Financement de l’audiovisuel public : la France taxe sans rationaliser

En augmentant la taxe Copé, pourtant détournée de son inspiration originelle, et en refusant une vraie hausse de la redevance, l’Etat français condamne France Télévisions à l’austérité et à l’incertitude sur son financement, qui dépendra encore demain des aléas politiques.

Entrée en fonction le 22 août 2015, Delphine Ernotte, nouvelle présidente de France Télévisions, a d’emblée attesté de sa capacité à négocier avec les pouvoirs publics en demandant immédiatement beaucoup et très vite pour le groupe de télévision publique. En effet, elle doit négocier le futur contrat d’objectifs et de moyens (COM) pour la période 2016-2020, contrat qui précisera les moyens dont elle disposera pour assurer son mandat. Autant dire qu’elle a tout intérêt à faire pression sur ses autorités de tutelle, ce qu’elle a entrepris dès le 31 août 2015 quand elle a expliqué souhaiter, pour le budget de France Télévisions, « vouloir fromage et dessert ». Le dessert désigne soit une hausse du montant de la redevance, soit un élargissement de son assiette. Le fromage désigne le retour de la publicité après 20 heures, au moins l’extension de son autorisation jusqu’à 21 heures, ce qui pourrait rapporter 100 millions d’euros de recettes publicitaires supplémentaires à France Télévisions (60 millions d’euros pour France 2, 10 millions d’euros pour France 3, 10 millions d’euros pour les trois autres chaînes). Quant au dessert, il est estimé lui aussi à 100 millions d’euros, la hausse idéale du montant de la redevance étant de 4 euros pour que l’audiovisuel public supporte ses charges (mécaniquement en hausse) sans procéder à de trop lourds plans d’économies. Certes, Delphine Ernotte a mis en avant la nécessité de développer les ressources commerciales pour diversifier les sources de financement du groupe et a créé un poste de direction commerciale à cet effet. En l’occurrence, cette décision place le groupe public dans une situation particulière vis-à-vis des télévisions privées. Mais, pour développer les recettes du groupe, les marges de manœuvre de France Télévisions seront finalement très limitées, l’essentiel revenant à commercialiser de nouveaux écrans publicitaires ou à développer la production dépendante : autant de décisions qui relèvent du régulateur et, pour la production dépendante, des relations avec les syndicats de producteurs qui ont obtenu que 95 % de la contribution de France Télévisions au financement d’œuvres patrimoniales soient consacré à la production indépendante. En 2014, le budget de France Télévisions repose donc essentiellement sur la dotation de l’Etat, avec 2,486 milliards d’euros financés principalement par la redevance, auxquels s’ajoutent 358 millions d’euros de recettes de publicité et de parrainage, soit en tout un peu plus de 2,8 milliards d’euros.

Autant dire qu’une réforme du financement de France Télévisions semble inévitable, avec des choix politiques assumés sur la nécessité, soit d’un renforcement de la redevance, soit du développement des activités commerciales. Cette nécessité d’un choix politique clair est d’autant plus impérieuse que les circuits complémentaires de financement de France Télévisions ont été détournés de leur objectif initial. En effet, après l’annonce surprise de l’arrêt de la publicité sur France Télévisions, décidé en 2008 par Nicolas Sarkozy, président de la République, il a fallu inventer un moyen de compenser le manque à gagner publicitaire. Augmenter la redevance a été d’emblée écarté, au nom des promesses de baisse d’impôts, réitérées depuis 2015 par le nouveau président de la République, François Hollande. France Télévisions a donc immanquablement hérité d’un système atypique de financement qui s’est incarné dans la taxe Copé, un prélèvement de 0,9 % sur le chiffre d’affaires des opérateurs de télécommunications, dans la mesure où ils bénéficient des chaînes publiques qu’ils distribuent dans leurs offres triple play.

