Fab Lab et makers

Un Fabrication Laboratory (Fab Lab), atelier de fabrication numérique en français, est un lieu dédié à la conception et la fabrication de prototypes et d’objets, à partir des technologies numériques, au premier rang desquelles figure l’imprimante 3D. Ce concept est né au sein du Massachusetts Institute of Technology (MIT) de l’université américaine de Cambridge, à la fin des années 1990. Il a été utilisé pour la première fois en France à la fin des années 2000. Le laboratoire de fabrication est avant tout un lieu ouvert,accessible à tous – particuliers, entrepreneurs, start-uppers – permettant d’utiliser les outils numériques mis à disposition (fraiseuse numérique, découpeuse laser, imprimante 3D…). Il est également un espace d’échange et de partage de connaissances, d’expériences et d’idées. En outre, un Fab Lab peut assurer des formations, inventer des objets sur un mode collaboratif ou concevoir des produits pour des entreprises. Dans un esprit communautaire, un hackerspace ou hacklab est également un lieu consacré à la réalisation de projets.

Basé sur le travail collaboratif, le fonctionnement d’un Fab Lab s’organise autour d’une communauté de makers – hackeurs, bidouilleurs ou « fablabeurs » – pour désigner des passionnés de nouvelles technologies, désireux de fabriquer eux-mêmes, suivant le postulat de Neil Gershenfeld, professeur de physique au MIT et inventeur du concept de Fab Lab. Animés par la volonté d’innover, les makers croient au bénéfice de la pluridisciplinarité : se former en échangeant ses compétences avec d’autres.

Il existerait aujourd’hui près de 3 000 Fab Lab dans le monde. Environ 500 bénéficient du label MIT en respectant la charte éditée par la Fab Foundation, qui impose notamment l’ouverture au grand public. Avec 55 Fab Lab labellisés MIT, la France se classe au deuxième rang mondial dans cette catégorie. Baptisé Artilec, le premier Fab Lab français labellisé MIT a été lancé à Toulouse en 2009, à l’initiative de Nicolas Lassabe, docteur en informatique. Etudiants, ingénieurs, techniciens, architectes, biologistes sont membres de l’association qui compte plus de 870 adhérents. A travers une section professionnelle ouverte en octobre 2014, Artilec loue ses machines et propose ses services à une trentaine d’entreprises, ainsi qu’à une dizaine de start-up. Parmi les objets conçus ou produits au sein de ce Fab Lab figurent notamment un bracelet communicant pour les agents d’ERDF chargés de réparer les lignes, des gâteaux en trois dimensions pour la biscuiterie Poult ou encore un robot de binage pour les maraîchers élaboré par Naïo Technologies et une « phytotière » pour cultiver la spiruline conçue par Alg & You. Artilec s’apparente à « une auberge espagnole de l’entreprenariat », selon l’expression de son fondateur.

Afin de mieux valoriser leur travail, mais aussi pour canaliser les initiatives, 37 Fab Lab français ont choisi de se regrouper autour d’un seul label, lancé à l’occasion du Fab Lab Festival de Toulouse en mai 2015. C’est également une façon, pour ces acteurs associatifs, prônant l’ouverture et le partage, de faire face à la concurrence des groupes industriels, tels que Renault, Airbus, Bouygues ou Dassault Systèmes qui, en s’associant aux start-up les plus innovantes, mettent en place des ateliers privés. Financé par les entrepreneurs Xavier Niel, vice-président d’Iliad (Free) et Jacques-Antoine Granjon, PDG de vente-privée.com, l’atelier privé de prototypage Usine IO, disposant de 1 500 m2 (une surface dix fois plus grande que celle d’un Fab Lab associatif), a ouvert dans le 13e arrondissement de Paris en octobre 2014. Bpifrance (banque publique d’investissement), à travers le fonds French Tech Accélération et Prodways, le spécialiste français de l’impression 3D, ont fait partie du second tour de table bouclé en juin 2015. Cet espace dit de « coworking » propose aux inventeurs et aux entreprises, sur abonnement uniquement, des machines et des conseils pour concevoir, prototyper des objets et préparer leur industrialisation. En juillet 2015, l’enseigne de bricolage Leroy Merlin a signé, quant à elle, un partenariat avec l’américain TechShop, une référence en matière de Fab Lab privés, pour la création d’un espace collaboratif de fabrication de 1 500 à 2 000 m² installé en région parisienne, comprenant une centaine de machines. Le financement de ce nouvel atelier de fabrication numérique sera assuré par les abonnements et les formations qu’il dispensera.

