La crise économique va laisser des traces profondes sur le marché audiovisuel espagnol : la baisse des recettes publicitaires et des abonnements a conduit Prisa et Mediaset à céder leur participation dans DTS, la plate-forme éditrice de Canal+ Espagne, que Telefonica contrôle désormais en totalité. Pour les chaînes en clair, l’attribution en 2010 de licences de TNT sans appel d’offres a conduit à la fermeture de 9 chaînes, l’Espagne passant ainsi de 24 à 15 chaînes. Enfin, l’audiovisuel public voit l’aide de l’Etat disparaître progressivement, en même temps que reculent les recettes des taxes devant le financer depuis la fin de la publicité en 2010. Le nouveau plan d’économies de la RTVE passera donc par la suppression d’une chaîne.
Annoncée depuis 2013, l’intention du groupe Prisa de céder à nouveau des actifs afin d’alléger sa dette a amorcé un mouvement de consolidation du paysage audiovisuel espagnol, au moins pour la télévision payante. En novembre 2010, Prisa avait été recapitalisé par le fonds Liberty Acquisition Holding (voir REM n°17, p.27), après une première campagne de cession d’actifs, au premier rang desquels 44 % du capital de Digital + (DTS), cédés à Telefonica et Telecinco, la chaîne espagnole du groupe Mediaset, ainsi que la totalité du capital de la Cuatro, la quatrième chaîne espagnole, cédée là encore à Telecinco (voir REM n°14-15, p.20). Ces cessions et la recapitalisation par Liberty Acquisition Holding ont permis à Prisa d’alléger sa dette, passée de 5 milliards d’euros en 2010 à 3 milliards d’euros un an plus tard. Mais cette dette a continué à être trop importante, notamment parce que les difficultés économiques ont fortement pesé sur les activités de Prisa, l’Espagne étant l’un des pays d’Europe où la crise a frappé le plus durement, affectant le marché publicitaire et les dépenses des consommateurs. Ainsi, DTS, la plate-forme de télévision payante qui abrite Canal+ Espagne, a vu son résultat d’exploitation reculer de 82 % en 2013, à 32,5 millions d’euros, du fait des résiliations massives d’abonnements, alors même que les droits du football espagnol s’envolaient. Autant dire que Prisa s’est résolu à abandonner ses dernières participations dans la télévision espagnole, cédant les 56 % du capital de DTS qu’il détenait encore.
La vente de DTS par Prisa pouvait intéresser plusieurs acheteurs, notamment Mediaset et Telefonica, chacun détenant 22 % de la plate-forme de télévision payante depuis 2010. Sauf qu’entre 2010 et 2014, les conditions de marché ont profondément évolué, notamment pour le groupe Mediaset, concurrencé en Italie par Sky et obligé de participer à des surenchères impressionnantes pour conserver une part significative des droits du football pour son offre de télévision payante sur la TNT, baptisée Mediaset Premium. Ainsi Mediaset s’est engagé à débourser 690 millions d’euros par saison pour diffuser la Ligue des champions en Italie et 373 millions d’euros par an pour la diffusion en TNT payante des matchs des huit meilleurs clubs de la Ligue 1 italienne pour la période 2015-2018. Ces surenchères sur les droits sportifs, qui ont pénalisé en Espagne la chaîne Canal+, ont le même effet en Italie, le groupe Mediaset ayant annoncé en 2013 une perte de 428,4 millions d’euros, liée notamment à la baisse de ses revenus publicitaires et à l’envolée du coût des programmes. De ce point de vue, Mediaset n’était pas en mesure de faire une offre à Prisa pour ses 56 % dans DTS, ce que, en revanche, Telefonica a fait, moyennant 725 millions d’euros, en mai 2014.