Cette taxe a représenté 235 millions d’euros en 2011 selon Greenwich Consulting. Or il y avait une faille dans la taxe Copé : allouée au budget de l’Etat, elle devait ensuite être reversée à l’audiovisuel public. Mais la taxe Copé n’a jamais été fléchée sur ce financement, la loi de finances décidant en dernier ressort du versement, ou non, de la taxe Copé à l’audiovisuel public. La prise en charge du manque à gagner publicitaire de France Télévisions depuis la suppression de la publicité après 20 heures en 2009 se traduit donc par un financement directement depuis le budget de l’Etat, qui complète bien sûr les sommes venues de la redevance, rebaptisée contribution à l’audiovisuel public en 2013, signe d’un « fléchage » de la redevance dont ne bénéficie par la taxe Copé. Contraint aux économies, libéré des engagements pris par l’ancienne majorité, l’exécutif a choisi d’affecter les recettes de la taxe Copé à d’autres missions que le financement de France Télévisions, la dotation complémentaire de l’Etat à France Télévisions étant passée de 400 millions d’euros en 2012 à 90 millions d’euros en 2015 (voir La REM n°26-27, p.20). France Télévisions a donc été contraint d’adopter un plan d’économies, mais affiche encore une perte de 10 millions d’euros en 2015, au lieu des 5 millions d’euros initialement prévus. A vrai dire, force est de constater que la faible visibilité sur le financement public rend la tâche compliquée pour les présidents de France Télévisions, ce qui condamnait Delphine Ernotte à demander plus de moyens.

Parmi ses propositions, la première – le fromage – pose problème, puisqu’il s’agit de rétablir la publicité après 20 heures alors même que, depuis 2009, le montant de la redevance a augmenté et la taxe Copé pérennisée (voir La REM n°28, p.22), autant de financements nouveaux qui devaient combler le manque à gagner publicitaire. Réintroduire la publicité, sans faire baisser la redevance et sans supprimer non plus la taxe Copé revient à dire que France Télévisions a besoin d’un budget plus important aujourd’hui qu’hier, quand ses concurrents privés ont tous des difficultés sur le marché publicitaire. La comparaison, immanquablement, sera faite entre les programmes des chaînes publiques et privées, et le budget de France Télévisions devra être justifié en conséquence. Avec un budget de 2,8 milliards d’euros en 2014 pour cinq chaînes, France Télévisions a plus de moyens que les 20 autres chaînes privées en clair réunies, qui n’ont pas manqué de rappeler qu’elles se partagent seulement 2,7 milliards d’euros de recettes publicitaires. France Télévisions insiste de son côté sur les contraintes particulières du groupe, que n’ont pas les chaînes privées, comme l’obligation de consacrer 20 % de son chiffre d’affaires au financement de la création, soit plus de 400 millions d’euros par an, et 60 millions d’euros pour la création cinématographique. La vraie contrainte reste pourtant le maintien de rédactions dans toutes les grandes villes de France, afin d’assurer les décrochages régionaux de France 3, ce qui fait exploser la masse salariale du groupe. Un temps envisagé, le retour de la publicité après 20 heures aura finalement été écarté, du fait à la fois de l’efficace lobbying des chaînes privées, et probablement aussi de la symbolique de la mesure. En effet, la suppression de la publicité sur les chaînes publiques a pendant longtemps été une revendication de la gauche pour soustraire l’audiovisuel public de la pression des audiences, et donc de celle des annonceurs.

Concernant le « dessert », un élargissement ou une hausse de la redevance paraît tout à fait légitime. Il s’agit dans le premier cas d’adapter la perception de la redevance au nouveau paradigme technique, en élargissant la perception de la contribution au financement de l’audiovisuel public à tous les terminaux capables de recevoir des programmes de télévision. Et il s’agit dans le second cas de pérenniser le financement de l’audiovisuel public par une hausse de la redevance en affirmant la nécessité politique d’avoir un audiovisuel public fort. La première solution a été écartée, principalement pour des motifs politiques : l’absence revendiquée de nouvelles hausses d’impôts ne pouvait pas se traduire par une taxe nouvelle visant ceux qui, débarrassés de leurs téléviseurs, transfèrent leur flux vidéo sur un écran informatique. Pourtant, le sens de l’histoire impose la redevance sur tous les terminaux, donc pour tous les foyers payant au moins une fois la taxe d’habitation, la contribution à l’audiovisuel public étant depuis 2005 perçue avec la taxe d’habitation. L’histoire de la redevance atteste de cette adaptation au contexte technique. Inventée pour financer la radio publique de 1933 à 1949, la redevance a été perçue ensuite pour la radio et la télévision entre 1949 et 1980, et elle ne concerne depuis 1980 que les seuls détenteurs d’un poste de télévision. Or la télévision n’a plus, dans les foyers, la place centrale qu’elle a pu y occuper, étant concurrencée par l’internet sur les usages liés directement à la consommation audiovisuelle (IP TV sur des écrans autres que le téléviseur, replay, VoD ou sVoD). Les nouveaux équipements devraient donc naturellement entrer dans le spectre de la redevance, comme c’est le cas en Allemagne depuis 2013, car il n’est pas sûr que le téléviseur restera, demain, omniprésent dans les foyers.