En mars 2015, 14 Fab Lab d’entreprises françaises (Alcatel-Lucent, Renault, Areva, Airbus, Dassault Systèmes, Bouygues, Air Liquide, Seb, Leroy Merlin, Systra, Snecma et Poult), associés aux espaces de coworking ICI Montreuil et l’Usine IO, ont créé leur instance de représentation. Baptisée Fab&co, cette association facilitera leur collaboration – en organisant par exemple des « hackathons » inter-entreprises – autant qu’elle défendra leurs intérêts. Aucun des Fab Lab d’entreprise adhérents de Fab&co n’est signataire de la charte de la Fab Foundation. Pour les industriels, la création d’un Fab Lab offre l’opportunité de tester, auprès de leurs salariés, le potentiel du travail collaboratif en termes de création de valeur. Sur le plan national, 46 % des Fab Lab sont soutenus par des associations, 17 % par des universités contre 24 % par des entreprises privées, selon un rapport de la direction générale des entreprises publié en 2014. Désormais considérée aussi utile qu’une bibliothèque, la création de Fab Lab se propage au sein des établissements d’enseignement supérieur technique : Fabric’INSA au sein de l’école publique d’ingénieurs de Toulouse, la fabrique de CentraleSupélec ou encore le FacLab de l’université de Cergy-Pontoise. Ce dernier dispense trois diplômes consacrés à la fabrication numérique. « Objet pédagogique non identifié », selon l’expression de sa fondatrice Emmanuelle Roux, le FacLab est une communauté de savoir où « tout apprenant devient sachant à son tour ».

L’ambition qui anime les groupes industriels convertis au mode collaboratif s’éloigne sans aucun doute de l’esprit communautaire qui habite les « pure » makers. Sociologue et professeur au CNAM (Conservatoire national des arts et métiers), Michel Lallement a passé une année au sein de Noisebridge, un hackerspace situé à San Francisco, expérience dont il a tiré un ouvrage intitulé L’âge du faire. Hacking, travail, anarchie (Seuil, janvier 2015). Ni pirate informatique, ni geek marginal, un maker ou hackeur est animé avant tout par une passion pour les nouvelles technologies, un désir de partager des savoirs et une farouche volonté d’entreprendre librement. Le mouvement des makers « marque la volonté de sortir des multiples modes de gestion du travail tayloriste pour inventer un nouveau modèle de collaboration centré sur la recherche du travail pour lui-même, la notion de plaisir, d’autonomie, de reconnaissance et de coopération horizontale. Son émergence pourrait entraîner des répercussions économiques inattendues », explique le sociologue qui parvient à démontrer par son travail d’enquête que le hackerspace est finalement un lieu où s’exerce une « do-ocratie », le pouvoir du « faire », « reconnaissant la légitimité des actions à ceux qui en prennent l’initiative », avec ses rites de communication, de prise de décision et de contrôle.

Machine vedette des partisans du Do It Yourself qui rêvent de chambouler l’organisation industrielle dominante, et ainsi de lutter contre l’obsolescence programmée, l’imprimante 3D pourrait permettre à chacun, dans un proche avenir, de fabriquer lui-même l’objet qu’il souhaite. Défenseurs de l’interopérabilité, les makers poussent même plus loin cette logique en souhaitant qu’à l’instar du logiciel libre, le matériel devienne lui aussi libre (open hardware). Grâce à la numérisation, des plans de fabrication open source, réalisés grâce à des logiciels de conception assistée par ordinateur, sont désormais des fichiers transmissibles par voie électronique, afin d’être exécutés automatiquement par des machines-outils numériques. Comme le logiciel libre, le matériel libre qui permet de fabriquer, d’adapter, de personnaliser des objets en partageant des fichiers, favoriserait considérablement l’innovation en faisant appel à la communauté. Cette nouvelle logique de marché, qui contribue notamment à accélérer la diffusion des produits, bat en brèche le système des brevets tel qu’il existe depuis plus de deux siècles. Un des premiers matériels libres, Arduino est emblématique de ce phénomène. Disponible en open source, cette carte électronique ou microcontrôleur, vendue trois à cinq fois moins cher qu’un circuit imprimé propriétaire, équipe de nombreux appareils électroniques de la vie courante. Avec 300 000 à 1 million d’unités vendues par an, la carte Arduino a notamment permis de créer en retour des équipements open hardware. Vice-président exécutif Europe, Moyen-Orient et Afrique de l’entreprise américaine Local Motors qui fabrique des voitures en open hardware, Damien Declercq témoigne également de l’ampleur du mouvement : « Nous sommes 120 salariés, plus les 48 000 volontaires qui animent notre communauté dans 130 pays. Cela nous permet d’aller cinq fois plus vite qu’un constructeur automobile classique et pour un coût cent fois inférieur. »

