Microsoft fait sa révolution stratégique

En passant de Windows 8 à Windows 10, Microsoft annonce une révolution dans sa manière de concevoir ses métiers. Son système d’exploitation et ses logiciels bureautiques doivent d’abord rencontrer le succès auprès des utilisateurs, quitte à être gratuits, pour permettre au groupe de prendre enfin pied sur le marché du mobile.

Les chiffres sont sans appel. En 2013, Windows représentait 38 % du résultat de Microsoft. Le système d’exploitation de Microsoft équipe encore 1,5 milliard de PC dans le monde. Mais les utilisateurs se connectant de plus en plus depuis des terminaux connectés, le multi-équipement s’impose. Tous terminaux confondus, Windows ne détient plus dès lors qu’une part de marché de 13 % en 2014 selon l’institut Gartner, contre 48 % pour Android de Google et 11 % pour l’iOS d’Apple. Autant dire que Microsoft a dû revoir de fond en comble sa stratégie, ce qui s’est traduit par un changement à la tête du groupe, Steve Balmer ayant abandonné son poste de directeur général au profit de Satya Nadella en février 2014.

En un peu plus d’un an, Satya Nadella a redéfini les priorités de son groupe. Présenté comme « une entreprise de terminaux et de services » par Steve Balmer (voir La REM n°26-27, p.41), comme peut l’être Apple avec son écosystème alliant hardware et software, Microsoft n’a plus aujourd’hui pour ambition d’être un acteur intégré, capable de s’imposer sur le marché avec ses propres terminaux et ses logiciels dédiés. C’était tout le pari de Steve Balmer, initié avec Windows 8 et son interface révolutionnaire, et complété ensuite par le rachat de Nokia en septembre 2013 (voir La REM n°28, p.45) : proposer un écosystème performant capable de s’imposer à terme face à Apple et Google.

Pour Satya Nadella, l’ouverture est au contraire nécessaire si le groupe veut conserver un lien privilégié avec les consommateurs, qui utilisent désormais de multiples OS, applications, services. Dès lors, les priorités de Microsoft ne sauraient être la défense à tout prix des actifs historiques, l’OS pour PC et la suite bureautique Office, mais au contraire le mobile et le cloud, à charge pour Windows et Office de contribuer au succès de Microsoft dans ce nouvel environnement. Microsoft cherche donc désormais à renouer le contact avec des consommateurs utilisant des terminaux et des OS contrôlés par la concurrence, tout en espérant amener les utilisateurs de ses services à souscrire, dans un second temps, des abonnements à certains de ses services en ligne (activités cloud pour le grand public, location de licences Office).

Cette rupture stratégique s’est opérée en deux temps. Le premier a consisté à proposer les logiciels historiques de Microsoft, donc aussi leurs codes, dans des univers non contrôlés par l’éditeur. Le second concerne les plates-formes avec l’arrivée annoncée de Windows 10, dont la principale mission est certes de garantir à Microsoft sa part de marché au sein des entreprises, mais aussi de convertir le grand public à un univers d’applications Microsoft susceptible de positionner le groupe comme acteur incontournable de l’internet mobile, même avec une très faible part de marché pour Windows Mobile.

Avec le lancement d’Office 365 (Office 2013 pour les versions vendues en CD), Microsoft avait inauguré sa stratégie d’ouverture sur les nouveaux usages du web en proposant pour la première fois une suite bureautique multi-écran, avec recours au cloudcomputing. Il avait modifié en conséquence son modèle économique, passant de la vente de logiciels à l’abonnement (Saas – Software as a Service). Mais cela n’a pas suffi pour imposer Microsoft dans les univers mobiles, Office 365 étant d’abord conçu pour fonctionner dans un environnement Windows. La vraie rupture a donc été de ne plus lier systématiquement Office et Windows et de faire d’Office une application gratuite, au moins pour sa version de base, utilisable par le plus grand nombre, y compris par les détenteurs de terminaux fonctionnant sous Android ou l’iOS d’Apple. En 2013, Office a d’abord été décliné pour iPhone et iPad avec l’idée que les utilisateurs de produits Apple pourraient aussi plébisciter des applications Microsoft, puis la version de based’Office a été offerte gratuitement à partir de mars 2014, suscitant un véritable engouement : début novembre 2014, soit dix mois plus tard, 40 millions d’applications Office avaient été téléchargées. Le 6 novembre 2014, Office a également été distribué sous forme d’application téléchargeable dans un univers Android. A chaque fois, lire, créer et éditer un document sont des fonctions gratuites, seul le stockage en ligne et des fonctions avancées étant payants. Microsoft s’assure ainsi qu’une majorité d’internautes dans le monde continuera d’utiliser ses logiciels de traitement de texte et ses tableurs, cette prescription mondiale devant au moins lui assurer le marché des entreprises qui ne manqueront pas de rester fidèle à Office. D’ailleurs, Office n’est pas gratuit pour PC, en tout cas jusqu’à l’arrivée de Windows 10.