Pour l’opérateur espagnol de télécommunications, le rachat des 56 % du capital de DTS, auxquels s’ajoutent les 22 % qu’il y détenait depuis 2010, lui permet de prendre le contrôle de la première plate-forme de télévision payante en Espagne et de renforcer ainsi l’attrait de ses offres quadruple play avec des programmes qu’il contrôle. A vrai dire, Telefonica avait tenté, sans véritable succès, de créer déjà des synergies entre offre payante de télévision et abonnement à internet, l’opérateur contrôlant Movistar Television, la troisième plate-forme de télévision payante du pays. Sauf que la concurrence a pris un tour nouveau, en mars 2014, avec le rachat du câblo-opérateur ONO par Vodafone (voir REM n°30-31, p. 65) : celui-ci, éditeur de la deuxième offre payante de télévision payante du pays, simplement baptisée ONO, dispose désormais du soutien du géant anglais du mobile. Avec DTS, Telefonica sécurise donc sa stratégie face à ONO et devient le leader de la télévision payante en Espagne avec près de 80 % de parts de marché en cumulant les abonnés de DTS et Movistar. En juin 2014, Telefonica a proposé 295 millions d’euros à Mediaset pour lui racheter les 22 % dans DTS qu’il ne possédait pas encore, une offre qui a dû être finalement portée à 365 millions d’euros (295 millions d’euros et 70 millions d’euros de part variable en fonction des performances futures) le 4 juillet 2014 pour que Mediaset accepte de céder sa participation. Autant dire qu’avec 100 % de DTS, Telefonica verrouille le marché de la télévision payante espagnole, qui dépendait encore il y a cinq ans du groupe Prisa, un géant des médias, et non un groupe de télécommunications. Telefonica, présent au capital de Telecom Italia, pourrait bien se développer également dans la télévision payante en Italie, le groupe Mediaset cherchant un partenaire dans Mediaset Premium pour résister à l’offensive européenne de Sky.
En Espagne, la télévision en clair reste aux mains des médias et ne fait pas l’objet des attentions des opérateurs de télécommunications. A vrai dire, le secteur est exsangue depuis que la crise a fait s’effondrer le marché publicitaire pour les chaînes privées d’une part, et les revenus des taxes pour l’audiovisuel public d’autre part. Ainsi, la RTVE, qui compte cinq chaînes de télévision et six stations de radio, s’est vu verser par l’Etat une aide exceptionnelle de 130 millions d’euros début juillet 2014 pour faire face à ses pertes, 716 millions d’euros depuis 2007 et le début de la crise. Certes, les pertes de l’audiovisuel public espagnol sont liées en partie à la dépréciation de son patrimoine immobilier, victime de l’explosion de la bulle immobilière. Mais l’audiovisuel public affiche quand même une perte d’exploitation de 100 millions d’euros par an depuis que la publicité y est totalement interdite, c’est-à-dire depuis 2010. Et cette perte n’est pas compensée par l’Etat qui, comme en France, baisse sa contribution directe. Enfin, les taxes devant financer la RTVE, 0,9 % sur les revenus des opérateurs de télécommunications, de 1,5 % à 3 % des revenus des chaînes privées, ont un rendement inférieur aux attentes, les marchés télécoms et publicitaires étant en repli en Espagne. Sans surprise, la RTVE a donc annoncé un nouveau plan de réduction de ses coûts, qui passera par la suppression d’une chaîne de télévision, Teledeporte, dédiée au sport, laquelle sera fusionnée avec TVE2. Sur le marché des chaînes privées, c’est une décision de justice qui va peut-être apporter une solution à la rareté du financement publicitaire. En effet, neuf licences de TNT ont été annulées en avril 2014, soit 6,7 % de l’audience, parce que les conditions de leur attribution en 2010, sans appel d’offres, ont été jugées illégales. La TNT espagnole est ainsi passée de 24 à 15 chaînes.
Sources :
- « Prisa va céder des actifs audiovisuels pour alléger sa dette », Fabienne Schmitt et Alexandre Counis, Les Echos, 21 juin 2013.
- « Telefonica place ses pions dans la TV payante », Gaëlle Lucas, Les Echos, 9 mai 2014.
- « Mediaset et Sky se déchirent pour les droits du foot italien », Pierre de Gasquet, Les Echos, 24 juin 2014.
- « Droits du foot italien : le “Yalta” Mediaset-Sky fait des vagues », Pierre de Gasquet, Les Echos, 30 juin 2014.
- « L’Espagne tente de sauver sa radio-télévision publique en perdition », Gaëlle Lucas, Les Echos, 4 juillet 2014. - « TV à péage : Mediaset négocie avec Telefonica et AlJazeera sur Premium », Pierre de Gasquet, Les Echos, 7 juillet 2014.