Concernant l’autre solution envisagée, à savoir une hausse de la redevance, la mesure a l’avantage d’affirmer la nécessité de sanctuariser le financement de l’audiovisuel public, ce que ne permet pas la taxe Copé trop liée aux contraintes qui pèsent sur le budget de l’Etat. Mais là encore, la hausse n’est pas politiquement bienvenue au nom des baisses d’impôts. Or la redevance a pour elle le mérite d’être un choix politique clair, qui donne ensuite une indépendance éditoriale à l’audiovisuel public. En contrepartie, les missions de l’audiovisuel public doivent bien évidemment différer des objectifs des chaînes privées, sauf à faire émerger une concurrence bénéficiant d’avantages excessifs, comme les Britanniques peuvent en faire le reproche à la BBC sur certains de ses programmes, convoités aussi par les chaînes commerciales (The Voice, à titre d’exemple, diffusé en France par TF1, au Royaume-Uni par la BBC). Une augmentation très forte de la redevance aurait au moins le mérite de la lisibilité autant pour France Télévisions que pour le public. Elle garantirait une sécurisation définitive du financement de l’audiovisuel public pouvant même conduire à la suppression de la taxe Copé, voire à terme de toute publicité. A titre de comparaison, le montant de la redevance était de 136 euros en France en 2015 (contre 116 euros en 2008, avant la suppression de la publicité). Il est de 200 euros au Royaume-Uni, 210 euros en Allemagne, et 433 euros en Suisse. Comparé aux grandes chaînes publiques britanniques et allemandes, l’audiovisuel public français pourrait donc espérer mieux. A défaut d’une augmentation de la redevance, l’audiovisuel public devra augmenter ses recettes commerciales s’il souhaite financer de nouveaux projets, ce qu’a annoncé Delphine Ernotte. Dès lors, la comparaison entre audiovisuel public et chaînes privées sera faite, conduisant à une interrogation sur la légitimité de la redevance, aussi faible soit-elle, rapprochée de la part d’audience des chaînes publiques. A titre d’exemple, si France Télévisions devient productrice de programmes exportables, comme le fait la BBC, ces programmes devront répondre aussi aux attentes des chaînes commerciales qui les achèteront. Quelle différence alors entre programmes de l’audiovisuel public et programmes des chaînes privées : un débat là encore très vif outre-Manche où le positionnement de la BBC fait l’objet d’intenses discussions.

Finalement, en France, le statu quo a prévalu. Le 12 septembre 2015, Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication, a annoncé une hausse légère de la redevance, qui passe de 136 à 137 euros pour suivre l’inflation, et une hausse du montant de la taxe Copé, qui passe de 0,9 à 1,2 %. France Télévisions n’aura donc pas beaucoup de moyens supplémentaires, même si l’Etat s’est arrangé pour combler le déficit attendu de l’audiovisuel public. Et ce n’est même pas sûr : aussitôt après l’annonce de Fleur Pellerin, France Télévisions a annoncé quelque 50 millions d’euros de déficit prévisionnel en 2016, quand l’audiovisuel public compte également Radio France, en difficulté. La hausse d’un euro de la redevance rapporte mécaniquement un peu plus de 25 millions d’euros. Quant à la taxe Copé, la hausse devrait rapporter entre 75 et 80 millions d’euros, portant le montant perçu de la taxe à plus de 300 millions d’euros par an. C’est donc en tout 100 millions d’euros collectés sur la redevance et l’accès aux programmes de télévision via l’internet qui seront prélevés en plus pour l’audiovisuel public, mais ce prélèvement passe principalement par les opérateurs de télécommunications, sans officialiser donc auprès du public le nécessaire choix politique à faire quant au financement de l’audiovisuel public. Les opérateurs de télécommunications ont d’ailleurs dénoncé une forme de mépris à leur égard, puisqu’on leur impute ce qu’auraient dû payer directement les foyers français. Enfin, Fleur Pellerin a également annoncé que la hausse de la taxe Copé sera « affectée de manière pérenne à l’audiovisuel public ». Or, c’est bien sous la présidence de François Hollande que la taxe Copé a été détournée du financement de l’audiovisuel public. France Télévisions devra donc, comme auparavant, faire avec les aléas du calendrier politique quant à son financement, mais aussi aux missions que ne manquera pas de lui assigner son nouveau contrat d’objectifs et de moyens, notamment sur la défense de la diversité et la contribution au financement de la production audiovisuelle.