La même logique d’ouverture aux environnements diversifiés sur internet se retrouve avec l’arrivée annoncée d’un nouveau système d’exploitation, Windows 10, dont la sortie est prévue pour l’été 2015 (190 pays, 111 langues). Windows 10 reprend la rupture ergonomique inaugurée avec Windows 8 (les carrés d’icônes) tout en corrigeant les défauts de cette rupture parfois trop importante pour les anciens utilisateurs de Windows : le menu « Démarrer » refait son apparition. Plus fondamentalement, Windows 10 finalise l’intégration amorcée par Windows 8 entre les différents écrans et terminaux du foyer : l’OS de Microsoft est pensé d’emblée pour être décliné sur tout type d’appareil, PC, smartphone, tablette, mais aussi Xbox, téléviseur ou objet connecté, ce qui évitera de multiplier les versions d’un même OS, comme c’est le cas par exemple chez Google ou Apple. Enfin, la rupture propre à Windows 10 (Microsoft passe de Windows 8 à 10 sans version intermédiaire numéro 9) se caractérise surtout par la stratégie commerciale : Windows 10 sera le plus souvent gratuit puisque la mise à jour d’un PC sera offerte pendant un an aux détenteurs des OS Windows 7 et Windows 8. Pour les smartphones et les tablettes dont l’écran est inférieur à 9 pouces, Windows est par ailleurs mis gratuitement à disposition des constructeurs depuis avril 2014, un moyen pour Microsoft d’être plus compétitif qu’Android, lui aussi gratuit mais souvent assujetti au paiement de royalties à Microsoft (voir La REM n°25, p.62) ! Autant dire que Windows 10 a pour ambition d’être très rapidement banalisé, donc de s’imposer, la rentabilité venant ensuite quand certains des utilisateurs, et surtout les entreprises, prendront des abonnements aux services premium proposés par le groupe. Cette banalisation espérée doit faire de Windows 10 le cheval de Troie de Microsoft dans l’univers mobile via les applications qu’il va intégrer de manière universelle  : Office en version de base sera gratuit y compris sur PC, écartant pour les utilisateurs l’idée d’aller s’habituer à d’autres logiciels bureautiques en ligne ; Internet Explorer, en perte de vitesse face à la concurrence de Chrome et Firefox, sera remplacé par un nouveau navigateur plus intuitif, Spartan ; les multiples services de cartographie de Microsoft seront fédérés en un seul, Bing Maps ; enfin la messagerie de Microsoft est déjà unifiée dans une version gratuite d’Outlook.com. Parallèlement à la mise à disposition accrue de ses logiciels historiques, Microsoft déploie également une politique de rachat d’applications plébiscitées par les utilisateurs afin de les fidéliser. Microsoft a notamment racheté début 2015 l’application d’agenda synchronisé Sunrise, un rachat estimé à 100 millions de dollars, après avoir racheté fin 2014 l’application d’agenda Accompli pour 200 millions de dollars, depuis fusionnée avec Outlook.

 Sources :

  • « Microsoft parachève la révolution Office », Julien Dupont-Calbo, Les Echos, 7 novembre 2014.
  • « Windows 10, le nouveau pari de Microsoft », E.B., B.F., Le Figaro, 22 janvier 2015.
  • « Windows 10, l’arme anti-Apple et Google de Microsoft », Sandrine Cassini, Les Echos, 22 janvier 2015.
  • « Comment Microsoft espère se rattraper dans le mobile grâce à Windows 10 », Sandrine Cassini, Les Echos, 23 janvier 2015.
  • « En un an, Satya Nadella a brisé bien des tabous chez Microsoft  », Sandrine Cassini, Les Echos, 5 février 2015.
  • « Microsoft veut s’imposer dans l’univers des applications mobiles », Lucie Ronfaut, Le Figaro, 6 février 2015.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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