionnelle des journalistes de 1918, la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes de Munich, La Déclaration de principes sur la conduite des journalistes par la FIJ, la charte « Qualité de l’information » de 2008 et le projet de code de déontologie pour les journalistes de 2009). Les expériences étrangères décryptées dans ce rapport rappellent la diversité des solutions adoptées en Europe. En Suisse, les références sont plurielles ; en Belgique francophone, la charte déontologique n’a été adoptée que quatre ans après la création du conseil de presse. Ailleurs, ces textes ne cessent d’évoluer à mesure que change le métier de journaliste.
A chaque pays correspond donc un cadre spécifique, résultat d’une histoire et d’un cadre juridique particulier. Le constat s’impose comme l’Union européenne le formulait en janvier 2013 : « Il ne semble pas y avoir de modèle institutionnel préétabli qui pourrait servir de schéma universel adapté à toutes les situations. »
Malgré la diversité des choix en matière textuelle, en matière de financement, de composition et de nomination des membres, en matière de prérogatives de l’instance, une chose reste essentielle et commune à tous ces mécanismes d’autorégulation : leur indépendance, vis-à-vis des pouvoirs publics, mais également vis-à-vis de la profession, afin d’éviter ingérences étatiques ou dérives corporatistes. Et, quels que soient les choix, c’est ce vers quoi la réflexion en France doit s’engager.
Autorégulation de l’information : comment incarner la déontologie ? Marie Sirinelli, rapport remis au ministre de la culture et de la communication, culturecommunication.gouv.fr, février 2014