En préparation depuis plus d’un an par les dirigeants des deux équipementiers, avec l’aval du gouvernement français, le rachat du fleuron du CAC 40 par le groupe finlandais, ex-numéro 1 mondial des téléphones portables, doit donner naissance à un champion européen des télécoms alors que la concurrence s’intensifie avec la transition vers la 5G (voir La REM n°30-31, p.23).
Après l’échec d’une première tentative de rapprochement en 2014, l’absorption, annoncée en avril 2015, de l’équipementier franco-américain Alcatel-Lucent par le finlandais Nokia devrait être effective le 1er semestre 2016. Les deux entités engendreront ensemble un chiffre d’affaires de l’ordre de 27 milliards d’euros pour la seule activité de construction de réseaux. A la suite d’une offre publique d’achat (0,55 action de Nokia pour une action d’Alcatel-Lucent), le groupe finlandais acquiert son concurrent pour près de 16 milliards d’euros. Avec un capital détenu pour les deux tiers par les actionnaires de Nokia et pour l’autre tiers par ceux d’Alcatel-Lucent, la nouvelle entité située en Finlande et dénommée Nokia, sera dirigée par les actuels patrons finlandais, tandis que les représentants d’Alcatel-Lucent disposeront d’un tiers des sièges au conseil d’administration, celui notamment de vice-président.
Concurrencé par le sud-coréen Samsung au début des années 2010, Nokia a finalement cédé en 2014 son activité de fabricant de smartphones et de tablettes, lourdement déficitaire, au géant Microsoft pour plus de 4 milliards d’euros (voir La REM n°28, p.42). Le groupe finlandais s’est recentré depuis sur la construction de réseaux de télécommunications, en particulier sur le développement des technologies LTE et 4G, ainsi que sur les systèmes de géolocalisation. En 2014, son bénéfice net était supérieur à un milliard d’euros, mais à la faveur d’une opération fiscale.
Quant à Alcatel-Lucent, né du rapprochement du français et de l’américain en 2006 et après de nombreuses restructurations, son activité était déficitaire. La mise en œuvre d’un plan stratégique baptisé « Shift 2013-2015 » a cependant permis au groupe d’enregistrer un résultat d’exploitation positif fin 2014, confirmé au premier trimestre 2015. Réalisant, notamment grâce à son principal client et compatriote Orange, seulement 5 % de son chiffre d’affaires en France, où résident 10 % de son effectif total, le groupe a prévu, en octobre 2013, 10 000 suppressions d’emplois – dont 600 en France – dans le cadre du plan Shift, soit un recentrage des objectifs autour des services internet, de l’informatique en nuage et du ultra haut débit.
Le nouveau Nokia ambitionne de réaliser 900 millions d’économies d’ici à 2019, ainsi qu’une diminution de 200 millions des frais financiers en 2017. La question de l’emploi était au cœur du rapprochement industriel supervisé par le gouvernement. L’acquéreur Nokia, qui compte déjà de son côté plus de 60 000 salariés, s’est engagé à maintenir les effectifs d’Alcatel-Lucent en France, soit 8 000 personnes, sur un total de 53 000 à l’échelle mondiale. Mais surtout, le groupe finlandais a mis dans la balance le recrutement de 500 chercheurs supplémentaires en France, soit une hausse de 25 % des activités de recherche et développement (R&D), principalement consacrées à la technologie 5G et à la cybersécurité, un argument de poids alors qu’Alcatel-Lucent ne parvenait plus depuis longtemps à embaucher de nouveaux chercheurs dans l’Hexagone. En outre, la politique mondiale du groupe en matière de R&D sera conduite depuis la France, Nokia souhaitant disposer d’importants centres de recherche notamment en Allemagne, aux Etats-Unis et en Chine. Deux autres engagements pris en contrepartie du rachat visent à soutenir l’innovation en France : une enveloppe annuelle de 20 millions d’euros consacrée à la recherche universitaire et à des plates-formes technologiques, ainsi qu’un fonds, doté de 100 millions d’euros, destiné à financer des start-up, principalement dans l’internet des objets.
Face à la contestation des actionnaires jugeant l’opération de rachat de l’équipementier historique français sous-évaluée, voire inopportune, son directeur général Michel Combes justifie le choix de cette option gouvernementale par la nécessité immédiate deprocéder à des investissements très importants pour faire face « au tsunami des données ». Et d’expliquer que « l’intelligence qui s’était déplacée vers les terminaux revient dans les réseaux. Il faut donc faire des investissements colossaux en recherche et développement. Répondre à cet enjeu industriel nécessite maintenant à la fois taille et consolidation financière », tout en précisant qu’il faudra que l’« ADN « start-up » » soit au cœur de la stratégie du nouveau géant. Pour réussir, le nouvel équipementier télécoms, détenu par Nokia, se mesurera aux deux principaux concurrents du secteur : le numéro 1 mondial, le suédois Ericsson et son challenger, le chinois Huawei.
Un mois après l’annonce de l’absorption d’Alcatel-Lucent, Nokia déclarait une baisse de 13 % de son résultat d’exploitation au premier trimestre 2015 par rapport à celui de 2014, tandis que celui d’Alcatel-Lucent grimpait de 49 % pendant la même période, une justification supplémentaire pour les décideurs favorables à la fusion, un contre-argument pour les autres…
Sources :
- « Nokia et Alcatel-Lucent, un rapprochement industriel suivi de très près en France », AFP, tv5monde.com, 15 avril 2015.
- « Nokia va absorber Alcatel-Lucent début 2016 », AFP, tv5monde.com, 15 avril 2015.
- « Alcatel-Lucent devra justifier son rachat par Nokia », Romain Gueugneau, Les Echos, 11 mai 2015.
- « Alcatel-Lucent, ou l’art de racheter un fleuron français », Romain Gueugneau, Les Echos, 29-30 mai 2015.
- « Michel Combes : « Face au tsunami des données, il faudra faire des investissements colossaux » », interview Renaud Belleville et Hugo Sedouramane, L’Opinion, 31 mai 2015.