Quelques minutes seulement suffisent pour imprimer un ouvrage d’environ 200 pages avec les nouvelles machines d’impression à la demande. Les éditeurs misent sur cette technologie pour assurer une meilleure gestion de leur stock, tandis que les libraires sont amenés à proposer de nouveaux services à leurs clients.
Au 35e Salon du livre de Paris qui s’est tenu en mars 2015, deux maisons d’édition ont installé une machine à imprimer des livres à la demande (LAD). La Martinière a présenté, avec la société Orséry, une solution d’impression de livres en librairie, fabriquée par le japonais Ricoh, leader mondial des photocopieurs. Les Presses universitaires de France (PUF) ont choisi l’Espresso Book Machine (EBM), terminal d’impression de livres à la demande d’origine américaine. Les brevets pour le marché européen sont détenus par Ireneo, programme de recherche et développement (R&D) lancé en 2014 par les professionnels de l’imprimerie en France, soucieux d’engager une réflexion sur l’avenir du livre avec l’ensemble des acteurs du secteur, les auteurs, les éditeurs, les libraires et les imprimeurs. Sécurisée pour la gestion des droits d’auteur, l’Espresso Book Machine permet, à partir de fichiers au format pdf, de produire un livre en noir et blanc ou en quadrichromie, de 40 à 800 pages, d’un format de 11×18 cm à 20×28 cm, avec un papier standard 90 g (255 g pour la couverture), dans un délai de sept minutes pour environ 200 pages, à la livraison immédiate. La taille des caractères peut être choisie et la page de garde personnalisée avec une dédicace manuscrite. Le prix de vente reste inchangé.
Pour le compte de l’Institut de développement et d’expertise du plurimédia (IDEP), centre de ressources au service des professionnels de la filière Communication graphique, le programme Ireneo est piloté par Hubert Pédurand, de l’Institut de développement industriel pour la communication graphique (IDICG), bureau d’étude et d’ingénierie de l’Union nationale de l’imprimerie et de la communication (Unic). Laboratoire de fabrication (FabLab), Ireneo invente l’avenir du livre, avec l’Espresso Book Machine, au sein de six centres de formation en France (Paris, Lille, Illkirch, Lyon, L’Isle d’Espagnac et Tours), interconnectés entre eux. L’enjeu est de taille pour les imprimeurs, pour lesquels l’avenir du livre passe par sa « rematérialisation », tout en profitant des potentialités offertes par les technologies numériques afin de jeter une passerelle entre le papier et le web, entre le matériel et l’immatériel.
Avec quelque 30 000 titres pilonnés chaque année en France, la technique d’impression à la demande est une réponse aux traditionnels problèmes des éditeurs, tels que la rupture de stock pour les livres à succès et l’indisponibilité des livres épuisés. Près de 25 000 titres du catalogue des Presses Universitaires de France (PUF) ne sont plus commercialisés. Chaque année, 250 à 300 ouvrages, sur les 4 000 titres actifs, sont abandonnés. La technique de l’impression à la demande permettrait d’organiser une nouvelle gestion des stocks pour les livres vendus aujourd’hui à moins de cent exemplaires par an. Rachetées par le groupe de réassurance Scor en janvier 2014, les PUF commenceront, à l’été 2015, la réimpression à la demande. « C’est la revanche du livre papier sur le livre numérique », résume Frédéric Mériot, directeur général des PUF. L’éditeur table sur une vingtaine d’exemplaires ainsi fabriqués et vendus par titre et par an. Pour être rentable, ce nouveau mode de commercialisation est limité aux livres imprimés en noir et blanc. Quelques centaines de titres seraient concernés la première année, puis 1 500 de plus chaque année, en fonction du succès. « Avec l’impression à la demande immédiate, les économies d’échelle vont disparaître, explique Denis Kessler, PDG de Scor. Nous allons être la main invisible qui va ajuster le marché ».
Grâce au Registre des livres indisponibles en réédition électronique (ReLIRE), géré par la BnF en application de la loi du 1er mars 2012 (voir La REM n°22-23, p.4), les PUF vont également pouvoir redonner vie aux livres indisponibles du XXe siècle, jusqu’ici perdus dans l’impressionnant fonds de la maison d’édition créée en 1921.
Enfin, du côté des libraires, l’impression à la demande constitue l’opportunité de répondre sur-le-champ au désir des clients, invités à patienter en leur offrant un café, mais aussi de proposer de nouveaux services, notamment l’auto-édition, de participer à la mise en œuvre d’« un YouTube des écrivains » selon Hubert Pédurand, qui annonce par ailleurs le projet de publication de l’encyclopédie Wikipédia en format de poche. L’auto-édition est une activité en pleine croissance : principal acteur de ce nouveau marché, Edilivre représente aujourd’hui plus de 10 000 auteurs.
Quant au mode de financement de ces machines « intelligentes » à 100 000 euros, Christian Vié, président d’Orséry, propose de reverser aux libraires une commission de 30 % du prix de vente du livre imprimé sur place (contre environ 36 % de marge habituelle), tandis qu’Hubert Pédurant croit à l’intérêt de créer un GIE. Ensuite, il restera à résoudre le problème de la place à trouver (6 à 8 m2 au sol) pour installer la machine dans les librairies.
Selon Hervé de la Martinière, l’impression à la demande est « non pas une panacée, mais une mutation intéressante qui permet aussi de concurrencer Amazon », sachant que le géant américain du commerce en ligne occupe déjà ce créneau en Europe avec CreateSpace, lancé en 2012. Pour atteindre cet objectif, il faudra convaincre les éditeurs de rassembler leurs fichiers au sein d’une offre commune. Depuis 2010, Hachette Livre, premier éditeur français, a lancé sa propre plate-forme d’impression à la demande, en partenariat avec le distributeur américain Ingram. Enregistrant une baisse de 1,4 % en 2014, le nombre de livres vendus en France diminue pour la troisième année consécutive.
Sources :
- RINEO, Institut de développement et d’expertise du plurimédia (IDEP), www.com-idep.fr
- « A découvrir, le Fablab Ireneo ou le livre imprimé de demain », Rodolphe Pailliez, www.industrie.com, 7 mars 2014.
- « Le livre à l’heure de l’impression express », Alain Beuve-Méry, Le Monde, 20 mars 2015.
- « Face à Amazon, l’arme de l’impression à la demande », Sandrine Cassini, Les Echos, 20-21 mars 2015.
- « Pourquoi les PUF s’engouffrent dans la brèche », Alexandre Counis, Les Echos, 20-21 mars 2015.