Le lancement anticipé de l’appel d’offres pour les droits de diffusion des matchs de la Ligue 1 a permis à Canal+ de s’assurer du meilleur du football français jusqu’en 2020, avec une offre particulièrement singulière face à BeIn Sports. Un nouvel équilibre semble s’instaurer entre les deux concurrents, BeIn Sports conservant quelques grands événements avec la Ligue des champions, mais proposant d’abord une offre multisport élargie, quand Canal+ se recentre sur les seules grandes affiches.
A près la déflagration de 2011 sur le marché des droits sportifs, qui avait fait émerger BeIn Sports comme concurrent de Canal+ à l’issue de l’appel d’offres sur les droits de retransmission de la Ligue de football professionnel (LFP) pour 2012-2016 (voir REM n°20, p. 26), la seconde manche s’est déroulée plus tôt que prévue. Certes, des compétitions ont lieu régulièrement, notamment pour les sports de complément, où la surenchère est systématique, à l’instar de Canal+ qui a doublé en janvier 2014 ses versements à la Ligue nationale de rugby (LNR) afin de conserver la diffusion du Top 14 (voir REM n°29, p.38). Mais, concernant le football, la seule échéance importante avant 2016 semblait être l’appel d’offres de la Ligue des champions, lancé normalement le 7 avril 2014. Sauf que la LFP a devancé le calendrier en lançant par surprise, le 6 mars 2014, l’appel d’offres pour la L1 et la L2 pour les saisons 2016-2017 à 2019-2020. Autant dire que Canal+ et BeIn Sports se sont retrouvés dans l’obligation de concourir sans même connaître la répartition des droits sur la Ligue des champions qui, comme la L1, permet de programmer les plus grands clubs nationaux.
Pour Canal+, s’assurer d’une offre crédible de football est essentiel afin de conserver son statut de chaîne premium et de justifier le prix élevé de son abonnement, pour lequel le cinéma et les séries ne suffisent pas. Ainsi, 6 des 10 meilleures audiences de la chaîne sont réalisées en 2013 avec la L1. Pour BeIn Sports, qui a réussi son pari avec 1,8 million d’abonnés en deux ans, mais doit encore augmenter ce chiffre pour équilibrer ses comptes, garantir une offre conséquente de football jusqu’en 2020 est tout aussi vital.
La LFP a donc voulu profiter d’un concours de circonstances idéal, consciente des enjeux de la Ligue 1 pour les deux chaînes, et forte d’un championnat dopé par les investisseurs étrangers, avec le PSG financé par le Qatar et l’AS Monaco par le milliardaire russe Dmitry Rybolovlev. Les règles de l’appel d’offres ont donc été modifiées en conséquence. Les lots mineurs ont été supprimés, comme le lot mobile, qui faisait pourtant l’objet d’un investissement récurrent de la part d’Orange. L’offre TV et internet a été regroupée et découpée en 6 lots pour la L1, en 3 lots pour la L2. Les trois premiers lots de L1 permettent de constituer une offre de football intéressante. Le lot 1 offre l’essentiel de la Ligue 1, avec 2 matchs en direct, dont 1 match de premier choix. Le lot 2 correspond aux grandes affiches, mais ne comporte qu’un match par journée de championnat. Le lot 3 est le plus important en volume, comprenant 7 matchs en direct et 3 matchs en différé par journée, mais aucun match événement. Autant dire que BeIn Sports, qui a misé sur le quantitatif, obligeant Canal+ à se positionner sur les grandes affiches (voir REM n° 22-23, p. 29), se devait d’emporter ce dernier lot. Quant à Canal+, le lot 1 était pour lui essentiel, puisqu’il représente son offre actuelle. Le lot 2 a donc été conçu par la LFP pour permettre à la chaîne qui l’emporte de se différencier clairement de sa concurrente. Les lots 4 à 6 s’adressent en revanche aux chaînes gratuites et à des nouveaux entrants, qu’il s’agisse de Discovery, désormais propriétaire d’Europsort, ou encore de L’Equipe TV sur la TNT HD.
Concernant cette fois-ci le processus de remise des offres, les règles ont là encore été modifiées par rapport au précédent appel d’offres. La LFP a fixé un prix de réserve global, afin de ne s’engager dans une négociation lot par lot, toujours risquée, que si celui-ci n’est pas atteint. Et elle a tout fait pour favoriser les enchères en amont. Le contenu des offres qualitatives a été planifié le 2 avril, à peine un mois après le lancement de l’appel d’offres, la journée décisive étant le 4 avril avec l’ouverture des plis pour le lot 1. A l’issue de cette ouverture, le premier vainqueur étant connu, les candidats ont alors la possibilité de surenchérir pour les lots 2 et 3, les offres définitives étant connues en fin de matinée. Puis l’après-midi a été consacré à l’ouverture des plis pour les derniers lots. Si la LFP n’a pas communiqué son prix de réserve, son président, Frédéric Thiriez, a donné des indications précises sur ses attentes. A plusieurs reprises, il a mentionné dans la presse la qualité du championnat français et la faible valorisation de ses droits audiovisuels, estimant que la Ligue 1 française, vendue 656 millions d’euros sur la période 2012-2016, devrait être mieux valorisée que les championnats espagnol (750 millions d’euros pour deux divisions) et allemand (675 millions d’euros), sans pour autant espérer les montants records des championnats italien (960 millions d’euros) et anglais (1,75 milliard d’euros). Autant dire que la LFP a clairement fait entendre que le prix de réserve se situerait au-dessus des 700 millions d’euros par an, soit mieux qu’en 2008 où elle avait obtenu 668 millions d’euros (L1 et L2) en opposant Canal+ à Orange. La pression a donc porté sur Canal+, qui avait choisi en 2012 de limiter son investissement, ramené à 420 millions d’euros contre plus de 600 millions d’euros sur la période 2008-2012.
