Media for equity

Media for equity : Expression anglo-saxonne désignant un mode de financement alternatif pour start-up. Cette nouvelle technique de capital-investissement proposée aux « jeunes pousses » consiste à échanger une prise de participation au capital contre des espaces publicitaires. Pratiqué en France depuis 2013, le media for equity fait encore peu d’adeptes. En Suède – avec Aggregate Media Funds, le plus important fonds indépendant de media for equity au monde – et en Allemagne également, les médias y ont recours depuis 2002.

Ce nouveau concept de financement des start-up intéresse les groupes de médias qui peuvent ainsi investir à moindre risque dans des activités high-tech prometteuses. Pour l’équivalent de quelques centaines (ou quelques dizaines seulement) de milliers d’euros en volumes publicitaires, leur prise de participation se limite généralement à 10 %. C’est aussi un moyen de commercialiser les espaces publicitaires invendus auprès de nouveaux clients qui n’ont pas les moyens de s’offrir une campagne publicitaire au prix fort. Pour les start-up dont l’activité vise le grand public, l’avantage réside dans le fait de bénéficier de la notoriété d’un groupe média pour se faire connaître et de se démarquer de la concurrence lors de leur phase de lancement. Parmi les fonds d’investissement particulièrement actifs dans le domaine du media for equity en France, on trouve deux pionniers lancés en 2012 : 5M Ventures, premier fonds spécialisé indépendant, créé par Christophe Montague et Steeve Louzoun, suivi quelques mois plus tard par L’Express Ventures appartenant au groupe de presse Express-Roularta. En leur apportant des espaces publicitaires en provenance de ses partenaires médias 20 Minutes et Clear Channel, 5M Ventures soutient trois start-up : Youboox (le « Spotify du livre »), première plate-forme communautaire de location de livres ; Jobaroundme, application avec géolocalisation consacrée aux offres d’emploi, et E-loue, site de location de biens entre particuliers. En juillet 2014, 5M Ventures a annoncé une levée de fonds de 500 000 euros et un investissement équivalent à 30 millions d’euros pour les quatre prochaines années. L’Express Ventures, quant à lui, participe au financement de Kitchen Trotter, site de livraison à domicile de cuisine du monde ; d’ImmoInverse, site d’annonces de recherche dans l’immobilier et de Morning Croissant, site de location meublée entre particuliers. Ces fonds, qui reçoivent des centaines de dossiers par an, n’ont pas vocation à devenir dirigeants opérationnels et investissent à échéance de deux à cinq ans.

Des groupes audiovisuels se convertissent également à cette nouvelle forme d’économie alternative, permettant aux start-up de bénéficier de l’impact important de la télévision pour promouvoir leur savoir-faire. Déjà partenaire en 2010 de la start-up Monalbumphoto.fr, dont le chiffre d’affaires est en forte progression, le groupe M6 annonce en mai 2014 avoir signé un partenariat avec FamiHero, site de mise en relation pour des services à la personne, soutenu par Jaïna Capital, fonds d’investissement lancé par Marc Simoncini. FamiHero peut ainsi accroître sa visibilité sur les chaînes et les sites web du groupe M6. TF1 mise aussi sur cet axe de diversification en se lançant, en mai 2014, dans le media for equity avec le site de location d’appartements entre particuliers baptisé Sejourning, qui compte ainsi développer sa communauté d’utilisateurs.

Récemment acquéreur de huit magazines du groupe Lagardère Active (voir REM n°30-31, p.29), le groupe de presse Reworld Media a annoncé, en septembre 2014, la création de Reworld Media Ventures, un fonds d’investissement « media & cash for equity ». Divisé à part égale en espaces publicitaires et en numéraire, un montant de 20 millions d’euros est destiné à financer, dans les trois ans à venir, des start-up dans les domaines de la mode, la beauté, la cuisine et l’art de vivre, correspondant aux familles de titres du groupe de presse. Des enveloppes allant de 100 000 à 500 000 euros seront proposées aux start-up, ainsi qu’une aide opérationnelle (formations, conférences, conseils personnalisés, espace de travail…). Le groupe de presse gérera lui-même le troc des espaces publicitaires sur l’ensemble de ses supports (imprimés et numériques, médias et hors média), l’investissement « cash » devant être assuré par ses partenaires financiers.

Si les fonds spécialisés sont très sollicités par les jeunes entreprises (vingt à trente dossiers adressés par semaine à 5M Ventures), les sommes consacrées au media for equity ne dépassent pas les 10 millions d’euros dans l’Hexagone en 2014. Le secteur est plus développé en Allemagne, où 300 millions d’euros sont investis chaque année. Le groupe audiovisuel ProSiebenSat.1 Media est l’un des plus engagés dans cette nouvelle forme de financement. En 2011, il a lancé SevenVentures, fonds qui a notamment contribué au succès du site de vente de chaussures Zalando lancé en 2008, devenu le premier distributeur européen en ligne de prêt-à-porter et dont l’introduction sur le marché boursier est prévue pour l’automne 2014. Fort de son succès, ProSiebenSat.1 Media a fortement développé ses opérations de media for equity, assorties de prises de participation majoritaire dans une logique d’acquisition. D’autres grands médias allemands pratiquent l’échange « médias contre capital ». Aux côtés de la chaîne d’information N24, du groupe de radio Regiocast, de la société d’affichage publicitaire Wall AG (JCDecaux), RTL Group (filiale de Bertelsmann) est partenaire depuis juin 2013 de la société spécialisée en media for equity, German Media Pool (GMPVC), tandis que le groupe Springer est devenu, par ce biais, actionnaire de la plate-forme de location entre particuliers Airbnb. Pour les médias traditionnels, le media for equity ne répond pas seulement à la nécessité de commercialiser des espaces publicitaires ou de trouver de futurs annonceurs. C’est aussi une opération stratégique d’acquisition de capital sans risque, puisque sans apport en numéraire. Les quelques exemples de réussite foudroyante de la net-économie – l’application Summly créée par l’adolescent Nick D’Aloisio et vendue 30 millions de dollars à Yahoo! ou la messagerie instantanée WhatsApp lancée en 2009, rachetée 19 milliards de dollars par Facebook en 2014 – ne font pas seulement rêver les jeunes entrepreneurs du Net. Ils alertent également les dirigeants des « vieux » médias sur la nécessité de nouveaux axes de croissance pour préparer leur avenir numérique. La cyberéconomie ayant notamment relancé le troc, le marché encore balbutiant du media for equity devrait se développer, quitte à affiner ses règles de fonctionnement, notamment en imposant que les fonds d’investissement spécialisés soient indépendants des médias afin d’éviter tout conflit d’intérêts.

Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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