Bruxelles : comment mesurer le pluralisme des médias ?

Conçu en 2007, l’observatoire Media Pluralism Monitor a été lancé en 2009 pour mesurer les risques potentiels d’atteinte au pluralisme des médias en Europe. En janvier 2015, un premier rapport présente les résultats obtenus pour neuf pays.

Sollicité dès septembre 2013 par la Commission européenne, le Centre for Media Pluralism and Media Freedom (CMPF) a rendu publics, le 22 janvier 2015, les résultats du Media Pluralism Monitor pour l’année 2014, outil permettant de mesurer et de comparer les risques d’atteinte au pluralisme des médias dans neuf Etats membres de l’Union européenne, la Belgique, la Bulgarie, le Danemark, l’Estonie, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Italie et le Royaume-Uni. 

Le MPM identifie trois types de risques – légaux, économiques et sociopolitiques – d’atteinte au pluralisme en s’appuyant sur 34 indicateurs couvrant six domaines : basique, culturel, géographique, propriété des médias, politique, type de média et genre. Cet instrument est censé mesurer par exemple, l’insuffisance de la représentation de la diversité culturelle dans les médias, qu’elle soit nationale ou européenne, l’insuffisance des productions indépendantes, la concentration de la propriété des médias, ou encore, l’insuffisance de l’activité citoyenne et politique dans les médias en ligne.

L’étude révèle que le pays présentant le plus grand risque de porter atteinte au pluralisme des médias est la Hongrie, avec 50 % des indicateurs qui montrent un risque élevé d’atteinte au pluralisme dans les médias. Suit la Grèce avec 44 % des indicateurs montrant un risque élevé, puis l’Estonie avec 35 %, la Bulgarie avec 32 %, l’Italie avec 30 %, la Belgique avec 23 %, le Danemark avec 20 %, le Royaume-Uni avec 18 %, puis enfin la France avec 15 % des indicateurs qui indiquent un risque élevé d’atteinte au pluralisme des médias.

Les risques légaux et socioculturels

A l’instar du Danemark, de l’Estonie et du Royaume-Uni, les indicateurs montrant un risque élevé à propos des garanties réglementaires d’accès au temps d’antenne par les différents groupes sociaux et culturels, et des garanties réglementaires pour les médias minoritaires et communautaires, la France présente un risque élevé d’atteinte au pluralisme. En l’occurrence, l’étude analyse que le « modèle républicain » interdisant de reconnaître, d’un point de vue juridique, les origines ethniques, les minorités nationales et les autres communautés, il n’existe aucune garantie particulière vis-à-vis de ces groupes en France. L’étude ajoute qu’il serait peut-être judicieux d’introduire dans le prochain MPM de nouvelles mesures permettant d’examiner le risque réel pour le pluralisme relatif à ces groupes minoritaires, dans le respect des principes posés par le modèle républicain français.

Le MPM s’attache également à révéler les inégalités tenant à la représentation des communautés régionales et locales dans les médias. Parmi les indicateurs utilisés, celui des garanties politiques et réglementaires dans les médias régionaux et locaux montre que la Bulgarie, le Danemark, l’Estonie et la Grèce sont les pays qui présentent un risque élevé d’atteinte au pluralisme. L’indicateur des mesures de protection pour les informations locales sur les médias de service public révèle que la Belgique, la Grèce, la Hongrie et le Royaume-Uni sont les pays qui présentent le risque le plus élevé, alors que l’indicateur pour mesurer la couverture universelle des médias désigne la Grèce comme étant le seul pays à présenter un risque élevé d’atteinte au pluralisme.

Concernant la situation des journalistes, le rapport pointe l’absence de conseil de presse en France, à l’inverse de la Belgique et de l’Allemagne par exemple.

Les risques économiques

Dans le domaine économique, tous les pays d’Europe présentent un risque élevé de concentration de la propriété des médias. L’indicateur de concentration des audiences présente également un risque élevé dans tous les pays étudiés, sauf en Estonie et en Grèce. Quant à la transparence de la propriété des médias, seul le Danemark présente un indicateur élevé.

L’examen des particularités des paysages médiatiques montre également qu’il n’existe pas en France, l’équivalent d’une grande entreprise comme News Corp. en Angleterre, Bertelsmann en Allemagne ou Mediaset en Italie. De plus, les entreprises françaises de médias ne sont pas des entreprises exclusivement axées sur des activités liées aux médias, contrairement à d’autres pays européens comme le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie, et les conglomérats industriels (Dassault, Bouygues) qui les détiennent répondent souvent à des appels d’offres pour des contrats publics, ce qui fait régulièrement l’objet de critiques tenant à d’éventuels conflits d’intérêts.

Les risques politiques

Le rapport s’intéresse en outre à l’ingérence politique sur le marché des médias et son fonctionnement, à travers différents indicateurs, comme celui de la mise en œuvre de garanties réglementaires d’accès équitable, équilibré et impartial à l’information politique et à propos duquel la Bulgarie, la Grèce et la Hongrie présentent un risque élevé d’atteinte au pluralisme. Le Danemark, la Grèce, la Hongrie et l’Italie sont les pays où la représentation des différents courants politiques dans les médias présente un risque élevé d’atteinte au pluralisme.