Plus de 490 000 imprimantes 3D seront vendues dans le monde en 2016 et près de 5,6 millions à l’horizon 2019, selon l’institut Gartner. En 2021, le marché mondial de l’impression 3D pèsera 21 milliards de dollars, contre 3 milliards en 2013, selon le Wohlers Report. Dans un rapport intitulé Innovations technologiques et performances industrielles globales : l’exemple de l’impression 3D, publié en mars 2015, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) invite les pouvoirs publics et les professionnels à prendre la mesure de l’impact de la généralisation de cette technologie numérique dans le tissus industriel. Lui conférant une importance équivalente, notamment en termes de taux de croissance, à celle de l’internet mobile, de l’internet des objets, de l’informatique en nuage, du Big data – mégadonnées en français – ou encore de la robotique de pointe, le CESE envisage l’impression 3D comme une source de bouleversements majeurs des modes de production et des modèles économiques. Longtemps cantonnée au prototypage rapide, l’imprimante 3D est utilisée désormais pour fabriquer des objets avec une extrême précision dans plus de 200 matériaux différents (pièces détachées, prothèses, bijoux, jouets…). Cette technologie a été inventée la même année, en 1984, en France et aux Etats-Unis. Pourtant, la France se situe au 7e rang mondial avec seulement 3 % du parc des machines installées et au 4e rang européen, loin derrière les Etats-Unis qui en détiennent 38 %, contre 9 % pour le Japon et la Chine. Pour rattraper ce retard, le CESE préconise de mettre en place un programme d’information pour sensibiliser les entreprises, notamment les PME, mais demande surtout que soit assuré le financement des expériences pilotes prévues dans le volet « usine du futur », faisant partie des « 34 plans de la Nouvelle France industrielle ». Si l’entreprise française Dassault Systèmes est un des leaders dans le domaine des logiciels de conception 3D, en revanche la France ne possède que deux fabricants d’imprimantes, Prodways (Groupe Gorgé dont Fimalac est actionnaire depuis juin 2015) et la start-up BeAM. Les groupes dominant le marché, Stratasys et 3D Systems, sont américains. Pour consolider la filière, le CESE préconise d’investir davantage en R&D en s’appuyant sur le programme Horizon 2020 de l’Union européenne. Pour favoriser l’innovation, il est nécessaire de créer des filières de formation spécialisées à tous les niveaux, dans les écoles d’ingénieurs comme dans les lycées professionnels, mais également dès l’école primaire comme a choisi de le faire le Royaume-Uni. Enfin, le CESE prévient de l’arrivée de nouveaux intermédiaires comme les créateurs de fichiers numériques et les services d’impression à la demande, ce qui posera la question de la responsabilité en cas de défaut de fabrication. Quant aux risques de piratage et de contrefaçon, les règles du droit de la propriété intellectuelle sont censées les prévenir.

Aux Etats-Unis, la date du 18 juin a été instituée « Journée nationale des makers » par le président Obama. Lancée en Californie en 2006, la Maker Faire – rassemblement de makers – se répand partout dans le monde. La deuxième édition de la Maker Faire Paris a eu lieu en mai 2015 dans le cadre de la Foire de Paris.

Sources :

  • L’Age du faire – Hacking, travail, anarchie, Michel Lallement, coll. « La Couleur des idées », Editions du Seuil, janvier 2015.
  • « L’utopie des hackeurs », Gilles Bastin, Le Monde des Livres, Le Monde, 6 février 2015. 
  • « L’âge du « faire », une révolution ? », Léonor Lumineau, Le Monde, 10 février 2015. 
  • Innovations technologiques et performances industrielle globale : l’exemple de l’impression 3D, Avis du Conseil économique, social et environnemental, rapporteur Renée Ingelaere, lecese.fr, mars 2015.
  • « Quelles stratégies pour l’impression 3D ? », Benoît Georges, Les Echos, 24 mars 2015. 
  • « »Oui, c’est un lobby »: pourquoi les labs industriels s’unissent », Quentin Chevrier, makery.info, 31 mars 2015.
  • « Après le logiciel libre, voici le matériel libre », Jacques Henno, Les Echos, 14 avril 2015. 
  • « La folle expansion des Fab Lab », Laurent Marcaillou, Les Echos, 15-16 mai 2015. 
  • « Les étudiants s’essaient aux « FabLab » », Adrien de Tricornot et Matteo Maillard, Le Monde, 4 juin 2015. 
  • « Usine IO, deuxième investissement pour le fonds French Tech Accélération», Elsa Bembaron, LeFigaro.fr, 10 juin 2015.
Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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