Au Québec, La Presse oublie le papier

Annoncé en septembre 2015, le passage au tout-numérique, à partir du 1er janvier 2016, s’appliquera aux seules éditions de la semaine. Ainsi, La Presse, l’un des plus importants quotidiens au Québec, sera le premier au monde à appliquer cette dichotomie.

A la suite du lancement de La Presse+, édition gratuite exclusivement sur tablettes en 2013 (voir La REM n°26-27, p.36), l’entreprise québécoise éditrice du quotidien d’information La Presse envisageait déjà de réduire progressivement son tirage. Finalement, l’abandon de l’impression papier au profit d’une version numérique sera effectif au 1er janvier 2016 et concernera les seules éditions de la semaine, comptant 81 000 abonnés, celle du week-end, avec ses 120 000 abonnés, étant conservée. « Trente mois après son lancement, La Presse+ est plus performante que La Presse version papier, après cent trente et un ans d’existence », souligne Guy Crevier, président et éditeur du quotidien québécois. Aujourd’hui, le calcul est simple : selon lui, le maintien de la version imprimée correspond à une charge annuelle de 30 millions de dollars, sa suppression à une économie de 20 millions.
Allant à contre-courant de la stratégie payante mise en place par une grande majorité d’éditeurs de journaux, le choix audacieux d’une édition gratuite sur tablettes semble avoir porté ses fruits. Consultée par environ 500 000 tablonautes par semaine, La Presse+ compte 63 % de lecteurs âgés de 25 à 54 ans et représente 70 % des recettes publicitaires du groupe en 2015, contre 15 % pour le site web. Novateur, misant principalement sur l’interactivité pour les contenus publicitaires, l’éditeur impose d’ailleurs une grille tarifaire indépendante du nombre de clics. La Presse+ propose aussi, depuis novembre 2014, « Les instants Paris Match », une sélection dominicale de reportages et de photographies de l’hebdomadaire français.

La Presse+ a requis un investissement de 40 millions de dollars sur trois ans et a permis l’embauche de 200 personnes, programmeurs, designers et journalistes. L’abandon de la version imprimée du journal en semaine entraîne le licenciement de 158 employés, dont 43 journalistes. « La fin de l’édition papier en semaine et le changement de notre modèle d’affaires viennent inévitablement modifier nos besoins en main-d’œuvre », explique Guy Crevier, précisant toutefois que le journal aura toujours la plus importante rédaction à ce jour au Québec, et l’une des rares à augmenter ses effectifs, avec 283 personnes, contre 239 en 2011. La révolution numérique de La Presse est également passée par une restructuration du groupe Gesca auquel le journal appartient. Souhaitant se recentrer sur un seul titre, le groupe s’est séparé de six quotidiens régionauxLe Soleil, Le Droit, Le Nouvelliste, La Tribune, Le Quotidien et La Voix de l’Est – tous rachetés par Groupe Capitales Médias en mars 2015.

En rappelant qu’en Amérique du Nord, les recettes publicitaires des journaux ont chuté de 63 % entre 2006 et 2013, tandis que les recettes de vente ont perdu 22 %, Guy Crevier conclut : « Depuis maintenant plus d’une décennie, l’ensemble des indicateurs de l’industrie des journaux pointe vers une impasse qui affectera inévitablement la qualité des contenus offerts par les éditeurs qui n’auront pas mis en place une stratégie forte pour y faire face. » Un message bien compris par les éditeurs au Canada, où La Presse+ a fait des émules. Rares sont les quotidiens qui n’ont pas encore une édition spéciale pour tablettes, comme Globe and Mail. Outre les six quotidiens régionaux qui viennent de changer de propriétaire – dont Guy Crevier disait avant de les céder que le taux de pénétration des tablettes en province était insuffisant pour passer au numérique –, les titres du groupe Postmedia (Vancouver Sun, The Gazette, Ottawa Citizen) ou encore Le Devoir ont tous lancé une édition pour tablettes, sans abandonner pour autant, du moins pour l’heure, leur édition imprimée. En septembre 2015, Toronto Star, le plus grand quotidien du Canada, a lancé la sienne, baptisée Star Touch, à partir de la technologie commercialisée par La Presse+.

Sources :

  • « Le quotidien La Presse entièrement numérique, fin du papier », AFP, tv5monde.com, 17 septembre 2015. 
  • « Le papier, c’est (presque) fini pour « La Presse » », Anne Pélouas, Le Monde, 19 septembre 2015. 
  • « Au Québec, six journaux régionaux sur tablettes et mobiles », AFP, tv5monde.com, 16 octobre 2015.
  • « Le quotidien québécois « La Presse » supprime 158 emplois en abandonnant le papier », La Correspondance de la Presse25 septembre 2015.
Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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