L’opération menée par la LFP a été couronnée de succès le 4 avril 2014, jour de l’ouverture des offres, puisque l’ensemble des lots a été attribué. Moyennant une forte hausse de son investissement, Canal+ emporte les lots 1 et 2 pour 540 à 550 millions d’euros. Il distance largement BeIn Sports et s’assure d’une offre de football conséquente jusqu’en 2020 puisque la chaîne cryptée diffusera un match de plus qu’actuellement (3 contre 2) et surtout la totalité des matchs événements. BeIn Sports devra se contenter d’une offre élargie, faite de matchs de second choix ou en différé avec le lot 3, de magazines et de meilleurs buts avec les lots 4, 5 et 6. La Ligue 1 disparaît complètement des fenêtres des autres diffuseurs, ce qui signe la fin des ambitions d’Orange dans le sport, y compris sur mobile. Quant à la L2, BeIn Sports, qui a besoin de matchs pour remplir ses grilles, conserve les droits de diffusion pour 22 millions d’euros. La LFP percevra donc 726,5 millions d’euros par an pour la L1, et près de 750 millions d’euros pour la L1 et la L2, l’équivalent du championnat espagnol et la meilleure valorisation jamais atteinte pour les droits du foot en France.
Après le succès de Canal+ sur l’appel d’offres de la LFP, celui concernant la Ligue des champions, seule autre compétition à proposer des matchs événements tout au long de l’année, est devenu vital pour BeIn Sports. Lors du précédent appel d’offres, en décembre 2011, la chaîne qatarie s’était d’ailleurs déjà emparée de 4 des 5 lots de la compétition, obligeant Canal+ à se reporter sur le lot auparavant diffusé par TF1. Cette répartition des matchs, le volume pour BeIn Sports, les affiches pour Canal+, a fini par prévaloir, Canal+ ayant besoin de programmer moins d’événements sportifs, mais les plus prestigieux, comme l’atteste encore le résultat de l’appel d’offres sur la L1. A la suite de la remise des offres auprès de l’UEFA le 7 avril 2014, cette dernière a officialisé, le 11 avril, l’attribution des différents lots de la Ligue des champions pour la période 2015-2018. BeIn Sports a sans surprise surenchéri afin d’emporter l’essentiel des matchs et surtout une affiche prestigieuse, prise à Canal+ (match du mardi), la chaîne cryptée conservant la diffusion du match du mercredi.
Enfin, BeIn Sports est assuré de diffuser la finale, qui doit également être programmée sur une chaîne en clair, en tant qu’événement d’importance majeure, ainsi que les matchs du club français s’il n’en reste qu’un à partir des huitièmes de finale. Le montant des droits récoltés approcherait les 145 millions d’euros, soit 30 % de plus que le contrat précédent.
Se dessine donc en France une carte de l’offre sportive à la télévision relativement stabilisée pour les six ans à venir, avec un avantage certain pour Canal+. Les chaînes en clair sont exclues, sauf pour certaines compétitions événementielles difficilement programmables sans modifier en profondeur les grilles (Roland-Garros, Tour de France). BeIn Sports affiche l’offre la plus importante mais, à l’exception d’un match phare pour la Ligue des champions, doit se contenter de second et troisième choix, ou de différé. Si cette situation permet à la chaîne qatarie de fidéliser les abonnés déjà conquis, il n’est pas sûr qu’elle lui permette de continuer sa progression au même rythme, faute de disposer des événements les plus prestigieux.
Quant au groupe Canal+, il n’a plus les moyens d’alimenter en compétitions ses chaînes sportives comme il pouvait le faire avant l’arrivée de BeIn Sport, mais la chaîne cryptée, vaisseau amiral du groupe, conforte néanmoins son offre sportive : elle ne partage aucune des affiches de la Ligue 1, dispose d’une affiche sur les deux proposées en Ligue des champions, et elle a pour elle le Top 14 de rugby, l’autre compétition « feuilletonnante » et populaire, après le football.
Sources :
- « La Ligue de football met déjà en vente ses droits TV pour 2016-2020 », Christophe Palierse, Les Echos, 7 mars 2014.
- « La LFP précipite les enchères sur les droits audiovisuels du football », Enguérand Renault, Le Figaro, 7 mars 2014.
- « Droits télé : “Le foot français doit monter sur le podium européen” », interview de Frédéric Thiriez, président de la LFP, par David Barroux, Christophe Palierse, Fabienne Schmitt, Les Echos, 13 mars 2014.
- « Frédéric Thiriez : “Canal+ doit faire une offre canon sur les droits du football” », interview de Frédéric Thiriez, président de la LFP, par Cyrille Haddouche et Caroline Sallé, Le Figaro, 15 mars 2014.
- « Canal+ et BeIn Sport à nouveau face à face pour les droits TV de la L1 de football », Christophe Palierse, Fabienne Schmitt, Les Echos, 3 avril 2014.
- « Valorisation record du football français grâce à Canal+ et BeInSports », Christophe Palierse, Les Echos, 7 avril 2014.
- « Ligue des champions : avantage pour BeIn Sports », Fabienne Schmitt, Les Echos, 14 avril 2014.