En définitive, la compensation moins importante du manque à gagner publicitaire par l’Etat d’une part, la hausse de la redevance et de la taxe Copé d’autre part, se sont traduites dans le budget de la culture 2016 par une hausse de 16 millions d’euros du budget de l’audiovisuel public, qui représentera 3,9 milliards d’euros sur les 7,3 milliards d’euros de budget du ministère de la culture en 2016. Ces mesures très légères expliquent sans doute pourquoi deux sénateurs, André Gattolin et Jean-Pierre Leleux, ont proposé dans un rapport provocateur de réunir l’ensemble du service public audiovisuel dans une même entreprise, sur le modèle de la BBC, afin de mutualiser les moyens. Ils proposent également de renforcer l’indépendance de l’audiovisuel public puisque l’Etat ne serait représenté dans la nouvelle structure que par l’Agence des participations.

Sources :

  • « La BBC menacée d’une cure d’amaigrissement », Vincent Collen, Les Echos, 20 juillet 2015. 
  • « France Télévisions : les grands chantiers de Delphine Ernotte », Nicolas Madelaine, Les Echos, 21 juillet 2015. 
  • « France Télévisions va doubler ses pertes cette année », Julien Dupont-Calbo, Les Echos, 27 juillet 2015. 
  • « Débat autour de l’augmentation de la redevance audiovisuelle », Nicolas Madelaine et Frédéric Schaeffer, Les Echos, 25 août 2015. 
  • « Le gouvernement empêtré dans la redevance », Caroline Sallé, Le Figaro, 29 août 2015. 
  • « Delphine Ernotte réclame plus de moyens », Caroline Sallé, Le Figaro, 1er septembre 2015. 
  • « Vers une extension de la redevance aux box », Enguerand Renault, Le Figaro, 3 septembre 2015. 
  • « Un retour de la pub après 20 heures sur France Télévisions est à l’étude », Nicolas Madelaine, Les Echos, 8 septembre 2015. 
  • « Michel Sapin évoque le retour de la pub sur France Télévisions », Enguerand Renault, Le Figaro, 9 septembre 2015. 
  • « Les médias privés saisissent Manuel Valls contre le retour de la pub le soir sur France TV », Caroline Sallé, Le Figaro, 10 septembre 2015. « Redevance : le gouvernement pourrait taxer les box Internet », Alexandre Counis et Nicolas Madelaine, Les Echos, 10 septembre 2015. 
  • « L’Etat veut taxer davantage les télécoms pour financer l’audiovisuel public », Nicolas Madelaine, Les Echos, 14 septembre 2015. 
  • « L’Etat préfère taxer les télécoms que de réformer la redevance », Enguérand Renault, Le Figaro, 14 septembre 2015. 
  • « France TV : la perte pourrait quintupler en 2016 », Marina Alcaraz, Les Echos, 16 septembre 2015. 
  • « France Télévisions souhaite produire plus en interne », Marina Alcaraz et Nicolas Madelaine, Les Echos, 28 septembre 2015. 
  • « Des pistes chocs pour réformer l’audiovisuel public », Marina Alcaraz, Les Echos, 30 septembre 2015. 
  • « Le budget de la Culture repart à la hausse », Caroline Sallé, Le Figaro, 1er octobre 2015. 
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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