 

Mesurer le pluralisme des médias dans l’Union européenne : un projet de longue haleine

Depuis le milieu des années 1990, le pluralisme des médias fait l’objet de toutes les attentions de la part du Conseil de l’Europe et de la Cour européenne des droits de l’homme : sans pluralisme des médias, pas de liberté d’expression. Mais la Commission européenne rejetait constamment les appels du Parlement européen au motif que la protection du pluralisme et la concentration des médias devaient être des sujets laissés entièrement à l’autorité souveraine de chaque Etat membre.

La Conférence audiovisuelle de Liverpool, tenue en juillet 2005 dans le cadre du débat sur la réforme de la directive Télévision sans frontières, avait cependant inscrit à son agenda plusieurs documents thématiques dont celui du pluralisme dans les médias. Le rapport final du groupe de travail avait alors conclu que la notion de pluralisme dans les médias devait avoir une définition commune à l’ensemble des pays européens, ce qui n’était pas le cas, et qu’il convenait de mettre en place une véritable valeur ajoutée aux instruments qui existaient déjà, la principale crainte de la Commission étant de réguler, voire d’affaiblir, un secteur où la concurrence mondiale est particulièrement féroce.

C’est ainsi qu’en 2007, en réponse à la pression croissante du Parlement européen pour répondre aux craintes de la concentration des médias et de ses effets sur le pluralisme et la liberté d’expression, la Commission européenne a lancé une « approche en trois étapes » pour faire progresser le débat.

 La première étape aboutit en janvier 2007 à la rédaction d’un premier document de travail interne portant sur « le pluralisme des médias au sein des membres de l’Union européenne », et qui arriva à la conclusion que la seule action requise au niveau européen était de mener une étude indépendante dont l’objet serait de mettre en place les indicateurs nécessaires à la mesure du pluralisme des médias dans les Etats membres.

Puis, seconde étape, une étude fut réalisée en 2009 par un groupe d’experts rassemblant l’Université catholique de Louvain (Belgique), la Central European University (Hongrie) et la Jönköping International Business School (Suède), accompagnés par Ernst & Young en Belgique, ainsi que par différents partenaires qui tenaient lieu, au sein de plusieurs Etats membres, de « correspondants nationaux » comme le Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF) en France.

L’objectif de l’étude était de « développer un outil de suivi pour évaluer les risques et les menaces pour le pluralisme des médias au sein des États membres, fondé sur un ensemble d’indicateurs portant sur les trois domaines juridique, économique et socioculturel ». Ainsi naquit le prototype d’un Observatoire du pluralisme des médias (Media Pluralism Monitor – MPM), présenté comme « un outil holistique, convivial et évolutif d’évaluation du risque ». Les raisons de cette approche globale étaient de s’appuyer autant sur des indicateurs quantitatifs, que sur des indicateurs qualitatifs et des analyses. Le MPM2009 (Media Pluralism Monitor) met alors en place 166 indicateurs permettant d’identifier 43 risques spécifiques, tout en précisant bien que ces indicateurs sont avant tout un outil de diagnostic et non un outil prescriptif, et qu’ils ne pourraient être vus comme « un appel à l’harmonisation des politiques dans ce domaine ».

En septembre 2013, la Commission européenne confia au CMPF (Centre for Media Pluralism and Media Freedom) la mission de simplifier les indicateurs utilisés dans le MPM de 2009 (passés de 166 à 34), afin de prendre en compte l’importance grandissante de l’internet et de piloter la mise en place du MPM au sein des neuf pays de l’Union européenne.

La troisième étape, qui devait être une communication de la Commission européenne sur les indicateurs du pluralisme des médias dans l’Union européenne et une consultation publique a finalement été abandonnée.

 
Sources :

  • « Independent Study on Indicators for Media Pluralism in the Member States – Towards a Risk-Based Approach », K.U.Leuven – ICRI (lead contractor), Jönköping International Business School – MMTC, Central European University – CMCS,
Ernst & Young Consultancy Belgium, final report, July 2009.
  • « A european risk barometer for media pluralism : why assess damage when you can map risk? », Peggy Valcke, Journal of information policy 1, p. 185-216, 2011.
  • « Monitoring Media Pluralism in Europe – Testing and Implementation of the Media Pluralism Monitor 2014 », Centre for Media Pluralism and Media Freedom, Elda Brogi, Alina Dobreva, Andrea Calderaro, Pier Luigi Parcu, Policy Report, December 2014.
  • « Europe needs more media pluralism », European Federation Journalism, http://europeanjournalists.org/, 25 January 2015.
Docteur en sciences de l’information et de la communication, enseignant à l’Université Paris-Panthéon-Assas, responsable des opérations chez Blockchain for Good

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